Chapitre 6 : L'audition

9 minutes de lecture

« NEWS : Disney is working on a new movie, set to be directed by well known director Francis Lawrence, and though the script is currently in writing, no release date has been announced »

Je relis l’article pour ce qui doit être la dixième fois. Je me souviens avoir eu vent de cette bonne nouvelle : un nouveau film Disney, pas de Live Action, ni un long métrage d’animation. : un film original déjà en cours d’écriture. J’ai dû retourner dans les archives Internet de 2018 pour retrouver cet article, il leur aura fallu deux ans pour enfin commencer la production, et aujourd’hui, j’allais auditionner pour ce film…

Un goût amer se répand dans ma bouche, tandis que je me force à ne pas claquer des dents. Je n’ai clairement pas dormi de la nuit, ne pensant qu’à mon échange avec Mrs Avery qui s’est terminé tard dans la soirée de la veille. Ma main qui repose dans ma poche chiffonne le papier où est inscrit l’adresse à laquelle je dois me rendre pour 7 heures ce matin. Mes sœurs finissent par sortir de leur chambre. Aussitôt, elles s’assoient vers moi, l’air encore inquiet.

- C’est bizarre quand même, me dit Ninon sans trop développer.

- Je sais, tu n’arrêtes pas de le répéter depuis hier soir, je réponds sans émotion.

Je ne pouvais pas lui en vouloir, je me répète la même chose en boucle depuis dix heures d’affilées : c’est bizarre.

- Dommage qu’on ne puisse pas venir, ajoute Laura.

J’avoue que cela ne me rassurait pas. Mrs Avery avait été claire, les candidats doivent venir seuls, l’évènement est étroitement surveillé, rien ne doit être divulgué. Il s’agit tout de même d’une production Disney dont il est question, j’imagine bien un garde à chaque porte.

Moi dans un film Disney ? La nervosité m’oblige à ricaner seul dans mon coin. Mes sœurs s’échangent un regard sans poser de question.

Je n’arrive pas à croire que je m’embarque dans cette histoire, j’allais me ridiculiser devant le jury, Mrs Avery allait se sentir bête de s’être déplacée et de m’avoir poussé à venir. J’en ai l’estomac qui se retourne.

- Tu ferais mieux d’aller manger un truc.

Je refuse d’un signe de tête. Hors de question, non seulement je n’ai pas faim, et qui sait ce qu’il se passerait si je mangeais et que le stresse était trop intense…

Entre toutes les catastrophes qui pouvaient arriver, je m’imagine vomir un geyser de jelly anglaise devant les professionnels. Je cache mon visage dans mes mains. Evidemment c’était une chance, je ne suis pas complètement négatif face à ce défi surréaliste mais jamais je n’aurais cru qu’un évènement pareil puisse arriver, il est dur de gérer les sentiments positifs et négatifs en même temps.

Le temps de partir finit par arriver, je me lève sur mes jambes de coton et passe la porte, sous l’œil éberlué de mes deux sœurs. Je marche dans le froid durant quinze minutes pour rejoindre la station de métro, le temps passe à une vitesse folle, mon esprit est tellement préoccupé que je fais à peine attention à ce qu’il se passe autour de moi. Je n’apprécie pas les bâtiments, les parcs, les voitures…

Je regarde droit devant moi.

Après m’être renseigné encore et encore sur la destination à prendre, je ne me pose pas de question lorsque je descends à un arrêt, non loin du point final. Je regarde une nouvelle fois sur mon téléphone pour ne rien manquer. A droite, puis encore à droite, tout droit et enfin sur le côté gauche.

J’arrive devant un grand bâtiment qui ressemble à un immense gymnase. Une queue de jeunes hommes patiente dehors, attendant de pouvoir entrer. Tiens donc, il y a deux gardes devant l’entrée, j’en étais sûr. Je me dépêche et me place derrière le dernier garçon de la file. Blond au teint pâle, ce qui est bien différent de mes cheveux noirs et mon teint bronzé. Le casting est ouvert à tout le monde évidemment, alors quel intérêt d’avoir une préférence physique pour moi ?

Une fois placé, mon sang se glace après qu’une marée de yeux curieux se tourne vers moi. Tous les garçons s’étaient retournés pour me regarder, m’étudier même, puis ils se retournent lentement pour faire de nouveau face aux portes d’entrée. Ce fut l’expérience la plus bizarre que j’ai eu à expérimenter de toute ma vie et malgré que je ne sois plus observé, je n’ose plus bouger.

La file avance lentement mais sûrement, je me demande bien ce qu’il y a à l’intérieur. Je sens d’autres personnes arriver derrière moi, et bien que je comprenne l’envie de se retourner, je n’en fais rien, tandis que les autres devant moi répètent leur habitude gênante. Je finis par apercevoir la tête de file, il y a une femme assise derrière un bureau sobre, elle accueille les candidats un par un et leur accroche un numéro sur leur habit. Mon tour finit par arriver.

- Votre attestation ? me demande l’inspectrice.

Une sueur froide me cloue au sol.

- Bonjour. c’est que… Mrs Avery m’a demandé de passer, elle ne m’a pas donné d’attestation, je réplique dans un anglais approximatif.

Je sens les autres derrière moi se raidir, sûrement révoltés par ce qu’ils venaient d’entendre. La dame a l’air d’abord outré également, mais d’un coup son visage s’apaise.

- Vous êtes Jordan c’est bien ça ?

- Oui c’est moi…

- Tenez, le script. Vous pouvez passer.

Elle m’accroche un papier sur ma veste et me donne une feuille simple. Il se trouve que je deviens le numéro 122 aujourd’hui. Lorsque j’entre, je découvre l’intérieur immense de la bâtisse, tandis qu’un troupeau d’autres garçons est répandu dans toute la salle. Certains sont concentrés accompagné d’une guitare, mais beaucoup observent la file qui continue de rentrer. Mal à l’aise comme jamais, je me pose dans un endroit à l’écart, bien que je n’échappe pas à la présence de deux autres garçons. Mon attention se porte sur le papier. Dessus est inscrit un petit résumé de l’histoire ainsi qu’une seule et unique réplique. Mon filtre continue de travailler :

« Au 18e siècle, dans une ferme modeste vit Magnus, un jeune homme aventurier d’un fond calme, accompagné de sa famille occupée aux durs labeurs. Lorsqu’il croise le chemin du Prince Harvey, sa vie entière sera chamboulée et leur histoire d’amour, bien que très pure et sincère, sera mise à rude épreuve »

Je reste de marbre face au résumé de ce nouveau film Disney. Pendant un moment, je crois même sincèrement qu’il y a eu erreur et que le mauvais papier m’a été attribué, ou que je ne suis pas à la bonne adresse. Magnus, Harvey, des noms masculins. Histoire d’amour ? Le tout dans le même résumé…

Suis-je réellement en train de témoigner de la naissance de la première histoire d’amour homosexuelle chez Disney ? De deux hommes qui plus est ! Littéralement abasourdi, je poursuis ma lecture :

« Magnus : Je ne peux pas, nous ne pouvons pas ! Harvey, que nous arrive-t-il ? Pourquoi le mal nous a marqué de la sorte ? »

Classique, leur histoire est impossible, et si l’histoire se passe au 18e siècle, les deux pauvres personnages se feraient pendre si leur amour était découvert. Je dois dire que je m’attendais à beaucoup de choses, j’avais essayé de deviner l’histoire toute la nuit, mais jamais je n’aurais imaginé ça. Le monde est-il vraiment prêt pour ce film de la part de Disney ?

Forcément que non. Il y a trois ans le film Live Action de la Belle et la Bête s’était fait bannir de certains pays à cause d’une scène supposée « gay », et franchement c’était très subtile. Je ne vois pas en quoi un film clairement assumé sur l’homosexualité chez Disney pouvait amasser beaucoup d’argent. Le scandale va être énorme, beaucoup de gens vont exploser de rage, je ne serais pas surpris qu’il y ait des protestations dans les rues. C’est très étrange d’être l’un des rares à être au courant pour l’instant.

Intrigué, je mémorise la phrase de dialogue et réfléchit un peu à comment elle devait être jouée.

- Number 94 ! annonce une voix forte dans la salle.

J’en sursaute de peur, étant donné la situation c’est difficile de relaxer. Un garçon à la chevelure noire se lève, sa guitare dans la main. Fallait-il chanter ? Était-ce une comédie musicale ?

Si oui, je suis sûr d’être recalé, que je sois performant avec l’acting ou non. Je n’ai jamais chanté de ma vie, pas même essayé, je ne sais même pas comment sonne ma voix lorsque j’essaie de pousser la chansonnette. Même sous la douche je reste silencieux.

Je me souviens des paroles de Mrs Avery et j’essaie de m’y accrocher au mieux : je ne perdrais que ma journée. Ce soir je rentrerai comme si de rien n’était, et tout redeviendra normal. Je profiterai du reste de la semaine… et je retournerai chez moi. Tout ça n’aura été qu’une incroyable parenthèse.

Direction le travail, consacré à faire le même chose tous les jours. Seul, loin de mes amis. Ne pas sortir. Vivre la même journée indéfiniment.

Je soupire. Je regarde la queue se terminer, tous les garçons semblaient être arrivés maintenant. D’après Mrs Avery il y aura un autre tour cet après-midi pour plus de candidats. Elle fait des auditions pour ce rôle depuis des semaines maintenant, je ne vois sincèrement pas en quoi exactement je pouvais me démarquer des autres. Beaucoup sont plus préparés, certains sortent peut-être de cours de théâtre, d’autres doivent être d’authentiques acteurs. Qui suis-je moi ? Étranger débarqué depuis deux jours et qui n’a jamais rien connu de tel...

Le temps passe indéfiniment, j’observe les garçons entrer puis sortir, certains ont l’air satisfait d’autres une mine déconfite. Mon portable m’aide à passer le temps, j’essaie de ne pas penser à mon tour prochain. Je ne préviens aucun de mes amis de ce qui est en train de se passer, s’ils savaient ! Il est plus sage de rester silencieux sur ce sujet jusqu’à ce que j’en ai définitivement fini. Il était dix-heures passées lorsque j’avais regardé ma montre la dernière fois.

- Number 122 !

Je ne réagis pas, levant à peine les yeux pour regarder le suivant se lever. Personne. Puis soudain je me lève aussi vite que le sol aurait pu se briser sous mes pas. Je me dirige d’une démarche nerveuse, clairement pas d’une façon qui indique que j’avance avec confiance. Quelle horreur je sens un nombre indéfinissable de pair d’yeux se poser sur moi. Que pensent-ils ? Probablement rien de bon, sachant que nous sommes tous en concurrence les uns avec les autres.

On m’escorte dans une pièce à l’écart, dans un endroit bien plus plaisant que la salle d’attente. Soudain j’entends des rires venant de la pièce en face. J’ai le cœur dans la gorge.

- Wait here until you’re allowed to enter.

L’homme qui m’a escorté file de la pièce, me laissant seul avec mes pensées qui s’affolent. J’entends quelques personnes parler derrière la porte, j’essaie de comprendre ce qu’ils racontent mais c’est trop difficile, même en français je n’y parviendrais pas. Rapidement, la porte devant moi s’ouvre et j’entre.

Le garde qui m’a ouvert depuis l’intérieur referme aussitôt derrière moi.

- Ah Jordan bonjour ! s’exclame la voix familière de Grace Avery.

Je me force à respirer de manière mesurée. Je m’attendais à ce qu’il y ait deux ou trois personnes, or c’est cinq autres membres qui sont installés au côté de Mrs Avery. Je m’étrangle avec ma propre salive, ayant la gorge terriblement sèche. Jamais je n’avais été aussi intimidé de toute ma vie.

- Bonjour, je réponds à l’égard de tout le jury.

- Je vous en prie approchez-vous un peu.

Je ne pouvais plus reculer, ce n’était défensivement pas une farce. Il aura fallu que je me trouve en face d’eux pour que la réalité me percute en plein visage.

- Oh ! s’exclame la femme assise tout à droite avec enthousiasme.

- Je vous l’avais dit, rétorque Mrs Avery.

- Effectivement, on dirait qu’il s’est échappé de notre imagination pour apparaître devant nous, rajoute le seul homme présent.

- Ne vous emballez pas, nous cherchons un talent pas un physique.

La personne qui venait de dire ça me dévisage elle aussi, mais pas d’une aussi bonne façon que les autres.

- Vous avez un accent non ?

- Oui je suis français.

- Hm, se borne-t-elle à répondre.

- On l’entend à peine, réplique l’homme en me souriant.

- Tout le monde a droit à sa chance, reprend Mrs Avery. Surtout qu’il maîtrise très bien la langue, croyez-moi.

- On va pouvoir commencer, vous êtes prêt ?

- Oui je le suis.

Je relève un peu le menton. Quitte à passer ce moment, autant tout donner.

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