Terreur Cosmique

Image de couverture de Terreur Cosmique

 Voilà une chose bien étrange, que d’être incapable de concevoir l’existence en dehors de nous-même. Observateurs dociles et incapables, nous nous figurions tant de choses merveilleuses, mais qui toutes, au final, n’étaient que le reflet décevant de notre espèce. Nous avons fait des dieux sur la montagne et sous les mers, des déesses agricoles et guerrières, mais enfin nous n’avons fait que fabriquer des poupées pour nous rassurer la nuit, des pantins pour figurer notre propre suffisance, des statues à idolâtrer, parce que nous en avions besoin, parce que cela nous donnait du sens.

Agenouillons-nous ! A présent les réponses nous sont tombées du ciel, comme dans nos songes les plus fiévreux, de ceux qui fondent les cultes les plus fantasques.

Aucun ange, toutefois, n’est venu à nous pour nous apporter un livre, un guide, ou un quelconque récit des origines, une vision de la fin des temps déjà là, sous nos yeux, sans que nous ne soyons en mesure de la comprendre. Quelques lettres auraient pu suffire, griffonnées à la hâte, avec la fébrilité propre à la terreur existentielle, et nous aurions accouché d’un sens, comme nous l’avons toujours fait. L’épopée fugace de notre espèce prend fin, et nous avons été incapables de voir les signes. Comment l’aurions-nous été ? Nous avons tant observé le Ciel, nous avons tant espéré, tant cru, tant rêvé et pourtant…

Des profondeurs inconsistantes du vide sont venus les émissaires de notre fin.

Étonnamment, nous ne les attendions pas. Ou plus. N’avons-nous pourtant pas porté au-devant d’eux des messages ineptes, cherchant à faire comprendre à cet autre, en rien semblable à nous, que nous étions ? Nous avons cherché à entrer en contact avec ce qui nous apparaissait être la limite la plus fondamentale de notre entendement, leur offrant notre technologie archaïque, et nos attentes irraisonnées. Nous avons franchi une distance proprement absurde, nous nous sommes enfoncés dans les ténèbres abyssales du cosmos, sans jamais atteindre le seuil de leur porte. Le voyageur le plus éloigné de nous est encore aujourd’hui honteusement contraint par les forces de notre astre chéri, notre soleil nourricier. Qu’est-il devenu ce pionnier de notre race ? Ce serviteur fidèle, balancé sans ménagement dans ce froid mort qui aurait dû nous rester inaccessible ? Et tandis que nous l’observions disparaître, seul au plus fort de la solitude, nous n’avons jamais été en mesure de quitter notre cocon chaud. D’autres sont venus à nous. Et nous n’avons pas su les accueillir.

Je pourrais affirmer que les choses se sont passées d’une manière évidente, et que nous avons été trop fiers pour nous en rendre compte. Mais en vérité tout cela serait porter trop de crédit à notre intelligence. Car la vérité est que tout cela a été profondément et fondamentalement inintelligible pour la compréhension limitée de notre espèce. Nous nous répandions comme nous l’avons toujours fait. Nous nous battions, nous aimions, nous construisions et détruisions et tout à coup ces futilités que nous pensions alors si importantes ont montré leurs limites.

Figurez-vous un instant une guerre galactique. Vous imagineriez des vaisseaux gigantesques se tirant des lasers dessus dans une pétarade formidable. Ou bien un rayon à la puissance sans égale, de la force de plusieurs soleils, qui frapperait la terre de sa violence incommensurable ! Ou, enfin, une invasion de bipèdes, de tripodes, ou bien d’octopodes, à la technologie sur-évoluée, aux armes d’énergies baryoniques, leptoniques, ou de toute autre particule élémentaire qui me serait également inconnue. Faites preuve de la fantaisie la plus complète, oubliez toutes les lois qui ont jamais régie les fondements de votre réalité, laissez de côté toute connaissance logique, toute cohérence physique. Et lorsque vous aurez été en mesure d’approcher un tant soit peu la sensation d’être libéré de ces règles fondamentales, laissez tomber.

Car il n’en fut évidemment rien. Pas d’union sacrée au sein d’une humanité consciente de n’être qu’une pour combattre un ennemi commun ; pas de terreur particulière face à un cataclysme aussi puissant que soudain, ni de grandiose découverte permise par l’interaction inter-espèce. Juste la lente agonie d’êtres condamnés d’avance, l’angoisse incongrue d’une chose invisible mais déjà là, le sens aiguisé de la catastrophe déjà advenue. Nous sommes des choses fragiles, et nous avons refusé de l’entendre. Il était plus pratique de soigner les maux que nous avions nous-mêmes engendrés. Nous soignions les cancers causés par nos propres outils, nous frappions nos propres enfants dans l’espoir de leur offrir l’avenir que nous avions imaginé pour eux, nous brisions nos propres corps pour en justifier le repos. Les maladies nous avaient terrassées par le passé, en quoi celle-ci devait-elle être différente ? Nos guerres avaient été justes et nécessaires, celle-ci ne le serait-elle pas tout autant ? Nous avions adhéré à nos mensonges depuis suffisamment longtemps pour nous permettre d’adhérer à un de plus.

Aujourd’hui, je le confesse, il m’apparaît, aussi clairement qu’il puisse être possible, que tout ceci ne pouvait pas ne pas advenir. Comme tout ce qui a un début, il nous fallait admettre notre fin. Je suis émerveillé de constater que, même maintenant, il est encore possible de trouver du sens à ce qui n’en a jamais eu. Pas par une quelconque absurdité, mais parce que le sens n’existe pas ailleurs dans l’univers, et c’est là l’ultime preuve que nous avons été, durant ne serait-ce qu’un instant. Il n’y a, en définitive, et il n’y aura jamais, que de la poussière, parfois si petite, ou parfois si magistrale, qu’il ne nous est pas permis de nous la figurer. Nous étions une anomalie, une erreur. Et voici que l’infini a décidé qu’il était temps pour nous de rentrer dans l’ordre des choses. La matière qui nous compose n’a jamais eu pour objet de nous animer, de faciliter l’expression de notre génie interdit et hasardeux. Nuls yeux ne devaient pouvoir contempler, nuls pieds ne devaient jamais fouler, nul mot ne devait traverser ; la monstrueuse immensité qui nous écrase sous le formidable poids de son courroux.

Mais je m’égare, et prête à nouveau des intentions aux puissances subtiles de ces ailleurs incommensurables. À croire que notre cerveau débile ne peut s’en passer. Tout comme il nous a alors obligés, depuis le premier jour de leur arrivée, à admirer ce qui nous semblaient être des membres perçant le firmament pour nous saisir, dans les reflets multicolores de leurs chair diaphane. Ils ont écrasé nos cités de leurs innombrables talons invisibles, que seules pouvaient révéler les gouttes de la pluie que leur approche provoquait inévitablement. Ils voyaient tout, car leurs yeux étaient des nuages venus de galaxies qu’un autre temps infini ne nous aurait même pas permis d’entrapercevoir. Dans leurs bouches, ces abîmes ahurissants de noirceur, ils ont dévoré tout ce qui a vécu et tout ce qui aurait pu vivre. Leurs êtres ineffables s’étendaient sur l’horizon comme autant de tentacules extraits du vide intersidéral par une intention supérieure. Stupide cerveau que le nôtre, qui donne corps à ce qui n’en a pas, pour justifier notre lâcheté face à ce qui ne peut être défini selon nos langages étriqués.

J’ai été persuadé, dans des moments d’égarements comme seules les crises de nerfs en produisent, lorsque l’on prend conscience de la futilité de la résistance, que ces choses me parlaient. Je me figurais des borborygmes et des raclements, comme de grands sacs d’un liquide visqueux dans lequel se cognaient des pierres. Et pendant d’inconsistants instants, je finissais par en trouver le son agréable, reposant. Je frissonne encore de cette sensation d’apaisement induite par je-ne-sais-quelle sordide illusion, que des sons si abjectes aient sonné à mes oreilles sans provoquer autre chose que le dégoût le plus absolu. Et parfois parvenait à mes narines des effluves pestilentielles, des relents de charognes venues d’autres coins de l’infini, des manières de pourrir si inqualifiable que rien de ce que j’étais en mesure d’imaginer n’aurait pu les causer. Et ces senteurs répugnantes, alors, me procuraient un soulagement tel que j’en subis à présent un égal contre-coup, d’une violence et une méchanceté indigne.

Alors, et les larmes me montent aux yeux quand je songe que la bêtise qui me vient à l’esprit puisse être plausible ; alors, dis-je, tout ceci était bien réel, car on ne peut induire des sons et des odeurs, n’est-ce pas ? On ne peut faire pénétrer dans un esprit une idée si vile, si peu naturelle, sans que cela ne soit au moins un peu vrai ? Et ainsi, comme ces choses sont venues, d’autre viendront sûrement encore, et d’autres plus terribles encore passeront près de ce qui fut notre monde sans plus s’en formaliser que nous ne le faisions avec les paramécies, les bactéries ou les atomes inconcevables qui nous composaient. Et quand bien même, nous ne seront déjà plus en mesure de les croiser.

Que l’on me pardonne mon émoi, mais une question me vient alors, plus terrible et plus grave encore que tout ce que nous avons pu subir jusqu’à maintenant, tandis que l’ultime lueur de l’âme humaine disparaît de la galaxie : combien de fois avons-nous manqué par notre insignifiance, de faire une rencontre semblable par le passé ?

Et quelle autre monstruosité réceptionnera notre Voyageur, maintenant qu’il est la dernière chose qu’il ne restera jamais de nous ?

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Commentaires & Discussions

L’ultime lueur de l’âme humaineChapitre1 message | 1 mois

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