Chapitre 5 : Mrs Avery

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« FLASH INFO : Lady Gaga to star in Ridley Scott’s new Gucci murder film alongside Florence Pugh and Harry Styles and fans are delighted ».

Quel plaisir de commencer cette nouvelle journée à Londres avec une si bonne nouvelle ! Contrairement à la plupart du monde entier, je ne suis pas un grand friand de musique en particulier. Elle m’accompagne de temps en temps lorsque je suis en voiture ou lorsque je me détends dans une baignoire, mais s’il y avait bien une artiste qui m’impressionnait, c’était bien Lady Gaga. C’est connu, elle est très appréciée au sein de la communauté LGBTQ+, et je ne dérange pas à la règle malheureusement, je suis aussi prévisible que l’on peut être. Lady Gaga, à la surprise de beaucoup de gens, a crevé l’écran dans le premier film qu’elle a tourné, obtenant ainsi la bénédiction des personnes les plus hésitantes lorsqu’il s’agissait d’elle. Depuis ce premier film c’est comme si le monde s’était enfin réveillé et avait reconnu le talent de cette femme. Je suis bien content pour elle, quant à Florence Pugh (que ne je connais que de nom) et de Harry Styles que grand bien leur fasse. Je ne suis pas sûr d’être attiré par le synopsis de ce nouveau film, mais il me tarde d’aller le voir rien que pour soutenir ma chanteuse favorite.

Je continue de traîner au lit le temps que mes sœurs sortent de leur chambre. Au bout d’environ vingt minutes à regarder mes réseaux, elles finissent par sortir enfin. Après une toilette rapide nous descendons au rez-de-chaussée pour prendre notre petit-déjeuner.

- Heu…

Ninon, Laura et moi-même réagissons en même temps : des œufs brouillés avec du bacon. Je ne suis pas le seul à jouer sur les clichés on dirait. Heureusement des plats plus communs sont aussi présents, je me prends un bout de pain avec un peu de beurre.

Mon petit déjeuné est dérangé par l’œil curieux de Mrs Bailey, la réceptionniste, qui ne me lâche pas des yeux pour une raison qui m’échappe. C’est quoi cette manie de dévisager les inconnus des yeux ? Une tradition anglaise ?

Je n’ai pas oublié ma rencontre avec le charmant inconnu hier soir, j’y avais songé jusqu’au moment où j’étais tombé endormis. C’est aussi la première chose à laquelle j’ai pensé en me réveillant.

Moi et mes sœurs nous dépêchons de manger pour ne pas louper le tramway qui nous conduira non loin du Buckingham Palace, autant visiter les classiques en premier. Nous retournons en haut pour terminer rapidement notre toilette puis nous filons aussitôt.

La journée n’est remplie que de rires, d’émerveillement et de photos. Celle où je pose à côté d’un des gardes de la Reine est définitivement celle que je préfère ! J’ai encore du mal à réaliser que je suis enfin sorti de mon département, même de mon pays et c’était la sensation la plus libératrice qui puisse être.

Etait-ce donc cela qui manque à mon bonheur ? Depuis combien de temps maintenant je broie du noir, seul dans mon coin ? Voyager était-ce vraiment la solution ?

Après nous être restauré le midi dans un bar sympathique, nous continuons notre exploration jusqu’au clocher Big Ben. C’est absolument magique de le voir en vrai, de vieux souvenirs refont surfaces : moi devant ma télé, regardant Peter Pan et ses amis se poser délicatement sur les aiguilles pour filer dans le vent, la chanson me remonte en mémoire et ne me laisse pas tranquille de tout l’après-midi. « Rêve ta vie en couleur, c’est le secret du bonheur », jamais je n’avais autant compris le message avant aujourd’hui.

- Excusez-moi Monsieur, pourriez-vous nous prendre en photo ? je demande à un homme d’âge mûr.

Il accepte sans hésiter, le sourire aux lèvres. Je prends mes sœurs dans mes bras, les yeux et le sourire braqués vers l’objectif. Jamais je ne pourrai prendre assez de photos pour immortaliser cette semaine magique.

Après avoir passé l’après-midi dans des musés et des boutiques souvenirs, nous décidons de ne pas rentrer trop tard. Exténués nous décidons finalement d’utiliser le métro, et après de longues minutes à se gratter la tête, nous comprenons à quel arrêt descendre pour ne pas atterrir trop loin de notre auberge. Lorsque nous arrivons, une femme est présente vers la porte d’entrée, appuyée contre le mur, ses yeux se braquent sur moi. Elle ne cesse de me regarder jusqu’à ce que je disparaisse à l’intérieur du bâtiment.

Allons donc ! Pourquoi les gens me dévisagent de la sorte ?

Mrs Bailey me fixe également rentrer, l’air de vouloir me dire quelque chose, mais finalement c’est une voix derrière moi que j’entends m’appeler.

- Excuse me young man !

La surprise digérée, je me retourne pour découvrir la femme de dehors. Elle me rejoint en trombe et me regarde avec un grand sourire enjoué, elle me détaille des pieds à la tête.

- Oui ? je demande suspicieux.

Peut-être avais-je fais tomber quelque chose en passant. La femme qui se présente devant moi est une grande femme mince, à l’allure un peu sévère, malgré le sourire qu’elle aborde. Ses cheveux gris sont tirés dans une queue de cheval serrée, et ses lunettes tombent sur le bout de son nez.

- Je m’appelle Grace Avery, votre nom est-il bien Jordan ? me demande-t-elle sur un ton étonnamment extatique.

- Oui c’est moi, je réponds anxieux.

- Ça ne pouvait être que vous !

Mes sœurs échangent un regard perdu, elles comprennent à peine notre conversation, mais l’enthousiasme de cette Mrs Avery ne pouvait passer inaperçu. Celle-ci, voyant mon air ahuri s’empresse d’ajouter :

- Je suis directrice de casting, et on m’a prévenu qu’un garçon résidait ici et qu’il ressemble exactement à la description d’un personnage que nous voulons caster.

- Oh…

Je ne sais pas quoi répondre, abasourdi par ce que je venais d’entendre, mes sœurs elles, continuent de s’interroger sur ce qu’il se passe. Moi ? Intéressant pour un rôle ?

J’aurais pensé qu’une occasion pareille me ferait grandement plaisir, or je reste planté là, ne sachant même pas quoi penser. Prenant mon silence pour de la méfiance elle me sort une carte de visite.

« Grace Avery, casting director » indique la carte pour la majeure partie. Le reste authentifie des mails et des numéros de téléphone.

Je ne dis toujours rien, que ce soit en anglais ou en français, les mots me manquent.

- May we speak alone for a moment ?

Je me ressaisis. Je n’avais pas compris ce qu’elle venait de dire. J’accepte de lui parler en privé après lui avoir fait répéter sa demande.

- Tout va bien ? me demande Ninon.

- Oui, ça va heu… je vous rejoins là-haut.

Mes sœurs disparaissent, non sans effacer un air concerné. Mrs Avery m’invite à m’asseoir en face d’elle sur une des tables de l’accueil. Je continue de la fixer sans ciller, comme un enfant regarde un adulte. Quant à elle, elle continue de me dévisager.

- Je suis navrée de vous perturber comme ça, dit-elle en remontant ses lunettes. Permettez-moi de développer un peu. Mon métier est de me mettre en place des castings pour diverses firmes et mettre en place une production, puis après avoir bien écouté les directives des directeurs et lu attentivement le scénario, je me charge de dénicher les candidats parfaits.

Je n’ai pas eu de problème à tout comprendre, au contraire je suis bien trop concentré, de plus je décèle un accent américain qui m’est très familier. Je sais bien ce qu’est un directeur de casting, j’attends encore le moment où elle m’explique pourquoi elle m’annonce tout ça.

- Ecoutez, reprend-t-elle. En ce moment et depuis quelques semaines maintenant je cherche un jeune homme pour une prochaine production à venir. Le fait est que vous ressemblez totalement à la description du personnage. Lorsqu’on m’a prévenu j’étais dubitative de venir voir moi-même mais je dois admettre que vous êtes exactement le profil recherché. Physiquement en tous cas.

- Et alors, qu’est-ce que ça veut dire pour moi exactement ?

- Vous accepteriez de passer un casting ?

Le sifflet coupé, je la regarde avec de grands yeux, comme si j’allais pouvoir y déceler une quelconque farce. Jamais je n’avais passé de casting, encore moins essayé de prouver un talent pour la comédie. J’ai bien fait du théâtre une année dans mes études supérieures, mais tellement peu de monde se présentaient que chaque candidature était acceptée d’office. Même si j’avais adoré l’expérience, je n’avais jamais eu le devoir de prouver mes compétences devant de vrais professionnels. Le cœur me monte à la gorge, je ne sais rien de cette bonne femme, pour qui elle travaille et encore moins pour quoi j’auditionnerais. Si c’était des bêtises ? Une femme mal intentionnée ?

- Si je disais oui, ça se passerait comment ?

Un sourire étire ses joues.

- Nous avons de la chance, demain sera justement un autre jour d’audition. On attend à peu près une centaine de candidats, si vous pouviez passer ce serait bien.

J’en tombe des nues, le rouge me monte aux joues. Ça ne pouvait être vrai…

- Bon d’accord, je ne vais pas vous cacher que ce n’est pas la procédure normalement. Il faut d’abord passer par une candidature par mail en premier lieu et ensuite être sélectionné pour un casting. Mais vous ressemblez tellement à la vision du personnage que je suis prête à vous laisser passer pour ce premier tour.

- Vous savez, je ne suis pas d’ici, je suis français, la semaine prochaine je serai de retour en France.

J’ai l’impression que sa déception se reflète dans la sienne. Elle pondère mes paroles quelques instants.

- Je me disais bien que j’entendais un léger accent, dit-elle en souriant. Je vous en prie, passez au moins le premier casting, vous ne perdriez rien.

- Le fait que je sois français ne pose pas de problème ?

- Je ne pense pas, vous vous débrouillez très bien !

- Vous savez, je ne suis pas comédien, je n’ai jamais participé à aucune production sérieuse.

- Comme beaucoup de candidats.

- Et si mon casting est un échec ?

- Ah ça, c’est le souci de tout le monde. Vous n’auriez toujours rien perdu, sauf votre journée peut-être, c’est tout.

Je reste dubitatif et ne sais plus quoi répondre. C’est faux, je perdrais ma journée et possiblement ma dignité… surtout que c’est uniquement physiquement que je les intéresse. Elle me regarde dans les yeux, ayant l’air de compatir à ma réticence.

- Monsieur, c’est la première fois que je me déplace en personne pour quelqu’un. Un directeur de casting ne va pas à la pêche aux candidats. Il fait passer des annonces et procède aux castings. Je suis venue ici exprès pour vous demander de participer, nous cherchons une personne vraiment particulière pour cette production, on m’a dit que vous seriez bien pour un essai et…

Je ne peux m’empêcher de lui couper la parole :

- D’ailleurs, qui donc vous a dit que je résidais ici ? Qui est derrière ça ?

Je me tourne vers Mrs Bailey, c’était la seule personne qui aurait pu faire ça. Elle est derrière son desk, un œil discret braqué sur nous

- Une personne qui vous a croisé ici hier soir. Apparemment il a vu votre carte d’identité et a pu me donner votre nom. Je m’en excuse, il est vrai que ce n’est pas très correct, mais vraiment, il a insisté que vous en valiez la peine.

- Qui est-ce ? Ce garçon que j’ai croisé, je me disais bien qu’il me regardait avec insistance.

Mrs Avery ne peut s’empêcher d’éclater de rire tandis que je la regarde avec une bouche bée.

- Il m’a bien dit que vous ne sembliez pas le connaître, mais j’y croyais difficilement ! rit-elle encore. Ça doit être le masque je suis sûre.

Soudainement mon cœur saute dans ma poitrine, et en me redressant sur mon siège je demande une nouvelle fois :

- Qui est-ce ?

Je ne sais toujours pas à vrai dire, je n’arrive pas à mettre un nom sur ce regard. Au moins je n’étais pas fou, je me disais bien qu’il y avait quelque chose de familier chez lui. Mrs Avery contrôle son rire pour approcher son visage du miens et arbore un sourire malicieux.

- Venez demain et vous saurez peut-être.

Un silence s’installe. Pas un silence dans lequel mes pensées confuses s’affolent, non, une pause où je considère réellement accepter le défi. Je connaissais ce gars, j’en étais certain.

- En quoi il est mêlé dans cette histoire ? je demande sans pouvoir m’empêcher.

- Il a décroché le deuxième rôle récurent.

- Et moi, j’auditionne pour quel rôle ?

- Le premier.

Mon calme commence à s’envoler, j’ai désespérément envie de défouler l’excitation qui commence à monter en moi. Je frappe le sol de la pointe de mon pied, les yeux grands ouverts.

- Pour qui travaillez-vous ?

- Disney Enterprises Inc.

Mon pied s’immobilise d’un coup. Je reste de marbre, les yeux soudainement dans le vide.

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