Chapitre 1 : Orphelins
11 juillet 1173, Ville de Segré, en Anjou.
"... Requiescat in pace, Geoffroy de Bel-Air. In nomine Patris, et Filii, et Spiritus Sancti.
Amen"
Une fois la célébration terminée, les convives quittèrent peu à peu le cimetière. Après une dernière formule de condoléances, l'abbé quitta également les lieux. Seules trois personnes restèrent devant la tombe. L'épitaphe disait :
Geoffroy de Bel-Air, Chevalier d'Anjou. Mort le 9 juillet de l'An de Grâce 1173 de notre Seigneur Jésus-Christ, au service du Comte d'Anjou.
Jean et Guillaume, 12 et 14 ans, fixaient tous deux la sépulture de feu leur père. Le troisième homme s'approcha des deux enfants et les prit par l'épaule.
"Allez, il est temps de rentrer."
Les deux adolescents suivirent leur oncle sans un mot, seul le bruit de leurs pas brisait le silence de cette soirée. Ils se rendirent tous trois à la résidence de leur oncle, située à quelques minutes à cheval du cimetière.
Après un dîner monastique, Jean et Guillaume montèrent directement dans leur chambre, le pas lourd. Une fois seuls, Jean brisa le silence :
"Que va-t-on faire maintenant que Père n'est plus ?
- Notre oncle nous a gentiment recueillis, nous allons donc rester ici, répondit l'ainé.
- Et qui va s'occuper de notre demeure ainsi que des animaux ?
- Notre oncle m'a fait savoir qu'il allait vendre la maison et tout ce qui s'y trouve, mis à part nos chevaux et les biens que nous souhaitons garder. Nous ne pourrons pas entretenir le domaine familial à la force de nos seuls bras.
- Je vois...
- Nous avons de la chance que notre oncle ait accepté de s'occuper de nous, nous aurions probablement eu beaucoup de mal à subsister à nos besoins en étant seuls.
- Pourquoi a-t-il fallu que Père périsse ainsi en se battant contre des soldats français ?
- Jean ! Père est mort en défendant l'Anjou et son comte, Henri II Plantagenêt ! Il est mort les armes à la main, comme un brave !
- "Mort pour le comte", on ne l'a jamais vu ce comte ! Où est-il lorsque nos terres se font assaillir par les Français ? Que fait-il alors que son comté a besoin de lui ?
- Le comte est homme important, Jean. Il est Roi d'Angleterre, Duc de Normandie et d'Aquitaine et Comte d'Anjou, du Maine et de Touraine ! C'est assurément un homme occupé, le comté doit savoir se défendre sans lui. Père est mort à la guerre, comme beaucoup d'autres.
- Mort à la guerre ... qu'est-ce que la guerre pour que des hommes meurent pour elle ?
- Ça suffit, Jean ! Les hommes font la guerre depuis la nuit des temps. Maintenant, tais-toi et prions le Seigneur de bien vouloir accorder le repos à notre père."
Les deux jeunes hommes s'accroupirent devant le crucifix accroché au mur de leur chambre et prièrent en silence pendant de longues minutes. Jean pria pour le repos de l'âme de son père, pour celui de sa mère, ainsi que celui de sa sœur, morte en couches. Il rendit grâce à Dieu pour son oncle, qui avait daigné les accueillir chez lui. Il demanda enfin au Seigneur de bien vouloir veiller sur lui ainsi que sur son frère, Guillaume. Qu'il leur permette de surmonter cette nouvelle épreuve.
Une fois leur oraison terminée, c'est en silence et le cœur lourd que les deux frères rejoignirent leur lit.
Leur père était revenu d'une escarmouche contre des soldats français un peu trop zélés qui menaient un raid sur des champs angevins, le 6 juillet dernier. Il s'était pris un méchant coup d'épée dans le ventre. Rapidement, sa plaie s'est infectée, et il rendit l'âme trois jours plus tard, un soir d'été, apparemment comme les autres. Avec lui, cinq hommes sont morts lors de cette altercation. Des combats comme celui-ci, il y en avait chaque mois, seulement cette fois-ci s'était différent : avec leur mère morte de maladie durant l'hiver dernier et leur père mort au combat, Guillaume et Jean se retrouvaient maintenant sans parents et sans attaches, orphelins.
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