Le Poids d’une Promesse

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Les tambours résonnaient depuis l’aube.

Un rythme lent, profond, presque organique. Comme si le sol lui-même battait à l’unisson avec le cœur d’Akil. Le village royal, habituellement si silencieux, s’était transformé. Des torches ornaient les parois de pierre, les femmes chantaient des litanies anciennes, et les enfants couraient pieds nus, excités par ce qu’ils savaient être un jour d’histoire.

Dans la case où on l’avait vêtu, Akil regardait fixement le bol d’eau claire posé devant lui. Il n’avait pas dormi. Pas mangé. Il entendait les pas à l’extérieur, les murmures, les préparatifs. Il entendait aussi une autre voix — plus ancienne, plus lointaine — celle d’une fille dans un autre monde, dans un autre village.
Tu reviendras ?
Je reviendrai.

Mais pouvait-on tenir une promesse faite alors qu’on ne savait pas encore qui l’on était ? Était-ce une trahison de devenir ce que le monde attend de vous ?

La porte s’ouvrit. C’était l’ancien. Celui qui lui avait appris à respirer sans bruit, à écouter sans parler. Il s’assit lentement à côté d’Akil. Longtemps, il ne dit rien. Puis :

— Tu as peur.

Akil hocha la tête.

— Je ne veux pas abandonner ce que j’étais.

— Et tu ne l’abandonnes pas, dit l’ancien. Tu le transformes.

— Et si je me perds en route ?

L’homme sourit doucement.

— Alors tu feras demi-tour. Mais tu ne reviendras jamais exactement d’où tu es parti.

Un silence. Puis :

— Ce que tu as vécu, là-bas, dans ton village, t’a façonné. Ce que tu vis ici te révèle.

Akil ferma les yeux. Il pensa à sa mère, les mains calleuses, le regard fatigué. À son père, silencieux, usé, debout face à un champ de rien. Il pensa à la promesse, oui. Mais aussi à ce que cela signifiait aujourd’hui : protéger davantage que son foyer. Porter un poids qui dépasse son nom.

— Que dois-je faire ? demanda-t-il enfin.

— Rappelle-toi qui tu étais. Et choisis qui tu veux devenir.

La cérémonie débuta au coucher du soleil.

La Reine Mère était là, droite, le regard lointain. À ses côtés, la princesse portait une robe couleur terre brûlée, ornée de perles rouges qui scintillaient au rythme de ses mouvements lents. Sa démarche était sûre, digne, calme.

Akil avança, entouré de chants, d’encens, et de regards fixés sur lui.

Il ne tremblait pas. Pas parce qu’il n’avait plus peur, mais parce que la peur faisait désormais partie de lui. Il l’acceptait comme on accepte une cicatrice : elle dit qu’on a survécu.

Ils se tinrent face à face, lui et la fille du serpent.

Le prêtre royal, un vieil homme à la barbe tressée, récita des mots dans une langue que même les anciens ne parlaient plus. Une langue que seuls les esprits comprenaient encore. Puis il tendit une corde tressée.

— L’union ne fait pas de vous des alliés. Elle fait de vous un seul corps, un seul destin. Si l’un tombe, l’autre chute. Si l’un trahit, l’autre se brise.

La princesse leva les yeux vers Akil. Pour la première fois, elle lui sourit. Un sourire court, grave. Elle aussi portait des doutes, mais elle avait choisi de les porter avec lui.

Ils lièrent leurs poignets. Les tambours s’arrêtèrent.

Pendant une seconde, le silence fut absolu.

Puis, depuis les profondeurs de la pierre, un chant s’éleva. Un chant ancien, chanté par des voix invisibles. Les oiseaux se turent. Même le vent sembla s’incliner.

Akil était devenu roi.

Mais au fond de lui, un vide subsistait. Non pas le regret d’avoir quitté N’Djolo. Mais la blessure de ne pas pouvoir tout expliquer à celle qui l’avait attendu.
Et cette blessure, il le savait, ne se refermerait jamais complètement.


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