12 - Un nouvel univers pour chacun

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Contrairement à ce qu'elle avait annoncé dans la matinée sur la rigueur de leur emploi du temps, Lady les libéra une heure plus tôt que prévu et les laissa jouer dans la même allée du jardin que dans la matinée. Elle avait décidé que les événements étranges des derniers jours méritaient une profonde discussion en tête à tête avec son époux avant le dîner.

Léocadia, elle, aurait préféré continuer le cours. La méditation que leur avait fait faire Lady l'avait vraiment détendue et cette brusque interruption lui donnait l'impression d'être coupée dans son élan. Un peu dépitée, elle se laissa tombée sur une dalle de l'allée, à côté de Gédéon, tandis que Maggie reprenait son portrait frénétique à la craie. Elle avait quelques questions à poser au petit garçon.

Entrant directement dans le vif du sujet, elle lui demanda :

« Tu viens d'une grande famille de magicien, on dirait. Bell a du donner au moins quatre personnes qui portaient ton nom. »

Le garçon tourna vers elle des yeux de poisson écarquillés.

« Je ne sais pas, répondit-il d'une voix presque tremblante, comme s'il passait un examen décisif, ma mère ne m'en a jamais parlé.

— Et ton frère ? »

Là, Gédéon haussa les yeux au ciel. C'était la première fois que Léocadia le voyait esquisser un geste qui pouvait s'apparenter à de l'énervement. Le reste du temps il paraissait être habité par une frayeur constante.

« Jon est le chouchou de Maman. Même si le Pape était venu en personne pour lui dire que son fils était un Messie moderne, elle ne l'aurait pas laissé partir. Alors que moi...

— Mais Bell a dit que ton frère était Imagio des Lapins. »

Il haussa les épaules et Léocadia comprit par là que la discussion était terminée. Gédéon n'en savait pas plus qu'elle sur le sujet. La fillette  avait tendance à oublier que tous les enfants ici en savait aussi peu qu'elle.

Elle entreprit de se relever mais Gédéon la retint d'une main sur le mollet.

« Attends ! s'exclama-t-il. »

La fillette, le voyant insister, se rassit auprès de lui. Il attrapa un caillou qu'il fit jouer nerveusement d'une main à l'autre.

« Quand tu es passée... commença-t-il avant de se reprendre. Quand tu es passée dans le couloir, Bell n'a rien dit sur ta famille... tu n'en as pas ? »

La question semblait lui avoir ôté toute trace de courage.

« Oh si ! Je ne sais pas pourquoi Bell ne l'a pas dit. Elle a du oublier.

— Impossible, répondit une voix derrière eux. »

Les deux enfants assis par terre se retournèrent en même temps. Athaliel était accroupi à un mètre derrière eux. Il avait du entendre leur conversation.

« Comment ça ? questionna Léocadia.

— Bell ne peut pas se tromper. C'est absolument impossible. Sa constitution magique le lui empêche.

— Sa constitu-quoi ?

— Sa constitution magique, répéta Athaliel sans se laisser démonter par l'interruption de Gédéon, sa structure magique si tu préfères. Si elle avait été une intelligence artificielle, on aurait parlé de programme. Mais Bell est régie par une série de règle, comme un cadre qui la protège et l'empêche de s'échapper. C'est un système de protection qui fonctionne dans les deux sens. »

Léocadia et Gédéon, immobiles depuis qu'il avait entamé sa tirade, le regardaient fixement.

« Comment sais-tu tout ça ? demanda Léocadia, formulant ainsi ce qui occupait l'esprit de Gédéon.

— J'ai lu des livres dans la bibliothèque, ce matin. Avant que Lady ne vienne nous chercher, je suis allé faire un tour et j'ai trouvé une pièce remplie de rayonnage. Il n'y avait que des ouvrages sur la magie.

— Tu n'as pas dormi ?

— Je ne dors jamais beaucoup, avoua-t-il en remontant ses lunettes. »

Entendant cela, Léocadia se rendit compte que ce qu'elle prenait instinctivement pour l'ombre de ses lunettes était en réalité d'énormes cernes bordant ses yeux.

« C'est donc pour ça que tu savais répondre à toutes les questions de Lady ! déduisit-elle pour elle-même. Moi qui pensais que tu venais d'une famille de magiciens...

— Oh non ! s'exclama Athaliel. Mes parents sont scientifiques. Si je leur avouais que l'Institution où ils pensaient m'envoyer est un Manoir rempli de magiciens, ils ne me croiraient pas, car pour eux la magie n'est qu'un substitut de vérité et tissus de mensonges, et me renverraient à la maison où ils se chargeraient de mon éducation eux-mêmes. Ah ça non, ma famille ne compte aucun magicien, quoique Bell puisse en dire. »

Cette dernière phrase, il la prononça plus pour se convaincre lui-même que pour exposer une vérité qui aurait contredit sa précédente explication.

« Et tu as des frères et sœurs ? demanda Léocadia pour rebondir.

— Deux sœurs. Je suis sûr qu'elles te plairaient, elles sont très gentilles. »

Léocadia en était convaincue. Dans son esprit, il n'existait personne avec qui elle n'était pas amie. À l’exception de son cousin Danny, et encore, ce n'était pas faute d'avoir essayé. Danny avait, depuis toujours, la manie d'embêter sa jeune cousine. Durant les longues journées d'hiver qu'ils avaient passé tous les deux, seuls à la maison, l'oncle George et tante Mary étant partis travailler et où il faisait trop froid et humide pour qu'ils soient autorisés à jouer dehors, Danny n'avait qu'un seul jeu : faire tourner Léocadia en bourrique. Lorsqu'elle tentait de s’entendre avec lui, il faisait tout pour lui rendre la vie impossible. Heureusement, ce départ en pensionnat avait permis à la fillette de s'éloigner de son cousin ;  elle se sentait soulagée de ne plus avoir à esquiver chacun de ses tours.

Il avait deux ans de plus qu'elle. Léocadia pensait qu'à treize ans, on atteignait ce qu'elle avait entendu les adultes appeler la Maturité mais peut-être que cet âge avait été retardé par quelque traumatisme chez Danny. Après tout, elle-même n'avait que onze ans, elle n'en savait pas trop sur ces choses-là. N'empêche qu'elle pensait que son oncle et sa tante avaient tort lorsqu'ils présentaient son cousin comme un garçon très sage et vraiment intelligent. De ce qu'elle avait pu voir, il était l'exact contraire de ces mots.

Interrompant ses réflexions, Kanako s'approcha d'eux avec un air curieux. Presque instinctivement, Gédéon se replia sur lui-même comme si la vue de la fillette lui faisait horreur.

« Qui c'est, là-bas ? demanda la Grande blonde à la peau sombre. »

Elle désigna de l'index un homme chargé d'une brouette que l'on apercevait à travers le treillage. Les enfants plissèrent les yeux, tentant de deviner de leur place qui cela pouvait bien être. Alertés par la main tendue de Kanako, Maggie et les jumeaux s'étaient eux aussi approchés.

« Il n'y a qu'un moyen de le savoir, dit Maggie en rejetant les épaules en arrière. »

Sans perdre de temps, elle s'élança hors de l'allée. Tout en la regardant s'éloigner, Léocadia entendit la voix de Gédéon derrière elle.

« Non, non, ne fais pas ça ! murmurait-il pour se rassurer lui-même, toujours accroupi. »

Avant que quiconque n'ait pu faire un pas pour l'arrêter, Maggie était près de l'homme qui s'était arrêté pour l'écouter. Elle revint ensuite, trottinant et parfaitement calme, une paire de minutes plus tard.

« Hunter Iscil, qu'il s'appelle. C'est Le maître des double, vous savez celui qui nous avait ouvert la grille hier et dont Lady n'arrête pas de nous rabâcher les oreilles.

— Impossible, remarqua Estrella de sa voix douce, on l'a vu passer de l'autre côté il y a à peine une minute. Il allait vers la petite cabane près du portail. »

Son jumeau confirma d'un hochement de tête, leurs mains toujours liées.

« Peut-être qu'il est très rapide, supposa Léocadia, pleine de bonne volonté.

— Impossible, vous avez vu à la lenteur à laquelle il avance ! »

Mais Athaliel n'était pas entièrement de l'avis de Kanako. Dans ses lectures de la veille, il avait trouvé une information qui pouvait leur être utile à cet instant même. Sans prendre le temps de consulter ses camarades, il s'élança hors de l'allée couverte. Un « Athaliel, où tu vas ? » crié par Maggie ne parvint pas à l'arrêter et les enfants n'eurent d'autre choix que de le suivre en courant.

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