Mauvaise nouvelle

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Il est un peu plus de sept heures lorsque je descends à la cuisine. Ma mère s'y trouve, habillée impeccablement dans cette robe portefeuille de couleur rouge, alors qu'elle porte de hauts escarpins ouverts, les ongles de pied joliment vernis. Ses cheveux, relevés en un haut chignon, laissent apparaître sa sublime nuque. Du beige sur les yeux, du mascara marron, ainsi qu'un trait de liner finement dessiné, mettent parfaitement son regard en valeur. Ses lèvres, aussi rouges que la passion, refont superbement ressortir la couleur bleue de ses yeux. Probablement, la seule belle chose que j'ai hérité d'elle. Enfin, selon ses dires.


Je l'observe plusieurs secondes, assise sur une chaise, tenant une tasse de thé dans sa main droite, tenant son smartphone dans l'autre. Même sa posture est élégante. Ma mère a vraiment tout pour elle, et même si certains de ses aspects physiques ne sont pas naturels, aux yeux des autres, ils le paraissent, le travail du chirurgien étant vraiment d'une minutie très précise. Alors, évidemment qu'elle se sent à l'aise en société et que le regard des autres ne la dérangent pas. Elle a cette confiance que je n'aurai jamais. Ce charisme que je jalouse secrètement.


Perdue dans mes pensées, ma mère m'en sort après avoir haussé le ton à plusieurs reprises.


« Belle ! Tu comptes prendre racine à ta place !

— Quoi... Excuse-moi, dis-je tout en m'avançant alors que je la vois lever les yeux au ciel, exaspérée par mon comportement.

— Tiens, mange ça avant d'aller au collège, me pointant du doigt le bol posé sur la table, qu'elle lorgne du coin de l'œil. »


Je m'approche et regarde son contenu, et j'admets que la texture, mais également l'odeur, ne me donne clairement pas envie de manger cette espèce de bouillie répugnante. Je soupire péniblement tout en haussant mes épaules, avant de détourner mon regard de cette préparation aussi suspecte que bizarre.


« Je n'ai pas faim, dis-je alors tout en reculant le bol.

— Manger cela te ferait pourtant du bien. C'est bon pour la ligne, lance-t-elle tout en me regardant fixement, sous-entendant une fois de plus que je ne rentre pas dans ses critères de beauté.

— Maman, je n'ai vraiment pas faim, alors n'insiste pas s'il plaît.

— Et à dix heures, tu iras encore acheter des cochonneries dans le distributeur de ton collège. Normal que tu ne perdes pas de poids, tu ne fais jamais attention à ce que tu manges. Tu sais, Belle, si tu veux que les gens t'aiment, tu dois faire plus d'efforts.

— Pourquoi ? demandé-je subitement tout en levant mes yeux dans les siens. Pourquoi serait-ce toujours à moi de m'adapter ?

— Parce que c'est comme ça. Que tu le veuilles ou non. C'est le monde dans lequel nous vivons.

— Un monde écœurant. Rempli de stéréotypes, de moqueries et d'un manque certain de tolérance.

— Tu devrais pourtant le savoir. La vie n'est pas juste. Seuls les plus malins s'en sortent. Ça a toujours été comme ça.

— Facile à dire quand on a ton physique. Mais tu sais quoi... m'interromps-je brusquement avant de dire certaines choses qui la blesseront et pour lesquelles je m'en voudrais par la suite.

— Quoi donc ? Je t'en prie. Poursuis, relève-t-elle, joignant le geste à la parole pour m'inciter à continuer. »


Je la regarde un instant, mon regard toujours plongé dans le sien, voyant dans ses yeux, uniquement du mépris et de l'agacement, ce qui a le don de me frustrer davantage. Mes poings se serrent par mécanisme automatique, mes ongles s'enfonçant dans la chair de mes paumes. J'ai mal, ça pique, mais cette douleur, aussi courte soit-elle, m'apaise. Je ferme les yeux, prends une grande inspiration avant d'expirer lourdement, pour ensuite reprendre.


« Je vais être en retard en cours. On se voit ce soir, lâché-je avant de jeter un dernier regard vers ma matriarche. »


En avançant vers la sortie, je vois mon père qui sort de son bureau. En me voyant, il se fige quelques secondes, sa main gauche accrochée sur la poignée de la porte, son regard restant toujours le même : inexpressif.


« Salut p'pa, dis-je tout simplement en soupirant avant de quitter la maison. »


Une fois de plus, c'est le cœur lourd que je prends la direction de l'arrêt de bus pour me rendre au collège.


Je n'attends pas longtemps lorsque celui-ci arrive. Je monte les premières marches, et à peine ai-je mis ma carte de transport dans la machine, que tous les regards se posent sur moi. Ces fameux regards qui me prennent en pitié. D'autres en moqueries et ceux que je déteste le plus, ceux qui m'insultent silencieusement. Leurs regards est une réponse en soi.


Pourtant, comme chaque matin, je ne me démonte pas et avance dans le couloir afin de trouver une poignée à laquelle m'accrocher. Parce que oui, même s'il reste des places de libres, on ne m'y laisse jamais m'assoir. Ça ferait trop tâche. Du moins, je ferai trop tâche dans le décor. Alors, une fois de plus, je subis le trajet en restant debout, perdant l'équilibre dans les virages, ou lorsque le chauffeur, trop âgé à mon avis, freine brusquement sans aucune raison apparente. Parfois, ma cuisse me lance, car depuis l'accident et malgré la rééducation, j'ai ce que l'on appelle une douleur fantôme. Bizarre quand on sait que je n'ai perdu aucun membre. Mais les symptômes sont les mêmes. Ma douleur n'est pas physique, mais psychologique. Je le sais. Bien sûr que je le sais, je ne suis pas née de la dernière pluie.


Comme je sais que faire appel à un professionnel pour mon mal-être pourrait m'aider à avancer et à avoir confiance en moi. Cependant, mes parents refusent obstinément de débourser un centime pour cela, car pour eux, une fois de plus, ce serait de l'argent mal dépensé. Je suis donc seule, comme toujours, à affronter toute cette injustice et ce mépris, mais je ne dis rien. Je ne fais rien. Puisque si je laissais sortir mes émotions, on me prendrait assurément pour une folle. En effet, personne ne peut comprendre ce que je ressens, ni ce que j'endure, car pour le comprendre, il faudrait être à ma place, ou l'avoir déjà été. Sans parler des mentalités de tous ces imbéciles de collégiens qui ne voient pas plus loin que leur nombril. Comme s'ils étaient meilleurs que moi. Plus drôles. Plus intelligents, ou que sais-je encore ?


Arrivée au collège, je m'apprête à descendre du bus, mais une fois encore, on ne me laisse pas faire. On me bouscule volontairement. On me donne des coups. Lorsque j'arrive enfin à m'approcher de la sortie, une nana me pousse assez fortement. Je rate une marche et me retrouve sur le bitume du parking, les fesses par terre, genoux et mains au sol, alors que ma cheville gauche me fait mal.


Toutefois, ne voulant rien laisser paraître, je me relève aussitôt, faisant face à cette sale morveuse qui m'a poussé hors du car. Elle a ses bras croisés contre sa poitrine, ses deux copines qui l'accompagnent se moquent ouvertement de moi. Tandis qu'elle, elle me toise de toute sa superbe, arquant un sourcil, me regardant comme si je n'étais qu'un vulgaire insecte qu'il faut écraser. Dont il faut à tout prix se débarrasser.


Je prends sur moi et dépoussière mon pantalon, puis mes mains, avant de dépasser ses mégères sans jamais me retourner. Je les entends qu'elles rigolent derrière mon dos, mais je ne dis toujours rien. Je continue d'avancer, tandis que le besoin irrépréhensible de me faire du mal me percute violemment, afin de faire taire cette douleur silencieuse qui commence à s'insinuer progressivement dans mes pores. Comme un feu ardent, mes veines me brûlent.


Une fois dans la salle de classe, je m'installe à une table du fond, refusant perpétuellement de me mettre en avant. Après plusieurs minutes, la professeure principale, madame Silver, fait son entrée. C'est une femme vraiment belle. Plutôt grande et élancée. Taille fine, suffisamment marquée pour que les ados mâles bavent devant elle. Elle a le teint hâlé, de longs et fins cheveux noirs, comme ses yeux. Ses lèvres, légèrement charnues, la rendent sexy. Je ne parle même pas de ses tenues vestimentaires qui sont toujours tendance et très à la mode. Elle a le don de rendre jalouse la plupart de mes camarades de classe. Moi, je l'admire, car elle est belle tout en restant naturelle. Sans aucun artifice, puisqu'elle n'en a aucunement besoin, c'est certain.


Madame Silver, d'une démarche gracieuse se dirige vers son bureau, avant d'y déposer sa mallette dessus. Elle se tourne ensuite vers nous et prend la parole.


« Bonjour tout le monde. Je suis ravie que vous soyez tous présents parce qu'aujourd'hui, j'ai une annonce à faire. Comme vous le savez, chaque année, le collège organise un concours de sport interrégional avec d'autres établissements scolaires. Cette année, le nôtre a été une fois de plus sélectionné, et devinez quoi, lance-t-elle avec enthousiasme. Cette fois-ci, nous représenterons la discipline de la natation. N'est-ce pas génial ? sourit-elle alors que moi, en entendant ça, je me rabaisse dans mon siège, mon cœur palpitant comme un dingue. »


Tout autour de moi, j'entends les élèves s'exprimer. Ils se réjouissent, car pour eux, la natation, c'est comme être en vacances. Alors, que pour ma part, ça signe seulement la continuité de mon enfer personnel...

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