La Fête des Ancêtres

3 minutes de lecture



Le vent changea trois jours avant la fête.
Il ne soufflait plus du sud comme à son habitude, mais de l’est, portant avec lui une odeur de cendre, d’écorce humide, et de quelque chose d’indéfinissable — une présence. Les anciens levèrent la tête, les gardiens allumèrent les premières torches, et la Reine Fille, en silence, fit préparer la grande cour de pierre.

La Fête des Ancêtres n’était célébrée qu’une fois tous les sept ans. Ce n’était pas une fête joyeuse. C’était un appel, une offrande, un dialogue suspendu entre les vivants et ceux dont le sang battait encore dans la pierre et les rêves.

Cette nuit-là, nul ne dormait. Les enfants étaient enfermés, les animaux tenus à distance. Seuls les élus, les porteurs de mémoire et les porteurs de trône étaient autorisés à s’approcher du feu central.

Akil s’était vêtu de noir et d’or, selon la tradition. Son visage avait été peint avec de l’argile mêlée à des cendres anciennes — un masque de deuil et de puissance à la fois. Autour de lui, les tambours battaient lentement, rythmant chaque souffle du royaume.

Le prêtre leva une main.

— Que les vivants se taisent. Que les morts parlent.

Le silence fut absolu. Puis le feu s’éleva.

Une flamme immense, comme soufflée par des poumons invisibles. Et dans la chaleur, les visages commencèrent à apparaître. Des formes, des contours, des figures qui n’étaient pas là mais qui étaient là. Flottants. Tremblants.

La Reine Mère s’avança la première. Elle murmura une phrase en langue oubliée. Une forme se pencha vers elle, l’effleura, puis disparut.

D’autres s’avancèrent. Certains pleuraient. D’autres riaient. C’était une communion sans mots. Un échange d’ombres et d’intuitions.

Puis ce fut au tour d’Akil.

Il s’approcha du feu, le cœur battant, les bras ouverts.

— Je suis celui qui est venu de l’oubli, dit-il à voix haute. Je suis le fils du village et l’époux de la montagne. Je suis celui qui a deux noms et deux foyers.

Le feu gronda.

Et alors, il la vit.

Pas comme une apparition. Pas comme un fantôme. Comme un souvenir vivant, plus réel que les vivants eux-mêmes.

Sa mère. N’Gama.

Elle ne souriait pas. Elle le regardait comme elle le faisait autrefois, avec cette douleur contenue, ce mélange de tendresse et de reproche.

Puis, à côté d’elle, une autre silhouette. Une fille. Jeune. Tressée. En robe simple. Le regard droit.

Tu reviendras ?

Akil sentit un poids monter en lui. Toute la distance, toutes les années, toutes les questions. Il voulut parler, mais le feu se dressa entre eux.

Alors il ferma les yeux. Et dit :

— Je ne peux pas changer le passé. Mais je peux revenir avec ce que je suis devenu.

Le vent souffla. La flamme vacilla. Les silhouettes disparurent. Il rouvrit les yeux. Le silence était total. Puis le prêtre posa une main sur son épaule.

— L’heure est venue.

Le lendemain, Akil convoqua le Conseil. Il parla avec calme. Sa voix était celle d’un homme qui avait cessé d’hésiter.

— Je partirai. Pas pour fuir. Pour offrir. J’ai un devoir là-bas. Ce royaume est né d’un acte de compassion. Il grandira d’un acte de réparation.

La Reine Fille, droite à ses côtés, ne protesta pas.

Elle dit simplement :

— Quand tu reviendras, ce ne sera plus seulement ton royaume. Ce sera notre lien. Entre deux terres. Entre deux vérités.

Dans la nuit, les gardiens préparèrent la route. Une route que personne n’avait prise depuis des générations. Un chemin de pierre caché sous les lianes. Il ne menait pas vers un autre royaume.

Il menait vers l’origine.






« Le retour est plus dur que le départ.

Car il faut porter dans ses mains ce que l’on n’a pas su dire.

Et espérer qu’il reste une place pour ce que l’on est devenu. »

— Souffle d’un tambour brisé

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Joel koko ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0