Partie 3
Je suis dans un vaste espace noir. Tout est calme. Le sol forme de légères vaguelettes comme sur un lac.
J’avance, intriguée de me retrouver dans ce lieu magique qui me permet de tenir debout sur l’eau sans sombrer.
Soudain, une épaisse brume me stoppe en cours de route.
Au-delà, des formes indistinctes s’agitent, et parmi elles, une silhouette s’impose :
une femme à trois têtes, suivie de ses chiens aux yeux de braise.
Elle s’avance, me fixe, puis ses trois voix résonnent à l’unisson, graves et solennelles :
Marcheuse des ombres, fille des ruines, écoute la parole des anciens.
Trois chemins t’attendent.
Les épreuves s’élèveront, comme des pierres dressées sur ta route.
Différents choix s’offrent à toi,
mais un seul te conduira à la destinée promise.
Alors marche sous les rayons protecteurs de la lune,
et vaincs les ennemis pour corriger les erreurs passées
des Gardiens oubliés.
Va, rassemble-les,
car seuls eux pourront rétablir l’équilibre en danger.
Sous ces paroles, elle disparaît, me laissant là, dans cet espace-temps, livrée à moi-même.
Puis soudain, le monde de ténèbres se fissure, tremble et hurle.
Je me réveille en prenant une longue bouffée d’air, comme après une interminable apnée.
Il me faut du temps pour reprendre mon souffle, choquée par ces paroles.
Qui était-elle ? Et parlaitelle de moi, élue d’une mission, et qui étaient ses gardiens oubliés ? Je ne savais rien, mais la femme qui venait de me divulguer ces informations me semblait familière, comme une ancienne connaissance partie il y a longtemps. Je ressentais un lien puissant me guidant vers elle. Je sentais ce lien partout dans le caveau, émanant de différentes parties du mur et de l’arbre qui baignait maintenant dans un rayon de pleine lune, majestueux, tout comme la chouette qui veillait sur moi depuis le début. Puis un bruit venant de ‑làhaut, dans la cavité, apparut : une biche, magnifique, avec un pelage très clair rappelant le ‑blancgris‑, mais ce soir il brillait comme de l’argent, resplendissant dans les rayons de la pleine lune.
Puis, dessous, dans l’ombre, se trouvait le caveau : une tombe de pierre dégageant une aura imposante, sinistre et craintive. Plus je m’approchais, plus mon cœur battait avec force. Une drôle de sensation me montait à la gorge, mes poils s’érissaient. Une seule réponse : l’appréhension. Une chose d’importante allait se passer. Soudainement, les lettres sur les parois, les parchemins, la tombe, tout brillait d’une lueur grise. Une forte brise se leva et, comme consciente, elle se dirigea vers moi, m’enveloppant, tourbillonnante, me sifflant des mots dans une langue inconnue. Puis plus rien : tout s’éteignit.
Enfin non, les inscriptions sur la tombe tournèrent, s’illuminant de plus en plus fort, allant jusqu’à créer un petit nuage de poussière, jusqu’à ce que le vent souffle dessus pour laisser « Hécavia » à la place des anciens symboles inconnus.
— Hécavia… qu’est-ce que cela signifie ?
Je murmurai, perdue. Quand soudain, juste après mes paroles, un grand bruit se fit entendre, comme de vieux engrenages reprenant vie. Quelques minutes plus tard, au-dessus de la tombe, se trouvait un compartiment mesurant un bon mètre de long et une quarantaine de centimètres de haut. Dedans se trouvait le châle que portait la femme de la prophétie, qui, vraisemblablement, se nommait Hécavia. Avec cela, des restes de cendre s’envolèrent rapidement après l’ouverture du compartiment secret. Mais le plus intéressant était là, sous mes yeux : un rouleau de parchemin à moitié brûlé, dessus un texte en langue inconnue, avec des mots en latin juste à côté, et un début d’alphabet traduit à moitié brûlé.
Je connaissais maintenant un moyen de traduire ces runes étranges présentes depuis le début de mon aventure. Dans le rouleau que je tenais à présent dans mes mains se trouvait un autre élément intriguant : une carte du monde avec des points placés un peu partout dans le monde, dont un marqué d’une croix en plein cœur de la Slovénie, où je me trouvais, avec quelques inscriptions marquées de runes à côté de chaque point. Marqué sur la carte, le prochain point le plus proche de ma position actuelle se trouvait à l’est de l’Afrique, près de nombreux sommets africains, et l’autre point proche se trouvait en Asie centrale, au milieu de rien, un désert froid et hostile, aujourd’hui appelé le désert de Gobi.
Entre ces deux choix, un autre dilemme s’imposait : j’hésitais à aller découvrir ce qui se trouvait sur ces points, qui me demanderaient de lourdes préparations, alors que je n’avais même pas retrouvé ma pauvre sœur, disparue depuis l’incendie.
Soudain, un bruit sourd me sortit de mes pensées. C’était comme un grognement. Puis je tendis l’oreille, laissant mes sens en éveil, et aucune erreur n’était possible : quelque chose approchait, quelque chose de terrible, je le sentais. Sa peau rampait lentement sur la roche du tombeau, et la créature dégageait une odeur putride qui me donna instantanément la nausée. Et autre chose m’inquiétait : j’entendis de multiples sifflements stridents et une respiration très lente et lourde.
Je ressentis la menace traverser mon corps. Il fallait que je parte maintenant : c’était une question de vie ou de mort. Alors mon instinct prit les commandes et je courus de l’autre côté du caveau pour attraper une vieille échelle qui traînait dans l’ombre, mais elle craqua dès que je l’attrapai. Alors j’utilisai une corde qui traînait là. Malgré son âge, la corde semblait solide. Je me mis donc à la difficile tâche de grimper discrètement sur le saule, pour y attacher la corde à une branche solide.
Les sifflements se rapprochaient. J’accélérai la cadence, je pris l’autre bout de la corde et l’attachai solidement à un silex taillé, gros hameçon, de telle sorte qu’il me serve de grapin. Je le lançai sur le haut de la paroi… raté. Une sueur froide coula dans mon dos. Le monstre ne va pas tarder à arriver, il fallait que je me dépêche. Je le lançai une deuxième fois et il passa : la victoire sonna dans ma tête. Je tirai sur la corde pour vérifier sa solidité, puis je m’accrochai à elle avec mes bras et mes jambes comme un paresseux, et entrepris un mouvement répétitif jusqu’à l’arrivée au haut de la falaise.
Mais quand je suis au milieu du chemin, les serpents commencèrent à arriver par centaines dans le caveau. Derrière, j’entendis le rire de deux énormes Gorgones contente de leur trouvaille. Qui n'est non pas le caveau mais moi, leur future victime. Alors j'avance de plus en plus vite et quand elle arrive dans le caveau, je suis en haut des parois, caché dans un buisson, ayant la vue sur le danger. Les deux gorgones cherchent sans rien trouver en criant de rage. Puis une autre entre dans le tombeau et l'ambiance change. Ce frisson revient comme si j'étais à deux pas de la mort elle-même.
Celle-ci est plus grande et calme. Son corps est fin, parsemé d'écailles de différents verts, et elle a une multitude de serpents sur la tête à la place de la pointe molle qu'elles ont normalement, ces créatures. Et sa couleur n'est pas normale non plus : elle dégage une froideur inexplicable. Alors que d'habitude les gorgones sont plus chaleureuses et émotives - on peut les entendre rire, grogner, interagir entre elles -, là il y a une ambiance de domination. Les deux gorgones sont figées par la peur, elles la regardent avec la terreur dans leurs yeux.
Puis la créature s'approche de l'une d'entre elles, et avec un regard glacial, elle lui plante des sortes de griffes dans l'abdomen qui se rétractent sous sa peau une fois le travail réalisé. La gorgone se tord de douleur et un épais liquide brun sort des plaies avec du sang. Puis elle en crache de grosses quantités, se vidant de ses entrailles. Elle est maintenant au sol, prise de convulsions, elle hurle de douleur avant de petit à petit se figer pour mourir, vidée de son sang.
Mais c'est à ce moment-là que son regard croise la femme-serpent et là... Les cheveux crachent une brume étrange sur le corps qui, une fois celle-ci dispersée, ne laisse plus qu'une statue de pierre abandonnée.
Satisfaite celle -ci lâche un faible soupir de satisfaction et de dépits. Et repars sur ses pas sans avoir trouver leur proie, mais juste avant de disparaitre celle-ci se retourne, et pose sont regard pile sur ma cachette la tout mon corps se crispe.
Suis-je repérée va-t-elle me tuer puis me pétrifier, la peur s’empare de mes sens, j’hyperventile sentant la mort se rapprocher dangereusement de moi. Puis heureusement un écureuil sort de ce même buisson qui me sert de refuge, et elle tourne la tête désintéresser. Soulagée, je me détends, et décide d’appeler cette gorgone si puissante Médusa, référence au monstre mythologique qui transforme les êtres vivants en pierre d’un regard.
Alors qu’elle s’apprête à partir pour la seconde fois, une autre chose lui fait de l’œil : elle s’approche de la tombe et du compartiment mural encore ouvert. Elle le regarde et le renifle. Elle semble savoir lire car celle-ci aperçoit le nom de Hécavia. Un large sourire se dessine sur son visage, qui maintenant jouit d’une excitation et d’une joie malsaine. Elle cherche partout, comme prise d’une transe, détruit chaque recoin pouvant cacher quoi que ce soit. Frustrée de ne pas trouver ce qu’elle recherche, elle détruit le socle de la tombe de Hécavia. Directement, une odeur putride de mort et de décomposition émane. Alors je me retiens pour éviter de vomir, faisant remuer les feuilles du buisson.
Et captant ces petits mouvements, Médusa tourne la tête, fonçant droit vers la paroi qu’elle escalade sans difficulté, se positionnant juste au-dessus de moi et écartant les branches de l’épais buisson, jusqu’à ce qu’elle me repère, emmitouflée dans les branches.
Elle hurle de plaisir en me voyant recroquevillée sur moi-même, tremblotante de peur, sans moyen de défense. J’opte pour la fuite, une énième fois, ne trouvant jamais le courage d’affronter le danger ou mes peurs.
Alors, avant que celle-ci ne m’attrape pour me pétrifier, comme avec la gorgone de tout à l’heure, je décide de courir dans la direction opposée à Médusa. Celle-ci me poursuit, furieuse.
Mais je ne prends pas le temps de me préoccuper d’elle, concentrée à éviter les branches, les roches et grosses racines qui se dressent sur mon passage.
Quand soudain, la végétation verte, rouge, jaune, orange laisse place à un noir jais. Plus de feuilles ni de racines. Les cendres flottent encore dans l’air. Je suis sur les lieux de notre séparation entre moi et Maïwenn. Il ne reste rien d’elle. Je commence à pleurer sur le lieu où elle se trouvait quand nous sommes séparées. Je m’effondre, pleurant à chaudes larmes, suppliant le ciel de me la rendre. Alors, quand Médusa arrive, je m’abandonne à elle, prête à être changée en statue de pierre pour rejoindre le reste de l’humanité.
Quand, alors que j’observe le lieu de ma future mort, je remarque des traces de petits pas allant vers l’ouest, avec de nombreuses traces de sang séché sur le bas-côté. Alors je reprends espoir.
Médusa n’est qu’à quelques mètres. Alors je lève la tête, lui lançant un regard plein de défi. Puis je m’élance vers les traces de sang séché qui m’ouvrent la voie sur une centaine de mètres avant de disparaître dans un fleuve encore animé par les restes d’une crue récente. Malgré le courant fort et les nombreux débris qui flottent encore dans l’eau, je cherche à traverser en plongeant plusieurs fois dans l’eau. Puis je reviens à l’évidence : je ne peux pas la traverser, elle est trop grande et puissante.
Alors je décide de remonter le lit de la rivière vers le nord, quand je croise la route d’une autre rivière, un affluent, qui se déverse violemment dans la rivière, en créant de nombreux rapides et mini-cascades. Alors je commence à remonter celui-ci, qui rétrécit petit à petit, avant de se transformer en un long canyon étroit. Je me glisse dedans pour découvrir un magnifique bassin caché, alimenté par de nombreuses cascades.
Émerveillée, je prends un petit temps pour observer cette merveille, mais je suis rapidement sortie de mon émerveillement car j’entends les écailles de Médusa racler contre la roche du canyon. Alors je pars rapidement vers les cascades et remarque qu’il y a de nombreuses cavités creuses derrière celles-ci. Je me cache donc dans une petite, qui a un retranchement me permettant de ne pas être vue de l’extérieur de la cascade. Je m’assois sur la roche mouillée, en attendant et priant pour que Médusa abandonne la poursuite.
Alors, recroquevillée contre la pierre, je me mets en boule, la tête dans mes genoux, tremblant de peur et de froid, priant pour ma jeune sœur et moi-même. Quand soudain, le bruit de la cascade se tait et une forte chaleur apparaît dans ma poitrine. Elle me brûle et s’empare de tout mon corps, me brûlant de la tête aux pieds. Je commence à convulser de douleur, ma peau moite de sueur, ma vision se trouble quand je vois la chouette me regarder, posée sur la roche, puis elle se transforme en Hécavia, qui me souffle : « Tu dois savoir. »
Une lueur m’emporte donc.

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