Chapitre 45: Fléaux

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Elle s'y revoyait, encore une fois. La même plage de sable, la même île. Loin de tout, et pourtant proche d'un univers... Un silence de mort régnait en seul souverain de ce monde en ruine. Des maisons abandonnées et mélangées dans une masse informe de débris et autres gravats. Mais il y avait cette habitation, celle encore debout. Elle n'avait toujours pas bougé depuis la dernière fois. Les maisons ne peuvent pas bouger de toutes façons... Il fallait qu'elle y aille. Tout de suite, maintenant, immédiatement, sans attendre, le plus vite possible. Une aura mystérieuse s'échappait de la bâtisse, comme si un esprit la hantait et qu'il connaissait un lourd secret. Comme la clé de voûte d'une énigme gigantesque.

Noémie se réveilla en sursaut.

Où se trouvait-elle ?

La lueur au teint blafard qui baignait l'endroit lui donna sa réponse. Une sorte de caverne aménagée en abri. Elle était couchée sur un matelas plat posé à même le sol, troué et usé par le temps. Face aux reflets blancs pâle du feu qui lui permettait de voir se trouvait celui qui devait être son "hôte".

L'homme, ou la femme ? se retourna et la fixa pendant de longues secondes sans dire mot. Il portait un masque totalement noir, sans trous ni pour les yeux, ni pour la bouche ou le nez.

  • Que me voulez-vous ? Vous êtes un monstre vous aussi ? Je vous préviens, je ne me laisserai pas faire !"

La jeune femme se leva brusquement et s'élança vers sa cible à grandes enjambées, avant de trébucher et de tomber lamentablement.

  • Vade Retro Satana ! s’écria-t-elle.

  • Je… Je ne vous veux aucun mal.

Seulement parler.

Sa voix grave résonnait d’une manière étrange. Comme rouillée.

  • Parler ? Vous m'avez frappée puis kidnappée et vous voulez juste parler ?! Il y a des moyens plus simples de faire !

  • Je n’avais malheureusement pas le temps de vous faire mes salutations distinguées et de vous proposer gentiment de me suivre vu la nature peu coopérative de votre poursuivant. Vous m’en voyez navré, répondit l’inconnu sur un ton ironique.

  • N’empêche que vous m’avez fait vachement mal !

  • J’avoue ne pas y être allé de main morte. Mais au moins, vous êtes en vie.

  • Et j’imagine que je dois vous remercier ?

  • Pas besoin. Ce n’est pas la première fois que je sauve la vie de quelqu’un et que sa gratitude n’est pas la première chose qu’elle veut me jeter au visage.

  • Du coup j’imagine que vous avez une bonne raison de l’avoir fait.

  • Disons que oui. Là, tout de suite, maintenant, j’ai surtout besoin que vous, euh… votre nom ?

  • Noémie.

  • Noémie, j’ai besoin que vous m’écoutiez. Sans m’interrompre. Les questions ce sera à la fin. Je m’apprête à dire quelque chose de tellement étrange et insensé que vous allez me prendre pour un fou.

  • Déjà, ça commence mal…

  • S'il vous plaît... Je vous ai demandé de ne pas m'interrompre. C’est déjà assez difficile pour moi comme ça.

  • Mouais. N’empêche qu’on dirait le début d’un bon gros discours d’illuminé qui essaie de se justifier pour avoir kidnappé une jeune fille sur un coup de tête. Si vous voulez me tuer ou m’utiliser comme sacrifice en l’honneur de je ne sais qui ou je ne sais quoi, faites-le tout de suite, ça nous épargnera à tous les deux des moments inutiles de gêne intense.

  • S’il vous plaît…

  • D’accord, d’accord. J’écoute.

  • Alors voilà. C’est assez compliqué à formuler mais bon… Est-ce que vous croyez en l’égalité totale Noémie ?

  • Bien sûr que non. Il n’y a qu’à regarder la société d’aujourd’hui. Les lois sont indéniablement décidées par une partialité qui fait pencher la balance du côté de ceux qui payent le mieux la ”justice”.

  • À vrai dire, je ne parlais pas vraiment de cette égalité. Ce que je veux dire c’est plutôt que selon moi, certains êtres vivants naissent avec un potentiel plus élevé que d’autres. Ce qui leur permet de sortir plus de la masse des gens que l’on pourrait qualifier de ”normaux”. Et même parmi ces personnes, il n’y a que quelques élus. Ceux qui atteignent un rang élevé dans leurs communautés respectives.

  • C’est… une sorte de délire suprémaciste ?

  • Non.

C’est comme ça que vous me voyez ?

  • Pour l’instant ? Un peu.

  • Peu importe. Ces personnes, Noémie, il n’en existe que très peu. Maintenant, que diriez-vous si je vous disais que vous en êtes une ?

  • Ah… Autant pour moi. Vous n’êtes effectivement pas un affreux raciste. Juste un gourou.

  • Pas vraiment. Un gourou ne ferait que vous complimenter et vous dire que c’est génial. Moi je vais vous dire la vérité : vous auriez mille fois préféré être normale et faire partie de la masse.

L’homme au masque marqua une courte pause.

  • Être spécial n’est pas toujours positif. D’ailleurs, dans ce cas-ci, c’est même plutôt une malédiction. Vous vous rappelez sûrement de cette créature étrange qui vous a poursuivie ?

  • Je ne risque pas de l’oublier.

  • En fait, elle ne faisait pas simplement ça pour capturer une proie et la manger, comme ferait tout autre animal sauvage cherchant à se nourrir. Il se trouve qu’en tant que ”personne spéciale”, vous étiez sa cible privilégiée.

  • Privilégiée ?

  • La créature avait décidé de vous pourchasser vous, et personne d’autre.

  • C’est pour ça qu’elle n’a pas attaqué le policier… murmura-t-elle.

  • Quel policier ?

  • Non rien.

Rien d’important.

  • Donc. Je disais que vous étiez une cible privilégiée pour elle. Je suis vraiment désolé, mais comme les mauvaises nouvelles n’arrivent jamais seules, je dois vous dire qu’il n’y a pas que ce monstre qui vous prend pour cible.

  • C’est-à-dire ?

  • Il y en a huit autres.

  • Huit autres ?!? Et comment vous pouvez le savoir ?

  • Eh bien… À vrai dire, il se peut que je sois moi aussi ”spécial”.

  • Vous aussi vous vous êtes fait pourchassé ?

  • On peut dire ça comme ça effectivement. Mais maintenant, c’est le moment où vous allez me prendre pour un timbré. Si ce n’est pas déjà fait.

  • Dites toujours. On ne sait jamais.

  • Admettons que ces créatures nous recherchent à cause de ce potentiel. Cette chose que les autres n’ont pas. Est-ce que vous ne vous êtes pas demandé quel était le réel but derrière tout ça ? Nous sommes spéciaux mais encore ? Et ensuite ? Quel sera le bénéfice qu’elles obtiendront en nous donnant la traque ?

  • Je n’en ai aucune idée.

  • Eh bien il se trouve que chacune d’elles représente une facette du désespoir humain. J’ai donc décidé de les nommer ”fléaux”. Leur désir profond, est de plonger l’humanité dans le chaos et la destruction. Mais quel rapport avec nous ? Pourquoi, dans ce cas, ne pas tout simplement s’attaquer à n’importe qui et nous décimer tous un par un ? Pourquoi commencer par nous quand ces monstres pourraient soumettre le premier venu à leur bon vouloir ? J’en ai compris la raison bien tard, je dois dire.

  • Et cette raison, quelle est-elle ?

  • Êtes-vous croyante Noémie ?

  • Je ne pense pas non.

  • Moi non plus je ne le suis pas. Depuis que j’ai appris la sombre réalité… encore moins. Tout ce que je peux dire, c’est que je ne sais pas grand chose. J’ai appris peu et élaboré plusieurs hypothèses potentielles. Voilà tout.

  • Venez-en au fait.

  • Voici où mes élucubrations d’ ”illuminé” m’amènent. Nos poursuivants, bien que dotés d’une puissance que l’on ne saurait qualifier de réaliste, n’ont pas encore atteint la limite de leurs capacités. Je crois que pour l’instant, ils ne sont pas en mesure de s’attaquer à 7 milliards de personnes. Même pour eux, ce serait bien trop. Ils auraient beau user de sinistres et étranges pouvoirs pour nous tuer par centaines, ils ne résisteraient pas bien longtemps à un flot de million d’humains s’acharnant sur eux avec des pistolets, des couteaux, des fusils, des grenades… Je ne pense pas qu’ils pourraient survivre à un missile balistique. De ce fait, c’est nous qu’ils veulent. Nous sommes comme une sorte de source d’énergie qu’ils peuvent consommer pour se rendre plus puissants.

  • Tout ça me paraît vraiment obscur.

  • Je sais.

  • Je veux dire… Non en fait, je ne sais même pas quoi dire. C’est tellement énorme que ça ne peut pas être possible. Après tout, ce n’est peut-être qu’un mauvais songe créé par mon imagination débordante. Et quand je me réveillerai, je serai la seule étudiante encore dans la salle d’amphithéâtre, de la bave sur la manche de ma veste.

  • Un rêve ? Est-ce vraiment ce que vous pensez ?

  • Je n’ai pas le droit, peut-être ?

  • Plus qu’un rêve, c’est un cauchemar. Et pour moi, ça va bien faire neuf ans que ça dure. J’ai réussi à leur échapper tant bien que mal mais je sens qu’un jour ils m’auront à l’usure. Je ferai une erreur, rien qu’une seule. Qui s’avérera fatale. Comme tous les autres. Ceux qui n’ont pas voulu m’écouter.

  • Les autres ?

  • On était cinq.

  • Ils se sont tous fait avoir.

  • Je…

  • Non, c’est bon. Pas de ”je suis désolé”. Ce genre de phrase ne sert à rien et ne veut rien dire. Tu ne peux pas être désolée pour tout le mal de ce monde. Les gens croient à tort que connaître la peine des autres les obligent à se confondre en excuses et à pleurer pour des âmes dont ils ignoraient hier jusqu’à l’existence même. S’ils se mettaient à regarder autour d’eux, ils ne relèveraient plus jamais la tête vers le ciel que pour prier.

Prier que rien ne leur arrive à eux.

Tout ce que tu peux faire pour l’instant, c’est m’aider à comprendre.

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