Chapitre 28

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Les achats pour le chaton furent rapidement effectués, même si Amélie pesta en voyant le prix de la litière. Hélène s’apprêtait à partir quand son regard fut attiré par une boutique de la petite galerie marchande, elle s’en approcha et contempla la vitrine.

« Hum… On a peut-être assez dépensé pour aujourd’hui, non ? Et puis, j’ai pas besoin de bijoux… commenta Amélie.

Des bijoux, non, mais je me demande si des pierres ne pourraient pas t’aider à maîtriser ton aura » répondit sa mère, ce que Denise approuva.

Se résoudre à utiliser une baguette et des pierres quand elle avait réussi à faire sans l’un ni l’autre jusqu’à présent… la fierté d’Amélie en prenait un coup. Elle s’efforça de mettre son orgueil de côté et accepta d’essayer.

Le carillon tinta gaiement lorsqu’elles entrèrent dans la boutique, tandis qu’une forte odeur d’encens les enveloppa. Bien qu’elle ne soit pas en pleine possession de son corps, Amélie se sentit mal. Ses alliées le perçurent immédiatement, Denise la rassura :

« C’est de la sauge… C’est très commun pour purifier l’air et éloigner les mauvais esprits. Et toi…

— Moi je m’en suis fait péter la panse spirituelle toute la journée, donc je souffre… acheva Amélie.

En somme, oui. »

Sans perdre un instant, Hélène se dirigea vers le comptoir où étaient exposées plusieurs rangées de bracelets en pierres naturelles. Elle hésita.

« Prends-en plusieurs, on fera des tests à la maison ! Je veux juste que l’on quitte cette fichue boutique », gémit Amélie.

S’appuyant sur ses propres connaissances et sur les suggestions de Denise, Hélène sélectionna plusieurs bracelets qu’elle régla rapidement.

Alors qu’elles se rapprochaient de l’immeuble, Amélie reconnut la voiture de Chantal. Elle avait espéré rentrer avant elle.

« On fait quoi ? s’enquit Hélène

On rentre quand même, répondit Amélie.

Oui, mais si elle nous voit rentrer avec tout ça, elle va forcément vouloir en parler ! Et je pense qu’elle aussi verra le changement de couleur de nos yeux…

Je sais, je sais… soupira intérieurement Amélie. Mais est-ce qu’on a réellement le choix ?

On peut toujours utiliser un charme d’illusion ? » suggéra Denise.

Cette dernière proposition fut retenue, même si Hélène n’était pas confiante. De son vivant, elle usait peu de sa magie et celle-ci n’avait jamais été particulièrement puissante comparée à celle de Denise ou celle de sa fille.

Hélène franchit le pas de la porte aussi discrètement que possible. Par chance, Chantal leur tournait le dos dans la cuisine, le téléphone coincé entre l’épaule et l’oreille, les mains plongées dans l’évier.

« Go go go ! » scanda Amélie qui ne voulait surtout pas louper cette chance.

Hélène se déchaussa rapidement et fila à l’étage, refermant doucement la porte derrière elle avant de rendre son corps à sa fille. Amélie soupira et posa ses sacs de courses. Le chat n’avait pas quitté le lit, il s’était mis en boule pour dormir. Certainement sensible à la présence de sa sorcière, il se redressa et s’étira avant de plonger son regard doré dans celui d’Amélie.

« Il faut encore que tu lui donnes un nom ! rappela Hélène. Sans cela, le lien ne sera pas formé.

— Je n’ai pas encore décidé si je l’acceptais. À défaut, il deviendra le chat de Sergeï et Chantal. »

La jeune sorcière sentit aussitôt le désaccord et la frustration de ses esprits, mais celles-ci restèrent néanmoins silencieuses. La décision lui appartenait à elle seule.

Elle installa rapidement le bac à litière dans la salle de bain, puis revint vers le félin avec l’une des petites boîtes de pâtée achetée. Lorsqu’elle le vit se mettre à manger, elle s’en détourna, rassurée, et se pencha sur le dernier sac.

L’odeur écœurante de la sauge imprégnait le papier kraft.

Avec une moue de dégoût, elle en sortit son contenu : pas moins de trois bracelets en améthyste, deux en hématite et un en quartz blanc. Elle grinça légèrement des dents en se repensant à l’argent dépensé pour ces vulgaires cailloux.

« Ce ne sont pas juste des cailloux, soupira Denise. Ils n’ont certes aucun effet sur les humains, mais ils ont de vraies propriétés pour les sorciers et en attendant que tu apprennes à contenir ton aura, ces pierres te seront utiles !

— C’est possible ? De contenir mon aura ?

Oui, je pense que tu en es capable. Jusqu’à présent, notre présence à Hélène et moi a permis de la camoufler. Même damnées dans les limbes, nous avons conservé notre aura blanche, propre à notre magie, mais…

— Mais même à deux contre moi, vous ne suffisez plus à contrebalancer mon aura noire… »

La nécromancienne soupira en se redressant. Elle avait fait de grand pas ces derniers temps, sa montée en puissance était évidente et pourtant, de nouveaux aléas et de nouveaux défis ne cessaient de dresser face à elle. Elle se plaça face à son miroir psyché, admirant cette ombre serpenter doucement autour d’elle. Ce défi-là, il lui fallait absolument le réussir. Passé le malaise de retour dans son corps, elle avait non seulement retrouvé son énergie, mais elle avait aussi usé de magie noire avec une puissance et aisance redoutable.

Elle s’installa finalement en tailleur face à son reflet et se mit à méditer, se concentrant sur son souffle et l’énergie qui émanait d’elle. Fusionner son corps avec deux esprits tout en préservant son identité avait requis une concentration intense et une adaptation spirituelle aussi douloureuse que difficile. L’exercice présent était différent. Il s’agissait davantage de contempler sa puissance, de la mesurer pour mieux la soumettre à sa volonté au lieu d’en subir les effets.

Alors qu’enfin, elle sentait son labeur porter ses fruits, ses esprits se mirent à gémir. Amélie rouvrit aussitôt les yeux, l’ombre avait quasiment disparu.

« Qu’est-ce qui se passe ? s’enquit-elle

Bravo, tu as réussi à intérioriser ton aura… commença Denise dans un murmure.

Mais c’est un supplice pour nous… » acheva Hélène.

Cette fois, c’était trop. La jeune nécromancienne jura de toutes ses forces en frappant son miroir qui se fissura dans un chuintement sinistre.

« La première qui me parle de sept ans de malheur, je l’expulse et je la mange… » râla Amélie.

Il lui avait fallu presque une heure pour canaliser son aura, elle la relâcha avec un simple soupire auquel fit écho ceux de ses esprits.

« Va falloir trouver autre chose… » grommela-t-elle, agacée.

Son regard se posa sur les bracelets. Elle en enfila un premier, puis se tourna vers son reflet morcelé. L’ombre était toujours là, quant aux perles du bracelet, elles semblaient chauffer et vibrer, comme si l’aura à apaiser était trop lourde pour elles. La nécromancienne pesta et enfila un second bracelet. Guère mieux, constata-t-elle. Au troisième, elle observa une amélioration. Exaspérée, elle se résolut à tous les porter. Lorsqu’elle se présenta face au miroir, elle fut satisfaite de voir qu’elle ne se ridiculisait pas pour rien en portant tous ces ornements : l’ombre avait enfin disparu.

Des coups à la porte coupèrent le fil de ses pensées.

« Amélie ? Tu descends manger ? demanda Chantal. Le repas sera prêt d’ici vingt minutes ! 

— Oui, j’arrive ! » répondit Amélie.

Au moins, je vais pouvoir descendre manger avec eux sans les pétrifier… songea-t-elle. Ses yeux se posèrent alors sur la boule de poils endormie sur son lit. Il avait mangé la moitié de sa petite boîte. Même s’il n’était plus blessé, entre le sang, la boue et la poussière ; sa fourrure était particulièrement sale.

« J’ai vingt minutes pour te rendre présentable ! »

D’une main hésitante, elle secoua doucement le chaton. Lorsqu’il se réveilla, Amélie ôta vivement sa main, craignant d’être griffée ou mordue, mais il n’en fut rien. Même lorsqu’elle le prit entre ses mains pour l’amener dans sa salle de bain, il se laissa faire. Pas sûre qu’il reste docile sous l’eau… se mit-elle à craindre en le posant dans le lavabo. Mais une fois de plus, il se montra coopératif. Hélène avait acheté un shampoing spécial pour chat — un achat inutile selon sa fille —, il fit des miracles. Les rares fois où Amélie s’était perdue à rêver d’un animal de compagnie, elle l’avait imaginé noir, à l’instar de ses corbeaux. Elle fut ébahie de découvrir le pelage couleur crème du petit félin. Après un séchage rapide, elle le prit contre elle pour rejoindre ses parents adoptifs et leur présenter.

Ce fut cet instant que choisit ce petit être machiavélique pour sa seconde tentative pour corrompre et séduire celle qu’il avait choisie : il se mit à ronronner.

La main sur la poignée de sa porte, Amélie se figea. Pendant quelques secondes, aucune pensée ne la traversa. Denise et Hélène même se turent religieusement. Seules la chaleur et les douces vibrations émanant du chaton semblaient exister, celles-ci n’étaient pas sans rappeler la caresse qu’Amélie avait ressentie sur son âme lorsqu’elle avait accompagné l’esprit de la petite chatte.

Luttant contre les larmes qui menaçaient de border ses yeux, Amélie baissa son regard sur le félin. Celui-ci eut l’audace de lui faire un léger clin d’œil.

La sorcière prit une profonde inspiration et se ressaisit.

« Bien essayé, mais je n’ai toujours pas pris de décision ! » lui murmura-t-elle avant d’ouvrir la porte et de descendre.

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