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Est-ce que j'ai proposé le mauvais prologue ? Oui. Pardon. Voici le bon.


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Dans le royaume de Trunk, des créatures étranges naissaient sur les terres fleuries. Elles étaient tantôt vénérées pour leur particularité, tantôt rejetées pour leur forme parfois dérangeante. Certains allaient jusqu’à les tuer, injustement pour leur différence.

Il n’était cependant pas rare qu’un humain en tombe éperdument amoureux ou le contraire.

Gardelonde était une créature hybride. Enfant, sa mère le protégeait de tous les maux. Elle lui offrait tout son amour, toute sa douceur, tout son cœur, mais elle le laissait à l’écart de tout. Guinelle savait combien ses pairs étaient cruels. Son époux avait payé le prix de sa différence. Une femme lui avait planté une dague en plein cœur alors qu’il vendait ses étoffes. Guinelle savait que si son fils se montrait, il souffrirait mille supplices et peut-être, périrait-il à son tour. Ainsi, elle avait pris domicile à l’orée d’une forêt épaisse, non loin d’un champ maculé de fleurs bleues et violines. Le soir venu, la mère emmenait Gardelonde en cueillir. Ils jouaient ensemble, riaient en imaginant la forme des sombres nuages.

Tous deux vivaient heureux loin des humains. Gardelonde dormait le jour et s’amusait la nuit. Sa mère était rassurée. Rien ne valait à ses yeux que le voir grandir.

Hélas, tout bonheur à sa part de malheur.

Gardelonde patientait dans la chaumière. Il s’était occupé toute la journée, attendant que sa mère revienne de ses emplettes. La tête près de la fenêtre, il piquait les ourlés des manches d’une chemise, jetant machinalement des regards impatients vers le chemin qui passait tout proche de son jardin. Le ciel se couvrait déjà d’ombres et Guinelle ne revenait pas.

Gardelonde poursuivit son ouvrage, jusqu’à ce qu’on toque à la porte. Les sourcils froncés, il se demanda pourquoi sa mère y tapa. Était-elle accompagnée ? Impossible…

Doucement, il alla zieuter à la fenêtre et découvrit un homme, chapeau vissé sur la tête. Qui était-il ? Que voulait-il ?

Les coups se répétèrent. L’homme était décidé à rester.

Gardelonde se tut. Perplexe.

On frappa encore.

— Je sais que tu es là, mon garçon, ouvre donc. J’ai à te parler. C’est important.

Gardelonde cessa tout mouvements. Une idée se forgea dans son esprit. Il était tard. Sa mère ne revenait pas. Et cet homme avait à lui parler. Qu’est-ce que cela signifiait ?

Inquiet, il empoigna la poignée. Il hésita une seconde, puis ouvrit la porte. Dans l’ombre du salon, il posa ses yeux félins sur l’homme, le chapeau dans les mains, désormais. Le quarantenaire regardait ses propres pieds et ourlait les bordures de son couvre-chef. Ses yeux gris et rougis parlaient de tristesse.

— Monsieur, commença d’une voix rauque Gardelonde, que puis-je pour vous ?

Bien qu’il lui fût interdit de sortir en pleine lumière et ne point s’exposer à la vue de chacun, l’adolescent avait encore le droit de parler avec des inconnus et d’ouvrir la porte dans le cas où un voyageur demanderait à boire ou pitance. Il devait cependant se couvrir afin de dissimuler au mieux sa différence. Ce jour-là, il dérogea à la règle. Il se posta devant l’homme sous sa forme habituelle.

Dans le noir de la maisonnette, personne ne faisait attention à ses ailes ou à son faciès de chat au pelage sombre. L’homme devant lui ne semblait pas le remarquer non plus, contemplatif de ses chaussures.

— Garçon, je viens t’annoncer une mauvaise nouvelle, dit Avchille.

— Une mauvaise nouvelle ?

Les pupilles fendues de Gardelonde s’agrandirent. Il devinait qu’il s’agissait de sa mère.

— Que lui est-il arrivé ? dit-il, la voix déraillante.

Achille s’avança et découvrit le garçon. Il ouvrit en grand ses yeux, perturbé par l’apparence du garçon. Il se domina devant son visage féroce, ses iris nacrés, ses prunelles mystiques et ses jambes félines. L’homme resta maître de lui, contrôla immédiatement les tremblements de son corps, même après consta des ailes de la créature. Il avait connu Guinelle dans sa jeunesse, savait qu’elle avait tendrement aimé un hybride et qu’un enfant était né de cet amour. Il resta respectueux et annonça, dans une peine infinie mais maîtrisé elle aussi :

— Guinelle est morte, ce matin.

Le silence s’installa. Oppressant. Il s'étendit du porche de la chaumière à la lisière de la forêt, en attente du chaos à venir. Pas un son ne vint briser le calme, comme un arrêt du temps afin de saisir l'ampleur des mots.

Gardelonde resta longtemps muet, incapable de penser. Seule l'image de sa mère vint paralyser son esprit. Il la vit se pencher par la fenêtre, comme chaque matin et lui lançait un "je t'aime, mon amour", pas d'imprudences, je reviens vite. Lentement, l'adolescent comprit la gravité des paroles de l'homme. Il tressaillit, accablé par le choc. Ce soir sa mère ne reviendrait pas et demain, plus de baisers sur le sommet de son front. Ses yeux déjà immenses, s'agrandirent plus encore. Son corps oscilla. Un vide et une brûlure naquirent dans son estomac.

Un cri percuta les murs de la maison. La peine monta en puissance et une onde de choc se répandit tout autour de Gardelonde, comme une grande bourrasque. L'homme aux yeux gris se figea et vint attraper l'encadrement de la porte, pour ne point partir en arrière.

Gardelonde hurla. Le fond de sa voix tremblait, autant que les branches des arbres. Deux sons s’entremêlèrent, un plus primaire, l’autre plus sinistre. Sa détresse était telle que l'homme finit par reculer et se raccrocha à un pilier, près de l'escalier.

Le visage grimaçant, les crocs apparents, le fils endeuillé renifla. Les larmes mouillaient son pelage gris et noir. Désormais, il serait seul.

— Non, je ne veux pas y croire. Vous mentez.

— Malheureusement non, mon garçon.

L'homme se détendit à peine et vint plaque ses cheveux bruns en arrière.

— Guinelle n'est plus de ce monde.

— Je veux la voir. Montrez là moi. Je ne pourrais y croire que lorsque je l'aurais vu.

Sa voix se brisa sous le coup. Ses jambes peinaient à le porter.

— Où est-elle ? Où est maman ?

— Montes dans ma charrette, je t'y accompagne, souffla Avchille.

Le garçon sortit, offrant une visibilité plus incroyable à son vis-à-vis. Puis, il marqua une pause. Il fit demi-tour et jeta une cape sur son dos. Il rabattit le capuchon sur sa tête et cacha son aspect. Même si le jour était presque éteint, Gardelonde savait quelle frayeur il pouvait inscrire dans les âmes des passants l'apercevant. Il monta dans la charrette et s’installa près d’Avchille. Le dos voûté et les larmes perlant sur sa cape, il demanda, alors que les chevaux tiraient droit.

— Comment ? Comment est-elle morte ?

Avchille caressa du regard l’adolescent et ressentit toute sa peine.

— Elle était devant moi, toute pleine de joie. Elle m’a dit que c’était ton anniversaire. Elle a choisi un foulard pour toi et une petite broche.

L’homme fouilla dans sa poche et tendit les accessoires à l’adolescent. Gardelonde les prit dans ses mains crochues et les porta à son cœur.

— Elle est tombée, comme foudroyée. Elle ne respirait plus. J’ai tout fait, mais elle ne revenait pas. Je suis tellement désolé.

Le quarantenaire osa poser une main réconfortante sur l’épaule osseuse du garçon en signe de deuil.

— Si je puis faire quoi que ce soit, demande-le-moi.

Gardelonde se mura à nouveau dans le silence.

Les chevaux courraient. Le village se rapprochait. Les premières maisons furent passé.

Avchille fit arrêter son attelage et descendit devant une bâtisse de pierres blanches.

— Viens petit. Elle est ici.

Gardelonde le suivit, entra dans un couloir et accéda à une salle.

L’homme présenta le corps de Guinelle étendu sur un linge blanc que lui-même avait été posé sur une table en pierre. Des nuages d’encens effleuraient les murs symbolisant la montée ver l’au-delà.

Gardelonde regarda sa mère, si blanche, si belle. Pourquoi souriait-elle ? Est-ce que la mort détenait le pouvoir de rendre heureux ?

— Vous pouvez partir, déclara le garçon, sur un ton las et affecté.

— Laisse-moi te raccompagner. Je resterais là. Demain, nous viendrons l’enterrer dans ton jardin, comme la coutume l’impose.

Avchille observa le garçon et se posa silencieux dans un coin de la pièce funéraire. Qu’adviendrait-il de lui ?

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