Chapitre 7
Le lendemain matin, je me suis réveillé derrière le comptoir. Le carnet toujours serré dans ma main moite.
Il faisait froid dans le café ; un froid anormal, lourd, comme si l’air lui-même avait perdu de sa substance. Je me suis levé en titubant, et là, j'ai compris.
Le café n'était plus vraiment le mien.
Les tables avaient été déplacées. Certaines chaises n’étaient pas à leur place habituelle. Un tableau accroché au mur — celui du vieux port breton — avait été remplacé par une photographie inconnue : une lande grise, sans vie, sous un ciel bas. La machine à café elle-même avait changé : plus ancienne, plus cabossée.
J’ai fermé les yeux un instant, puis je les ai rouverts. Tout était exactement pareil. Déformé, vieilli. Fidèle mais étranger.
Je suis monté à l’étage, dans mon appartement, et j'y ai trouvé la même odeur froide, le même silence épais.
J’ai ouvert mon armoire. Mes vêtements étaient là, mais... pas tous. Certaines chemises que j’étais sûr de posséder avaient disparu. Des photos, sur la commode : mon visage à côté d’inconnus. Des gens que je ne reconnaissais pas. Des visages flous.
Un doute fou m'a traversé l'esprit pendant une seconde.
Et si on m’avait laissé dans une copie du village ? Une reconstitution incomplète, bâclée ? Et si tout ceci n’était qu’un décor vide, une coquille oubliée par ceux qui étaient partis ?
Je suis redescendu en courant. Le café paraissait encore plus étranger maintenant. Comme si, à force de rester, j'avais glissé dans une version dégradée de ma propre vie.
Je me suis posté derrière le comptoir, les yeux rivés sur la porte d’entrée.
Attendant.
Quelqu’un allait venir.
Quelqu’un devait venir.
La journée est passée, lente et implacable. Personne n'est entré. Pas même le vent.
À la nuit tombée, j'ai allumé une à une les lumières restantes. Certaines ne s’allumaient plus. D'autres grésillaient faiblement.
Dans le carnet, il ne restait plus que quelques noms lisibles. Le reste était devenu un fouillis de lettres effacées, brouillées.
Je les ai lus, encore et encore, comme une litanie.
Pascal, Gérard, Clémentine, Carla.
Chaque nom était un souvenir qui s’accrochait désespérément à mon esprit.
Au-dehors, le graffiti avait disparu. Effacé. Comme s’il n’avait jamais existé, ou alors le trottoir avait été nettoyé. Par qui ?
Je suis resté là, seul dans la lumière tremblante, le cœur battant.
Je savais, au fond de moi, que bientôt, ce serait mon tour.
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