Dos au mur climatique

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Un ventilateur métallique souffle sur les fronts perlés du président philippin et de ses ministres. Assis dans leurs chaises rouillées, cachées par leurs chemises blanches auréolées de sueur, ils observent un lourd silence. Sous un soleil de plomb filtrant au travers des stores abîmés, l’atmosphère est lourde. En face d’eux, un scientifique en blouse blanche crasseuse vient de finir son exposé en réajustant ses lunettes cassées. Une jeune climatologue l’accompagne, elle serre la télécommande du projecteur entre ses mains squelettiques.


Après une longue pause pesante, des interrogations étranglées s’élèvent doucement :

  • Il nous reste 10 ans ?
  • Oui, et pendant cette période nous aurons encore plus de catastrophes climatiques, notre économie sera à genoux.
  • Vous êtes sûr ?
  • Cela fait 20 ans que nous le disons, nos conclusions n’ont pas changé.
  • Et les solutions ?
  • Aucune à notre échelle, il faudrait que tous les pays arrêtent leurs émissions à effet de serre, et encore, nous passerons de très mauvaises décennies.

Les hommes se regardent, surcils froncés, sous leurs yeux rouges, le lourd bilan d’hier : 10 000 morts noyés suite à un ouragan sans précédent, 30 000 portés disparus. Des inondations catastrophiques tout au long de l’année, des récoltes maigres. Le téléphone sonne, les pays et îles voisines crient à l’aide.

Lassé de jouer avec son stylo, le ministre de l’économie prononce un : « Bon… » et se lève en faisant bourdonner sa chaise.

  • Vous n’avez rien compris n’est-ce pas ? une jeune climatologue sort de son silence outré. Dans 10 ans nous n’avons plus de pays, et en attendant, nos concitoyens crèvent pendant que les autres pays se gavent et se moquent de nous !
  • Les regards impuissants se fixent sur elle. Mais aucune protestation de la part des costards prostrés dans leurs sièges, tout le monde a déjà abandonné, la chose la moins désagréable reste encore le déni et l’incrédulité, tout juste perturbés par les dernières catastrophes climatiques.
  • Je sais ce que vous pensez… Vivons heureux pendant le peu de temps qu’il nous reste, économisons, puis partons d’ici, allons nous exiler en Chine ou aux États-Unis, ces mêmes pays qui ont tué le nôtre à petit feu !

Les hommes bougons tressaillent, comme si leurs pensées égoïstes avaient été un peu trop bruyantes et qu’elles s’étaient ébruitées.

  • Bientôt, il n’y aura plus nulle part où aller ! NULLE PART !

Le scientifique tente de la tenir par le bras, elle le repousse avec hargne.

  • Vous… Vous comprenez n’est-ce pas ? Vous avez bien vu les ouragans de ces derniers mois ? Vous voyez bien que c’est réel, ça ne s’arrêtera que quand nous serons tous morts jusqu’au dernier.

Un poing frappe sur la table, manquant de l’éventrer, le ministre de l’économie cogne de tout son gras, il beugle, la bave aux lèvres :

  • Et que suggérez-vous?! On a quelque chose pour empêcher le réchauffement?! On fait quoi bordel ? C’est vous les scientifiques, donnez nous les solutions !! On les appliquera !
  • Il n’y a rien… derrière ses lunettes bancales, le jeune physicien laisse échapper un soupir.
  • Quoi ?
  • Il n’y a rien à faire, Capter autant de gaz à effet de serre est impossible, surtout qu’il s’en déverse plus dans la nature que nous ne pourrons en piéger. Refroidir l’atmosphère en l’obscurcissant reviendrait à la détruire pour les siècles à venir. Il n’y a rien qui soit en notre pouvoir…

Les regards se portent à nouveau sur la jeune climatologue, attendant un démenti énergique, elle regarde le sol, ses épaules sont crispées.

  • Il y a une solution, et vous la connaissez, le ministre des Armées, au visage figé, sort de son silence de marbre.

Tous se tournent vers lui, apeurés, par la solution désespérée qu’il va proposer sur un ton glacial comme il en a l’habitude.

  • On les détruit.

*clac* tous sursautent, un cahier tombe par terre à la fin de sa phrase.


Le président se lève, appuyé sur son bureau :

  • Comment ça on les détruit ? Avec quelle armée?!
  • Cela fait un moment que nous travaillons sur un moyen de provoquer une guerre nucléaire totale entre les États-unis et la Chine. Il suffit de leur faire croire que l’un d’eux a lancé la première bombe, et nous les regardons s’entre-tuer, eux et leurs alliés maudits. Ça devrait diminuer les gaz à effet de serre non?!
  • Oui… Mais l’hiver nucléaire n…
  • Ça nous rafraîchira ! le militaire tonne d’un ton sec.
  • On ne peut pas faire ça ! Des milliers de morts !
  • CE SONT NOS ENNEMIS !!! Ils nous tuent et se gavent, pendant qu’on crève ! C’est une agression! le général est rouge, les veines de son front sont visibles, personne n’ose contester.

Tous se taisent, seule une mouche a l’audace de tapoter contre la vitre, pendant que le sort de l’humanité se décide derrière elle.

  • Ça pourrait marcher, la jeune climatologue se redresse, ses yeux sont vitreux, elle les fixe d’un regard fou.

Nous avons une bombe sale, faite à partir de barres d’uranium volées dans une centrale en afrique, nous la faisons sauter à New York, on maquille ça en attaque terroriste, mais on paye des chinois pour faire transiter la marchandise, on fait un coup monté au plus haut des tensions entre les deux pays, ça devrait suffire. Au pire, si on se fait prendre, notre mort sera plus rapide et moins douloureuse.

Des sourires cruels se dessinent, certains tremblent mais sourient, anticipant la vengeance sur un monde qui a fait de leur vie un enfer depuis des années.

  • Alors président ? Que décidez-vous?

Tous se tournent vers lui, dans un vrombissement de sièges et de cliquetis de stylos tombant au sol…

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