Chapitre 2 : Routine

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"NEWS : Harry Styles actually turns down the role of Prince Eric in Disney's live action The Little Mermaid"

Cette fois je ne suis pas dans mon lit lorsque la nouvelle me frappe. Je suis au bureau, tentant vainement de me faire discret pendant que je lis l'article. Mon fidèle filtre me permet de tout comprendre : Harry Styles avait finalement dit non au rôle que Disney lui offrait sur un plateau d'argent. Comment peut-il refuser ? Une chance pareille ! L'argent qu'il aurait reçu...

Bon ceci dit, le gars est déjà assez riche pour vivre parfaitement bien durant une vie de cent ans. J'accueille la nouvelle plutôt bien même si durant ces deux derniers mois, son visage s'était de plus en plus encré dans mon esprit en ce qui concernait le rôle. Me voilà donc curieux, qui vont-ils choisir à la fin ?

- Ça bosse dur dis donc, plaisante Anthony.

Ce n'est pas du tout une menace, ou un reproche. Au contraire, tant que nous sommes discrets, il ne nous est pas interdit de sortir notre téléphone de temps en temps. Je prends encore un peu de temps pour connaître les réactions globales : les fans du chanteur sont déçus, mais la plus grosse majorité de Twitter a l'air soulagé qu'il ne soit plus question de lui. Moi je n'en pense trop rien, j'avais finis par me faire à l'idée, et encore aujourd'hui je pense qu'il serait bien passé à l'écran. Maintenant j'espère juste que le choix final sera à la hauteur de mes attentes.

Je finis par ranger mon portable. Puis je soupire lorsque je me remets au travail.

- Tu t'en sors ?

- Je ne sais pas trop. Chaque fois que j'ai cru bien faire je me suis loupé, je réponds dépité.

- Je te le dis mec, ne signe pas, plaisante Pierrick.

Mes collègues aiment bien me charrier avec ça. Je n'étais que vacataire dans cette boite, au même titre qu'eux d'ailleurs, mais la chef avait proposé de prolonger mon contrat. Ce que j'avais bien évidemment accepté, même si je dois avouer que j'ai soupiré sur le moment (dans ma tête). Que voulez-vous, on ne peut pas dire non à une offre pareille, sachant que rien ne nous attend à côté. Il faut penser à l'argent. J'attends encore de signer ce nouveau contrat.

Je me ramollis sur mon fauteuil et observe les autres. Emilie, Pierrick, Anthony, Mockram... j'ai finis par bien m'intégrer auprès d'eux, surtout que la moitié a l'habitude de revenir souvent. Nous parlons bien, nous rigolons, et travaillons dans une bonne harmonie. Nous avons la capacité de bosser dans le silence total et de soudainement éclater en fou rire tous ensemble, je ne pouvais demander mieux comme environnement professionnel.

Mais au delà de ça, ils ne restent que des collègues, ils ne sont en rien des amis. Je ne connais rien de leur vie intime au même titre qu'ils ne savent rien de la mienne. Mon orientation sexuelle est une chose que j'ai mis un point d'honneur à ne pas crier sur tous les toits et ce n'est pas une question d'assumer ou non. J'assume, mais j'ai jugé que ces personnes n'encouraient pas le besoin capital de me connaître aussi bien, de plus je ne leur ai jamais mentis. Si l'occasion devait se présenter et que je doive me dévoiler entièrement, je le ferais. Mais comme nous ne sommes pas amis, ce n'est jamais arrivé...

- Bon appétit à tout à l'heure.

Emilie était toujours la première à aller manger. Elle sort du bureau en oubliant son sac, comme souvent, trop souvent même. Elle est la plus âgée d'entre nous, elle qui est dans la quarantaine. A vrai dire je suis le plus jeune dans ce bureau, bien que nous restons majoritairement en dessous de la trentaine. Nous avons tous le même titre de vacataire, aucun de nous ne se croyait supérieur de par nos âges.

Emilie finit par revenir dans le bureau en petites foulées.

- Rho je suis blonde.

Elle ramasse son sac et file comme le vent. Je ne la blâme pas, moi aussi je taille quand il est l'heure de partir. Malgré mon impatience, les minutes finissent par défiler et midi finit par me sauver. Je n'ai qu'une pause d'une heure, mais une libération est une libération ! Je saute du fauteuil, souhaite bon appétit à ceux qu'il reste, et je m'en vais pointer. Une fois fait, je monte en voiture et rentre tranquillement chez moi.

Même le chemin est monotone, c'est le même trajet encore et encore. Matin, midi et soir. Tous les jours. Bien que je respire déjà mieux d'être sortis, je sais que ce sera de courte durée et que bien trop tôt je serai de retour dans ce bureau. Bureau qui a été bien trop chaud en été et qui est déjà bien trop froid maintenant que les jours se raccourcissent.

J'en ai marre de me plaindre alors que c'est exactement ce dont j'ai besoin ! Un travail décent, pas trop mal payé et des collègues sympas... que peut-on vouloir de mieux ! Pourtant je sais au fond de moi que je suis en mal de quelque chose, une chose que je sens vitale à mon bonheur. Le pire c'est que je suis incapable d'identifier cette chose.

J'avale les kilomètres inconsciemment, arrive chez moi après dix minutes, je mange sans prendre mon temps et me pose dans le canapé. Je n'avais déjà plus qu'un quart d'heure avant de devoir pointer à nouveau.

Je croise toujours ma sœur Laura avant de partir, elle qui rentre aussi manger, même si elle n'habite plus chez notre père. C'était plus confortable pour elle, cette maison est beaucoup plus près de son travail.

Laura est une femme qui se rapproche maintenant de la trentaine et malgré cela, elle reste l'enfant avec qui j'ai grandis, accompagnés de notre grande sœur Ninon. Nous sommes adultes et pourtant c'est comme si nous étions toujours ceux que nous étions il y a fort longtemps. Nous ne nous chamaillons plus en revanche, c'est la seule chose qui a véritablement changé. Malgré nos vieilles promesses machiavéliques de se haïr à tout jamais, nos relations devenaient de plus en plus fortes avec le temps qui passe. Nous sommes toujours les mêmes mais nous comprenons le lien fort qui nous unit, le lien du sang. Chaque frères et sœurs comprennent ce lien avec les années, du moins pour ceux pour qui la vie se passe bien. Me voilà encore privilégié.

- Comment ça va ? me demande Laura en s'asseyant à table.

Elle prend ses aises comme si elle n'était jamais partie de cette maison. Elle sait bien que si quelque chose de mal devait arriver, les portes de notre père seront toujours ouvertes, nous le savons tous les trois.

- Bien, je réponds simplement.

Elle ne s'embête pas à comprendre. Puisqu’il n'y a rien à comprendre : je n'ai jamais été un grand bavard, tous les gens qui me connaissent en sont conscients. Répondre simplement ne veut pas dire que je ne vais pas bien, mais tout bonnement qu'il n'y a rien de spécial à ajouter. Ce qui est une bonne chose.

Je préfère toujours écouter mes interlocuteurs plutôt que de parler, c'est ainsi depuis toujours et peut-être que je ne changerai jamais. Je ne suis pas malheureux comme ça, j'essaie de m'accepter comme je suis. Merci pour moi, mes proches m'acceptent également.

- Toujours bon pour ce week-end ? lance ma sœur entre deux bouchées.

- Oui !

Et comment que oui ! Dés samedi matin nous partirons tous les trois pour Londres. C'est un voyage qui relève de l'au delà de mes espérances. Nous n'avons jamais eu l'habitude de partir dans cette famille, nous sommes allés en vacances dans le sud une fois lorsque nous étions enfants, je ne m'en souviens même pas. Chaque été j'ai dû subir le départ de tous mes amis, qui eux partaient vivre de supers semaines dans un autre pays, ou au moins dans un autre département. J'ai toujours été jaloux de ça, et ne demandais jamais excessivement de potins lorsqu'ils revenaient. La notion de voyage est quelque chose qui m'est inconnue. Je n'ai jamais rien vu d'autre que notre bonne vieille ville.

Mais maintenant que nous avions tous les trois un travail mes sœurs et moi, nous avions décidé de faire une folie et de partir un week end à Londres, surtout grâce à quelques aides supplémentaires. Ce n'est probablement pas grand chose, après tout ce n'est pas très compliqué d'aller là-bas, mais pour nous il s'agit de toute une aventure.

Le fait que nous partions dans un pays anglophones est bien sûr un véritable bonheur pour moi, et c'est d'ailleurs grâce à mon aisance linguistique que la ville de Londres est devenue un choix simple et logique.

- Vivement.

Je récupère ma sacoche et me prépare à partir une nouvelle fois pour le travail. Encore. Effectivement, vivement Londres. Je compte profiter de ce week end autant que possible, essaierai de déconnecter mon cerveau de sa monotonie.

Monotonie qui continue de me faire languir durant la semaine entière. C'est plutôt étrange, certaines journées passent rapidement, et d'autres mettent un temps fou à se terminer. Pourtant ce n'est pas la charge de travail qui varie pour changer ça, j'imagine que ce n'est qu'un état d'esprit. Vous n'avez aucun mal à savoir dans lequel je suis ces temps ci, je pense.

Mardi - Mercredi - Jeudi.

Le jeudi je suis déjà épuisé. Je me demande pourquoi d'ailleurs, après tout je ne bosse pas dehors ou en usine, parfois je me sens coupable de m'estimer fatigué. Mais même ce métier tranquille a parfois ses moments intenses et embêtants. Lorsque je rentre le soir, je me sens plus libre que jamais, sachant qu'un super week-end nous attend, et que lundi je serai toujours à Londres grâce à un congé que je poserai demain au préalable.

Je me sens fou, mon cœur bat la chamade rien que de m'imaginer me promener tranquillement dans les rues anglaises. L'effet vigoureux de la ville est aussi quelque chose qui m'est inconnu, celle dans laquelle j'ai toujours vécu est bien trop paumée pour qu'il ne s'y passe quoique ce soit. Le fait qu'un trottoir soit emprunté par plus de cinq personnes à la fois relève du miracle, il me semble que la fête de la musique est la seule période dans l'année où les gens se rassemblent, je n'y vais même plus de toute façon, c'est d'un ennui sans nom.

Londres promet beaucoup de nouvelles choses, je suis littéralement subjugué par la seule idée de me promener entre ces murs. Bien sûr en un week-end il me sera impossible de tout visiter, mais j'ai bien sûr quelques priorités, dont Big Ben et The Tower Bridge.

Dans ma rêverie je n'entends même pas ma sœur Ninon qui me rejoint timidement.

- Jordan ?

- Ouais ?

Stop ! Inutile qu'elle en dise plus. Mon bonheur apparent se fane en même temps que je remarque sa mine déconfite.

- A cause de quoi ? je demande sans cacher ma déception.

- Une cliente lundi... je ne pourrai pas y échapper, je suis désolée. Allez-y sans moi.

- Non, on était d'accord pour y aller les trois. On y va ensemble ou rien.

- Promis ce n'est que partie remise.

- Si on y allait c'est parce qu'il y avait des offres spéciales. Quand veux-tu qu'on y aille maintenant ?

- Je ne sais pas. On n’a pas forcément besoin d'offres pour y aller. N'importe quand.

- Ouais mais tout était bien pratique pour nous trois pour ce week end en particulier.

Ressaisis toi Jordan ! Tu sais très bien qu'elle n'y peut rien !

La déception est juste tellement amère... c'est vraiment dur de résister à la nécessité de faire la gueule. C'est frustrant de sentir s'écrouler la joie que tu prends soin de bâtir jour après jour. L'espoir de voir plus grand, de faire plus. Mais je dois être une bonne personne, et non pas un petit ingrat. Je lui épargne d'avantage d'explications et lui assure que ce n'est pas grave. J'essaie même de lui servir un sourire en coin. Je n'imagine pas la tronche que je dois lui servir, le forcing au maximum...

Comme ils diraient à Londres : life is a bitch.

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