Chapitre 6 – L’Épreuve de l’Essence (Déconstruction)
Azraël chutait.
Mais ce n’était plus une chute ordinaire. Il n’y avait ni haut, ni bas. Ni fin. Ni sens. Juste le vide et cette sensation étrange… comme si son propre corps était lentement dissous dans l’éther, épluché couche par couche.
Puis, brutalement, tout s’arrêta.
Il heurta une surface molle, chaude, palpitante. Le sol battait comme un cœur. Une odeur métallique saturait l’air, mêlée à celle de moisi, de sueur et de chair brûlée. Le ciel n’était pas un ciel, mais une membrane translucide pulsant de lueurs rouges et bleues.
Autour de lui, les murs du dôme organique semblaient respirer. Chaque inspiration faisait trembler le sol. Chaque expiration envoyait des bouffées d’air putride dans ses narines.
Une voix, lourde, viscérale, sans ton, sans bouche, vibra :
"Épreuve de l’Essence. Analyse corporelle en cours. Révélation des dissonances."
Azraël voulut se lever, mais son bras refusa d’obéir. Ou plutôt… il n’en avait plus.
Il leva la tête — et vit ses membres, ses os, ses muscles, ses fluides — séparés de lui, lévitant lentement autour de son torse. Son cœur battait encore, suspendu devant lui. Sa peau se retournait sur elle-même comme une robe trop serrée.
Il hurla. Mais aucun son ne sortit. Sa bouche avait fondu.
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Un à un, les fragments d’Azraël tombèrent au sol et prirent forme.
- Force : un titan d’obsidienne, ses muscles hurlant sous une peau craquelée. Il martelait sa poitrine. Ses yeux étaient des forges.
- Fragilité : un enfant nu, tremblant, couvert de bleus. Il rampait en appelant une mère absente. Son regard évitait le sien.
- Souffrance : une carcasse putréfiée, traînant des chaînes et des lames plantées dans ses membres. Chaque pas laissait une trace de sang noir.
- Désir : un double aux pupilles fendues, à la peau miroitante. Il souriait avec les yeux, léchant ses lèvres d’un plaisir malsain.
- Mort : un Azraël parfaitement intact, allongé, paisible… mais sans souffle. Un néant absolu autour de lui. Une absence qui dévorait la lumière.
Ils se tinrent là, en cercle. Et parlèrent.
Force : "Tu veux tout contrôler, comme ton père. Tu refuses de plier."
Souffrance : "Tu caches tes douleurs. Mais elles hurlent dans ton sommeil."
Désir : "Tu veux être vénéré. Adoré. Consommé. Tu fais semblant d’être pur."
Fragilité : "Tu as pleuré, seul, chaque nuit où tu espérais qu’on t’aime."
Mort : "Tu me fuis. Mais tu es né avec moi. Tu mourras avec moi."
Azraël voulut nier. Hurler. Mais il n’avait plus de bouche. Plus de cordes vocales. Juste un souffle intérieur brisé.
Et les cinq fragments chargèrent.
Force fut le premier à frapper. Un coup dans la poitrine. Des côtes brisées. Azraël sentit sa chair se fissurer de l’intérieur. Il voulut crier.
Souffrance l’empoigna par les épaules, planta des griffes dans ses nerfs. Le monde devint rouge, puis noir.
Désir l’enserra, lui murmura à l’oreille : "Ressens. Tu aimes ça. Tu veux ça. Tu l’as toujours voulu."
Fragilité s’accrocha à sa jambe, le suppliant : "Pourquoi tu ne me protèges pas ? Tu m’as abandonné !"
Et Mort se pencha lentement. Posant un doigt glacé sur son front.
Azraël sentit son corps entier s’éteindre.
Il tomba.
Pas dans le vide.
En lui-même.
Et dans l’obscurité absolue, la Trame murmura :
— "Tu ne peux t’élever sans te connaître. Et tu ne peux te connaître sans t’accepter."
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Note de l’auteur – Réalité de l’Épreuve :
Dans le monde de l’Éveil, chaque test est conduit dans une dimension modelée par la Trame elle-même. Le corps d’Azraël, bien que déconstruit physiquement dans ce plan spirituel, continue d’exister à travers une projection sensorielle totale : il ressent encore la douleur, la chaleur, les coups, même s’il n’a plus ses membres. La Trame agit directement sur la conscience et la Source, pas sur la matière brute. Ainsi, les coups portés, les caresses, les mutilations sont tous des stimuli internes à l’âme et à la perception existentielle. Rien n’est illusion — tout est expérience intérieure réelle.
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