Le Mariage du Fils Perdu
Les jours qui suivirent la cérémonie furent étranges. Rien ne changea, et pourtant, tout avait basculé.
Akil marchait désormais dans les couloirs de pierre avec des pas plus lents, plus lourds. Il ne portait pas de couronne, pas encore. Le trône lui était promis, mais ici, la promesse ne valait pas le pouvoir. Il devait le mériter. Être reconnu par les anciens, les prêtres, les gardiens des secrets — et surtout, par le peuple invisible qui habitait ces lieux.
La princesse, son épouse, l’accompagnait parfois. Pas comme une compagne docile, mais comme une observatrice lucide. Elle lui montrait les limites de leur royaume, les règles non écrites, les serments anciens que même les rois ne pouvaient violer.
Un matin, elle le conduisit dans une salle que personne d’autre n’osait fréquenter. Une salle circulaire, dont les murs étaient couverts de visages sculptés. Des milliers de visages. Certains humains, d’autres animaux, d’autres encore hybrides, comme issus d’un monde de songes.
— Ce sont les visages de ceux qui ont gouverné avant nous, dit-elle. Et de ceux qui ont échoué.
Akil sentit un frisson. Les regards figés dans la pierre semblaient le suivre, le jauger, l’interroger.
— Que dois-je faire pour qu’ils m’acceptent ?
Elle répondit sans détour :
— Ne pas les imiter.
Le soir même, le Conseil fut convoqué. Les membres du cercle royal, vêtus de noir et d’or, s’alignaient en demi-cercle autour de la grande table de pierre. Certains le regardaient avec prudence, d’autres avec une hostilité à peine dissimulée. L’un d’eux, un homme grand au visage sec, parla le premier.
— Ce garçon n’a ni lignée ni formation. Il vient d’un village dont personne ne connaît même le nom. Comment pouvons-nous confier à lui ce qui a été bâti depuis des siècles ?
Akil sentit la brûlure dans sa poitrine. Mais il resta droit.
La Reine Mère leva la main, imposant le silence.
— Il a été choisi. Non par moi. Par le destin. Et aucun d’entre vous ne sait discuter avec les dieux.
Le silence fut long.
Puis, contre toute attente, Akil prit la parole.
— Je ne suis pas venu réclamer un trône. Je suis venu pour comprendre ce qu’il attend de moi. Si je dois servir, je le ferai. Si je dois prouver ma valeur, dites comment. Mais je ne me battrai pas pour asseoir une légitimité que je n’ai pas demandée.
Un murmure traversa la salle. Pas de défiance. De la surprise. Il ne jouait pas le jeu attendu. Il ne suppliait pas, ne menaçait pas. Il parlait comme un homme qui n’avait rien à perdre — et donc, tout à offrir.
Le Conseil ajourna la séance. Dans la nuit, Akil fut réveillé par un garde. On l’amenait au Bois du Serment, un lieu sacré au-delà des portes principales.
Là, seul, il devait affronter une épreuve. Pas un combat. Un dévoilement.
Un feu brûlait au centre d’un cercle de pierres.
— Entre dans les flammes, dit le gardien. Et sors tel que tu es réellement.
Akil ne comprenait pas. Était-ce un test de foi ? Une illusion ? Une épreuve physique ?
Mais il entra. Lentement.
Le feu ne brûla pas. Il enveloppa.
Il vit des visions. Sa mère, pleurant dans la case vide. Son père, effondré près d’un champ abandonné. La fille du village, marchant vers le fleuve avec les yeux secs, comme si elle ne voulait plus verser de larmes pour lui.
Puis il vit aussi le serpent.
Non pas effrayant. Mais majestueux. Ancien. Un roi dans une forme oubliée. Et à côté de lui, un trône. Vide.
Quand il ressortit, les gardiens s’inclinèrent.
Il n’avait pas crié. Il n’avait pas fui.
Il avait vu. Et accepté.
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