Chapitre 8 – L’Épreuve de l’Essence (Fragment II : La Fragilité abandonnée)
Le sol sous ses pieds avait disparu.
Azraël tombait à nouveau, mais cette fois sans fin, sans forme. Il n’était plus qu’un souffle suspendu dans un abîme de coton glacé.
Puis… il s’écrasa.
Le sol était froid. Humide. Il avait le goût des larmes et de la poussière. Le décor se dessina lentement : un couloir étroit, sombre, tremblant d’échos fantomatiques. Au loin, des sanglots d’enfant.
Il rampa. Oui, rampa, car son corps avait rétréci. Ses bras étaient maigres. Ses jambes faibles. Il avait… six ans. À nouveau.
Et au bout du couloir, il se vit :
Un enfant nu, assis en boule, les bras autour des genoux, tremblant sous une pluie invisible. Fragilité.
Le double leva les yeux. Deux perles violettes gonflées de peur. Une ecchymose sur la joue. Les lèvres fendues.
"Tu m’as laissé seul. Tu m’as enterré. Chaque fois que tu pleurais, tu me haïssais."
Azraël sentit un poing se serrer dans sa gorge. Il se souvint.
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À huit ans, après un entraînement avec Kael. Une bousculade. Une humiliation publique. Il avait fui dans la forêt. Il avait pleuré. Longtemps. Jusqu’à ce que la voix de sa mère résonne dans sa mémoire :
"Un Lux Aeterna ne pleure jamais devant les autres."
Et alors, il avait frappé un arbre jusqu’au sang. Non pas pour se venger. Mais pour se taire. Il avait frappé Fragilité, ce jour-là.
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Dans le couloir, l’enfant se leva. Ses genoux tremblaient. Ses yeux ne brillaient pas de haine, mais de supplication.
"Tu veux être fort. Tu veux m’effacer. Mais je suis toi. Je suis celui qui espère. Qui souffre. Qui rêve encore que quelqu’un t’aime sans condition."
Le décor changea. Un lit. Un soir. Azraël avait neuf ans. Il entendait les anciens parler. "Fils d’un couple scellé pour avoir défié le Destin…" "Condamné à une vie sans avenir."
Il s’était recroquevillé sous les draps, mordant sa couverture pour ne pas crier.
Fragilité réapparut devant lui. Il n’avait plus de visage. Juste un masque de silence et d’abandon.
"Tu ne me protèges pas. Tu me méprises. Tu veux devenir quelqu’un d’autre. Un sage, un démon, un héros… n’importe qui sauf moi. Mais tu n’as jamais accepté… d’être un enfant perdu."
Azraël recula. Une vague le submergea. De honte. De chagrin. D’impuissance.
Il tomba à genoux.
Il posa le front au sol.
Et il pleura.
Pour la première fois depuis des années.
"Je suis désolé…"
Il répéta ces mots. Encore. Encore. Jusqu’à ce que sa voix se brise.
L’enfant s’approcha. Et doucement, il chanta.
Une chanson oubliée. Une berceuse que sa mère lui murmurait autrefois. Azraël ouvrit grand les yeux. Il n’avait pas entendu cette mélodie depuis des années.
Et soudain, il se souvint de tout.
Le jardin secret. Le parfum des feuilles. La chaleur d’un tissu contre sa joue. Une main dans ses cheveux.
"Tu es moi, murmura l’enfant. Et je suis ce que tu caches. Mais sans moi, tu n’auras jamais de paix."
Il tendit une main tremblante.
Azraël la prit. Et la serra contre son cœur.
Une lumière blanche les enveloppa. Douce. Calme. Chaude.
Son torse se reforma. Ses côtes. Son souffle.
Il se releva. Lentement.
Et la Trame murmura :
"Un deuxième fragment a été intégré. L’enfant brisé a retrouvé sa voix."
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