2 - Le Manoir

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L'arrêt brutal du ballottement réveilla la jeune fille. Elle ouvrit les yeux brusquement, émergeant du sommeil. Une main inconnue la secouait par l'épaule.

— Mademoiselle, nous sommes arrivés. Il faut descendre.

Léocadia regarda autour d'elle. Un petit vieillard aux mains caleuses était penché sur elle et il souriait doucement, dévoilant une dentition à trou. Sa casquette de contrôleur lui tombait sur les yeux et elle ne réussit pas à voir ce qui se cachait au-dessus de se nez aquilin.

— Nous sommes arrivés, répéta-t-il.

Elle acquiesça et saisit sa malle avant de se lever. La position qu'elle avait prise durant son sommeil avait provoqué quelques courbatures et elle s'étira. Puis, remerciant le contrôleur de l'avoir prévenue, elle descendit en sautant à pieds joints du wagon.

Si la jeune fille ne savait pas combien de temps elle avait dormi, elle apprit en remarquant la teinte zinzoline du ciel que la nuit tombait à peine. Le quai était complètement vide. Un panneau, planté sur la droite indiquait qu'elle se trouvait dans la ville de City.

Bien curieux pour une ville de s'appeler ville, songea Léocadia. Derrière elle, le train redémarra, prit de la vitesse et s'éloigna en direction du soleil couchant. Sa valise à la main, la jeune fille ne savait où aller. Elle regarda autour d'elle et remarqua un petit sentier masqué par un arbre aux feuilles tombantes qui, au premier coup d'œil, ne le lui avait pas sauté aux yeux. N'ayant d'autre solution, elle s'y engagea.

Après une petite trotte, elle entendit des voix d'enfants. Je suis arrivée, pensa-t-elle soulagée que sa marche s'arrête ici. Ils parlaient d'une voix inquiète. Sur un coude du chemin, Léocadia pu enfin se rendre compte de qui ils étaient. À dix mètres d'elle, six enfants de son âge portant chacun un bagage discutaient avec animation devant une grille forgée.

Il y avait une grande fille blonde à la peau sombre comme le charbon, un garçon un peu grassouillet avec un sac marin, un autre à lunettes et un cartable vielle école, une fille aux cheveux bouclés autour du visage comme une boule, et des jumeaux, fille et garçon, qui se tenaient par la main en fixant le ciel d'un regard indifférent.

Léocadia s'avança et fut enfin en mesure de discerner leurs paroles.

« Vous croyez que c'est ici l'institution pour garçons de la mer ?

— Tu es sûr ? J'avais rendez-vous avec une certaine Madame Sixtine Nate. »

C'était la fille Boule-de-cheveux qui avait répondu au petit porteur de binocles. Elle parlait avec un très fort accent français que Léocadia décela sans peine : son cousin avait eu une gouvernante originaire du continent et elle avait appris aux deux enfants sa langue maternelle. Elle s'avança enfin vers le groupe et annonça son arrivée d'une petite voix :

« Est-ce ici le pensionnat des Jeunes Miss Anglaises ?

— Je ne sais pas, répondit Maggie. Cet endroit – et elle désigna une grande bâtisse au bout d'une allée de l'autre côté du portail – devrait être, à la fois, – elle compta sur ses doigts – la demeure de Madame Nate, une école militaire, un collège de jeunes lords, un orphelinat, et un pensionnat pour miss.»

Léocadia la bâtisse sombre qui pointait sous l'arrivée de la nuit.

« Ça ne m'a l'air d'être rien de tout ça, avoua-t-elle à la fillette en se retournant vers elle.

— En effet, il n'en est rien, lança une voix derrière le groupe. »

Tous se tournèrent d'un bloc vers le portail. Appuyé contre les barreaux, un vieil homme s'échinait à déverrouiller la serrure avec une grosse clé rouillée. Léocadia, bien qu'il fasse nuit, le reconnut tout de suite. Le contrôleur ! pensa-t-elle avec stupeur. Visiblement, elle n'était pas la seule à l'avoir déjà croisé. Partout autour d'elle résonnaient des exclamations du même genre.

« Le chauffeur !

— Le valet de pied !

— Le batelier ! »

L'homme, quelque fut sa profession ou son nom, n'y fit pas attention et réussit enfin à ouvrir cette grille récalcitrante.

« Je vous présente le Manoir !»

Et il tendit la main vers la grosse maison comme si autre chose que cette demeure dans le paysage pouvait mériter ce nom. Puis il baissa le bras et ouvrit la grille en grand.

« Dépêchez-vous les marmots, je n'ai pas que ça à faire de ma journée.»

Sa bonne humeur factice était retombée d'un coup, effrayant les enfants qui n'eurent pas d'autre choix que de pénétrer dans l'allée en craignant les conséquences d'un refus d'obtempérer. À peine les sept se furent-ils faufilés que la grille se referma avec fracas. L'homme avait disparu, comme volatilisé.

Une toute minuscule voix parvint aux oreilles de Léocadia : c'était la grande fille sombre et blonde.

« Pourquoi on est-là ? »

Léocadia ne pensait pas qu'on puisse être aussi grande et posséder un si faible brin de voix. Elle haussa les épaules en réponse. Elle non plus n'en savait rien.

Les jumeaux, qui avaient quitté le ciel des yeux mais se tenaient encore la main, commencèrent à avancer sur le chemin de cailloux blancs. Personne ne fit un pas pour les retenir. Le petit à lunettes leur emboîta le pas, en remontant nerveusement ses lunettes et bientôt, les sept enfants s'engagèrent. Ils avancèrent, nerveux, jetant un coup d'œil autour d'eux à chaque pas, inquiets que l'homme refasse apparition.

À peine la jumelle eut-elle posé un pied sur la première marche que les portes s'ouvrirent avec violence en grand. Une grosse voix résonna :

« Entrez à vos risques et périls !»

Les enfants se regardèrent effrayés. Puis, un à un, ils avancèrent et pénétrèrent dans le hall, leur valise toujours à la main. Seul le garçon grassouillet qui tremblait de tous ses membres resta en bas des escaliers. Boule-de-cheveux redescendit les marches, lui saisit le bras et le fit à entrer de force.

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