Le Trône de l’Invisible
Les jours suivants furent comme un rêve dont Akil ne savait s’il allait se réveiller ou s’y perdre pour de bon.
Il fut conduit dans une case en pierre, sobre mais propre. Une servante, muette et douce, venait chaque matin lui apporter de l’eau chaude et une infusion amère qu’il devait boire sans poser de questions. Un ancien venait aussi, toujours au lever du soleil. Il ne disait rien non plus, mais lui faisait signe de s’asseoir, de respirer, de se taire. Il lui enseignait à se tenir droit, à observer le silence, à écouter les battements du monde.
Akil apprit sans comprendre. Il sentait que son corps, sa mémoire, sa respiration même, devaient changer. On ne devenait pas roi simplement en enfilant un pagne en soie. Il fallait naître à nouveau.
On ne lui reparla pas de la prophétie. Ni du trône. Ni du serpent.
Il passait ses journées à marcher dans les jardins suspendus taillés dans la roche, à observer les oiseaux étranges qui chantaient au crépuscule, et à contempler les fresques peintes sur les murs — des récits anciens, des batailles d’un autre temps, des visages oubliés. Une civilisation entière semblait vivre en silence sous la pierre cachée du monde extérieur.
Puis un matin, on lui dit : Aujourd’hui, tu rencontreras la Fille de la Reine.
Il fut lavé, vêtu d’un tissu rouge profond, parfumé d’huiles épaisses. Ses cheveux furent nattés selon un rite qu’il ne connaissait pas. Il se regarda brièvement dans un bol d’eau : il ne reconnaissait plus son propre reflet.
La princesse attendait dans un cercle de pierres. Elle se tenait droite, la tête haute, la peau cuivrée baignée de soleil, les bras chargés de bracelets sculptés. Elle était belle, mais pas comme dans les contes. Belle comme une force tranquille. Comme une montagne qui regarde les saisons passer.
Elle ne sourit pas.
— Tu es celui que mon père a choisi, dit-elle d’un ton neutre.
Il hocha la tête, ne trouvant rien à dire.
— Je n’ai pas besoin d’un époux pour exister. J’ai grandi dans l’ombre du trône. J’ai vu des hommes puissants échouer parce qu’ils avaient peur de leur propre lumière.
Elle s’approcha.
— Ce royaume est ancien. Il ne se conquiert pas. Il te reçoit. Si tu trahis son essence, il te rejettera. Il te brisera.
Akil la regarda, puis baissa les yeux. Elle n’était pas dure. Elle était vraie.
— Je ne suis qu’un garçon du village, dit-il doucement. Je ne connais pas les lois. Je n’ai pas appris vos codes. Je n’ai rien d’un roi.
Elle le fixa longuement, puis dit :
— Alors tu as déjà ce que les rois oublient d’avoir.
Ce soir-là, ils partagèrent un repas en silence. Ce n’était pas un festin. Un plat de mil, des légumes cuits à l’eau, et un vin de palme à peine sucré. Mais il y avait une paix nouvelle, inexplicable, autour d’eux.
La nuit venue, Akil ne dormit pas.
Il repensa à la fille du village. À ses yeux pleins d’espoir quand il lui avait dit qu’il reviendrait. À sa voix tremblante. Je t’attendrai, avait-elle murmuré.
Avait-elle déjà pleuré son absence ? Savait-elle seulement qu’il vivait encore ? Le village pensait sûrement qu’il était mort. Ou parti sans honneur. Il aurait voulu lui parler. Lui dire qu’il n’avait pas choisi ce chemin, mais que le chemin l’avait choisi, lui.
Les étoiles au-dessus de la maison de pierre ne brillaient pas comme celles de N’Djolo. Ici, elles semblaient plus grandes, plus proches. Comme si les esprits, eux aussi, avaient voulu l’entendre penser.
Il murmura :
— Pardonne-moi.
Le lendemain, la cérémonie fut annoncée.
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