Chapitre 3 : Le kiné

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"SCOOP : Disney’s Little Mermaid has found the perfect Prince Eric, and fans are still disappointed it’s not Harry Styles”

Il s’était passé des mois depuis que notre voyage à Londres s’était annulé, un an maintenant que ma routine continuait sans fin. Mais aujourd’hui, pendant que je suis en train d’examiner l’acteur choisit pour incarner le Prince Eric, je m’apprête à commencer un nouveau travail : agent d’accueil dans une structure d’aide à la recherche d’emplois pour les jeunes. J’avais terminé mon précèdent contrat et avait dit au revoir à mes anciens collègues, des gens que j’allais regretter. Tandis que le stresse monte de devoir débuter dans une nouvelle structure, je souris face à la photo que j’observe : c’est finalement le peu connu Jonah Hauer King qui représentera mon Prince favori à l’écran. Très charmant. Yeux bleus, cheveux noirs et il a même les fossettes du personnage. Je savais qu’il était bon de faire confiance à Disney, ce type est absolument parfait. Me voilà rassuré. La production s’était mise en pause à cause du COVID19, mais ce n’était plus qu’une question de temps avant qu’elle puisse officiellement commencer, et le gamin en moi jubilait férocement.

Il est temps de quitter les réseaux sociaux et de revenir dans le monde réel : j’enfile mes chaussures et monte en voiture. Le trajet est guère plus long que celui que j’effectuais un an auparavant, mais je ne me leurrais pas, me connaissant je savais que très vite, il me paraitrait aussi court et fade que le précédent. Ce n’était pas une histoire d’épanouissement, ce travail tout comme celui d’avant offre un large choix pour s’épanouir professionnellement. Le problème était autre part. Plus le temps passe et plus je me demande s’il ne serait pas bon de consulter un psychologue, j’avais dépassé l’âge de trouver ça dérangeant. Après tout, ça ne pouvait pas me faire de mal de parler à un professionnel, je continuais de pondérer sérieusement cette option.

Mais finalement cela ne se fit pas au cours des mois suivants. J’avais commencé mon travail et tout se passait bien, j’y avais pris siège avec un peu de maladresse mais j’avais fini par m’y sentir à ma place. Les collègues étaient agréables et sympathiques avec moi, je faisais maintenant partie de l’équipe. Les jours passaient et se ressemblaient, malgré cette épidémie qui n’en finissait plus, au grand dam du monde entier. Pourtant malgré tout, je restais dans cet état d’esprit constant, celui où je ne réussissais pas à me sentir complet, je m’agaçais tellement que je ne supportais plus mes propres jérémiades intérieures.

Un matin du mois de Juillet, je pars au travail comme d’habitude, réalisant les tâches quotidiennes comme un robot. J’ouvre l’accueil, vérifie le traitement du courrier et les messages vocaux. Les gens appellent et laissent des messages à vingt heures du soir ! Croient-ils vraiment que la structure est encore ouverte à cette heure-là ?! Ils sont mabouls ou quoi. Je relève les demandes nocturnes des inscrits puis, petit à petit, les collègues finissent par arriver. Chloé est une jolie fille un peu plus jeune que moi, nous avions sympathisés dès le début, bien que nous nous connaissions que très peu sur le plan personnel. Elle me parlait souvent de son copain et cela me faisait doucement rire : parfois je me demande si ce n’est pas une ruse féminine pour éconduire les garçons de son entourage. Ah ! Si elle savait. Elle n’a rien à craindre de moi évidemment, je ne lui ai jamais dit que j’étais homosexuel, comme dans mes précédents bureaux, elle ne m’a jamais officiellement demandé, ou n’a fait d’allusion à ma vie personnelle. C’est ça qui est dommage au travail, les relations entre collègues sont sympathiques, mais elles sont ce qu’elles restent : de la cordialité entre collègues. Rien de plus. Ce n’est pas comme si nous étions devenus amis.

La journée passe dans une chaleur épouvantable, et il n’y avait rien pour lutter contre les ondes bouillantes qui s’infiltraient dans mon bureau. La climatisation est interdite à cause du virus, posséder un ventilateur également, nous ne pouvons que subir les journées chaudes. C’est en m’éventant au mieux avec un dossier prit au hasard que je réussis à ne pas me liquéfier sur place, accompagné d’un fidèle brumisateur qui n’était pas destiné à faire long feu. Tandis que je me trisse de l’eau au visage une énième fois, Françoise, la directrice, entre sans crier gare. Françoise est une femme d’un certain âge qui est certes stricte, mais souvent drôle. Le genre de boss super sympa mais qui attend un travail impeccable en retour. C’est légitime.

- Jordan ça va ? Vous tenez bon ? me demande-t-elle avec son masque sur le bec.

- Je fais au mieux, merci Françoise, je réponds avec un demi sourire.

Françoise avait tout fait pour essayer de nous octroyer la clim, mais il était clair qu’elle se la faisait refuser à chaque fois, et maintenant, elle s’énervait quand on lui en reparlait. Elle ne quittait jamais son masque, j’avais presque oublié à quoi elle ressemblait sans le bout de tissu qui lui cachait le bas du visage. Elle psychotait beaucoup face au virus et était maintenant reconnue pour être terrifiée de s’approcher trop près des autres. Avait-elle raison ? Exagérait-elle ? Je préfère ne pas me poser la question.

Elle quitte le bureau et se dirige vers les autres, pour s’assurer que tout le monde va bien. Moi, je me mets face à mon ordi, maudissant mon rendez-vous chez le kiné à 17H30. A cause d’une chute minable des mois plus tôt, mon genou s’était luxé (sans commentaire niveau douleur) et réclamait maintenant d’être remis à neuf. Première séance seulement aujourd’hui, je n’ai pas envie d’y aller ! Tout ce que je veux c’est rentrer chez moi dès que possible et me jeter sous la douche…

La journée passe avec une lenteur insoutenable, le peu d’activité à l’accueil n’aide pas, mais finalement, après des heures interminables, il est temps d’éteindre l’ordinateur. Ayant encore trente minute à perdre avant le kiné, je m’autorise quelques courses et de remplir mon moteur d’essence. Une fois mes besognes terminées, je me rends en ville pour entamer cette longue série de rendez-vous. Une fois arrivé, je sonne et reste dehors au soleil, à la demande d’un signalement collé à la porte, fichu COVID…

Autour de moi se trouvaient plusieurs personnes âgées, ils me regardent avec questionnement. Je ne pensais pas que la moyenne d’âge des clients était aussi élevée. J’observe les alentours avec intérêt, le cabinet était plutôt mal placé, il était dur de se garer dans les environs, mais heureusement je suis à l’heure.

Mon nom finit par être appelé, je me retourne et découvre un jeune garçon qui observe la foule devant la porte. Je me détache du groupe et m’avance vers lui. Durant un très court instant son visage trahit la surprise de voir un patient plus jeune. Une fois en face de lui il m’invite à entrer, son masque sur le visage ne m’empêche pas de remarquer à quel point il est mignon. Je baisse les yeux en maudissant ce détail, pitié j’en ai marre de voir des beaux garçons partout. Je me connais que trop bien… dès le soir même je me surprendrai en train de rêvasser à mon tout nouveau kiné.

Il est très jeune, probablement mon âge, guère plus âgé peut-être. J’imagine que quand on fait de bonnes études et qu’on arrive à rester sérieux on peut exercer aussi tôt, je ne sais pas comment ça se passe : il est clair que moi, je n’avais pas fait pareilles études. Il n’empêche qu’il est dans ma tranche d’âge et que cela rend la chose un peu gênante, sans compter sur le fait qu’il soit beau et musclé (des bras énormes !). Outre ces faits superficiels, j’étais réticent à avoir un kiné si jeune, comparé à son rythme de sportif, je vais avoir l’air bête à transpirer autant avec des exercices aussi simples…

Il se présente en tant que Clément, et me demande que l’on se tutoie directement (avec plaisir Clément !). Il analyse mon genou droit et remarque tout de suite le problème, il est effectivement « aussi vif que du chewing-gum », d’après ses propres mots. Autre surprise, il décrète que le gauche, qui en soit n’a rien, est aussi un peu mollasson. Super. Il me présente un peu la façon dont il s’occupera de moi cet été, et je me dis que si le kiné est aussi sexy, lui rendre visite deux fois par semaine n’était pas aussi dérangeant.

Ugh je me déteste, je suis vraiment trop prévisible ! Il ne me faut vraiment pas grand-chose pour m’emballer ! Comme beaucoup d’autres fois j’affiche un visage neutre pour dissimuler tout l’intérêt qu’il fait naître en moi. Non seulement je paraissais indifférent car nous sommes sur son lieu de travail et que ce ne sont pas des circonstances appropriées, mais aussi car lorsque qu’un garçon me plaît, mon premier réflexe est de le cacher à tous prix. Je ne comprendrai jamais les gens qui arrivent à assumer et qui draguent ouvertement. Je n’ai jamais été comme cela, et je dois dire que j’envie ces personnes. De plus il est probablement hétéro, mon gaydar n’est pas en alerte.

- Tu tiens en équilibre sur ta jambe droite tout en pliant légèrement le genou et en le tournant vers la droite. Tu me suis ?

- Hm mh.

Je le quitte des yeux pour m’adonner à l’exercice. Malgré la douleur que je ressens très vite, je tiens en place pendant que lui me détaille de près. Je sens ses yeux sur moi, j’espère que je ne suis pas en train de rougir.

- Bien, dit-il. Tiens cinq secondes de plus et tu fais pareil de l’autre côté.

Je m’exécute. Avec surprise je tiens beaucoup moins bien sur mon genou gauche, qui normalement est censé être en pleine forme. Pas de douleur, mais peu d’équilibre. D’un coup je vacille et manque de tomber. J’arrive à voir que derrière son masque, Clément me sourit.

Nous répétons l’exercice, il me conseille de bien encrer mes orteils dans le sol, j’obéis à tout ce qu’il me demande. D’autres exercices sont exécutés, et comme prévu ma nuque devient rapidement poisseuse de sueur, je n’étais pas d’un naturel très sportif. Respirer dans le masque est un calvaire, heureusement il m’autorise à reprendre mon souffle entre deux exercices.

La séance finit enfin par prendre terme ! Ouf !

Clément me fixe deux rendez-vous pour la semaine prochaine et me souhaite bon courage pour les exercices maison. Je me désinfecte les mains, et sors en trombe du cabinet. J’enlève cet horrible masque pour respirer un maximum, malgré qu’il n’y ait que de l’air chaud à inhaler. Je ne dois pas être beau à voir avec ma tronche trempée de sueur et mon débardeur me collant comme une deuxième peau, je m’empresse de fuir dans ma voiture et rentrer à la maison prendre une bonne douche.

Imbécile ! Je suis en train de repenser au kiné. Non Jordan ! Ne te laisse pas avoir ! C’est quand même dingue d’être sur le point de faire une belle bourde, d’en être conscient, et d’y jeter les pieds dans le plat de toute manière ! Je ne connaissais que trop bien ce genre de problème.

J’avais eu quelques coups de cœur dans ma vie, pas beaucoup à vrai dire, mais le peu de personnes que j’ai désiré se sont révélées ne pas être les meilleurs choix, bien au contraire. Entre le garçon que je n’intéressais pas du tout, celui qui est déjà en couple, et l’hétéro… j’avais mon comble ! Et pourtant me voilà posé dans le fauteuil, livre à la main, à relire la même phrase à cause de mon esprit embrumé par les yeux noisette de Clément, mon fichu Kiné.

Y a-t-il plus pathétique ? Je me maudis.

Le lendemain au travail, une bonne surprise finit par me tomber dessus : étant donné que ma collègue avec qui je partage l’accueil a prit tout son mois de Septembre pour ses vacances, je devais prendre celui d’Août. Emballé par tous les plans qui me montent à la tête, je commence le travail de bonne humeur. A tel point que même la chaleur n’arrive pas à me mettre au sol, la journée se passe sans problème, et l’heure de partir arrive bien plus vite que le jour précédent.

Une fois rentré le soir, j’accorde la bonne nouvelle à mon père et à ma sœur. Celle-ci m’offre un grand sourire.

- J’ai deux semaines de repos en Août et Laura aussi, on peut se faire ce voyage à Londres...

Je souris, le cœur battant.

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