Sept Ans de Silence

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Les années passèrent, aussi silencieuses qu’un vent d’harmattan dans les plaines hautes.

Le règne d’Akil fut d’abord regardé avec distance. Les anciens observaient ses décisions sans mot dire, les gardiens du royaume restaient en retrait, et le peuple, discret, se contentait de le suivre des yeux lorsqu’il traversait les chemins sculptés dans la pierre.

Mais peu à peu, l’inconnu devint familier. Le garçon d’ailleurs s’imposa par ses actes. Il écoutait avant de parler. Il travaillait aux côtés des autres. Il prenait des décisions lentes, réfléchies, comme s’il portait chaque vie dans le creux de sa main.

Il ordonna la réouverture des puits scellés depuis des générations, fit réparer les canaux de pierre qui irriguaient les cultures anciennes, relança les rituels oubliés qui liaient les vivants aux ancêtres. Le royaume se redressa, doucement, comme un arbre courbé qui retrouve sa verticale.

À ses côtés, la princesse — devenue Reine Fille — l’accompagnait sans bruit. Ils ne s’aimaient pas d’amour, mais d’alliance. Leur confiance était lente, construite sur les gestes du quotidien, les décisions partagées, les silences respectés. Et parfois, la nuit, il la surprenait en train de le regarder, avec une tendresse qu’elle ne disait jamais à haute voix.

Ils eurent un fils, puis une fille. Des enfants discrets, élevés dans le respect des forces invisibles et dans la conscience d’un monde extérieur dont ils n’avaient encore rien vu.

Mais dans le cœur d’Akil, quelque chose ne se refermait pas.

Chaque année, à la saison sèche, il rêvait du village. N’Djolo. Ses cases de terre, le vent chaud entre les arbres maigres, le visage de sa mère au seuil de la maison. Il rêvait aussi d’elle — la promesse. La fille. Celle qui avait dit je t’attendrai, et dont il ne savait plus si elle existait encore, ou s’il l’avait seulement imaginée dans sa détresse.

Un soir, il demanda à la Reine Fille :

— Crois-tu qu’on peut être deux hommes en un seul ?

Elle le regarda longuement.

— Je crois qu’on est toujours plusieurs. Et qu’on passe sa vie à choisir lequel des nous nous allons laisser vivre.

— Et celui qu’on n’a pas choisi ?

— Il continue d’exister. Mais en silence.

Ce silence, justement, pesait de plus en plus.

À N’Djolo, personne n’avait plus prononcé le nom d’Akil depuis des années. Le village l’avait lentement effacé, comme on rature une histoire trop douloureuse.

Koto, son père, avait vieilli en quelques mois. Son dos s’était voûté, ses mains tremblaient sans raison. Il ne parlait presque plus. N’Gama, sa mère, avait perdu le goût des choses. Elle préparait les repas mécaniquement, posait la nourriture sur la natte sans appeler personne.

Ils avaient consulté des féticheurs. On leur avait dit : Il est entre deux mondes.
D’autres avaient dit : Il a été avalé.
Un jour, convaincus qu’il était mort, ils organisèrent ses funérailles.

Ce jour-là, il n’y eut ni larmes ni chants. Juste un feu discret au centre du village. Une natte vide. Et un nom que plus personne ne devait prononcer à voix haute.

Mais ailleurs, un vieil homme descendait la montagne. Un messager. Un ermite. Il venait une fois tous les sept ans porter des nouvelles entre les royaumes invisibles. Il s’approcha d’Akil pendant la Fête des Ancêtres.

— J’ai vu un village qui t’a oublié à force d’espérer.

— Et moi, je les ai portés en silence pendant sept ans.

Le vieil homme le fixa.

— Alors il est temps de parler.

Akil regarda la pierre sous ses pieds. Elle vibrait faiblement, comme si elle aussi voulait l’y pousser.

— Tu ne peux régner en paix, dit le messager, si la moitié de ton cœur est enterrée ailleurs.

Akil comprit.

Il devait retourner à N’Djolo.
Pas pour fuir. Pas pour reprendre ce qu’il avait quitté.
Mais pour fermer un cercle. Pour réunir ses deux noms.

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