La percée

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Il dort depuis des éternités dans les profondeurs de la montagne, attendant que les hommes rampants à la surface ne le libèrent de son tombeau. De sa griffe, il pourfendra le ciel et ouvrira le passage entre les étoiles. Car l'heure de son Règne est venue.

Une aube d'un gris laiteux perlait à travers les persiennes quand Juan Romero ouvrit les yeux. Il s'assit au bord de son lit, son esprit encore habité par les images rémanantes de son cauchemar. Le vieil homme savait qu'il ne retrouverait pas le sommeil, aussi se leva-t-il.

Il entendit sur la route en contrebas de sa maison le rugissement de l'un de ces énormes camions que la compagnie minière utilisait. Suivi de deux autres. D'aussi bonne heure ? se demanda Juan.

Il préparait son café quand il entendit toquer à sa porte. Aurelio Montoya se tenait sur son perron. Ce que Juan remarqua en premier, ce fut la lueur hantée qui brillait au fond de l'œil de son ami, puis les cernes violettes qui soulignaient son regard et lui donnait l'air d'un fou. Aurelio jouait nerveusement avec le bord de son feutre, ce qui dénotait de sa bonhomie habituelle. C'est à ce moment que Juan remarqua la présence d'Esteban, son fils, en bas des marches qui menaient à la rue.

 " Qué pasa, Aurelio ?

 - Les nouvelles ne sont pas bonnes, Juan. Les gringos ont percé trop loin. Ils ont mis à jour une cavité au fond de la nouvelle galerie. Explique-lui, Esteban.

 - Entrez donc boire un café, il est en train de couler. "

Ils s'installèrent à la table bancale de la cuisine. Il faisait froid dans la pièce et à travers les fenêtres, le jour tardait à percer.

 " Et si tu me racontais ce qui se passe sur la mine, Esteban ?

 - Hier soir, une équipe de forage a atteint une faille étrange dans le puits ouest.

 - Ce que nous craignions est en train de se produire. ajouta Aurelio.

 - Ne nous précipitons pas. objecta Juan avant d'inviter Esteban à reprendre le fil de son histoire.

 - Avec les gars, nous remontions les wagonnets de la galerie Ocho quand l'un des gars qui bosse sur le trépan ouest est venu nous parler. Les hombres de son équipe avaient mis à jour une cavité là-bas. Fuentes, est aussitôt parti chercher le contremaître.

 - Qui est Fuentes ?

 - Le responsable de ligne du puits en question.

 - Continue.

 - Le contremaître est l'un de ces gringos arrogants de la compagnie. Il a pris trois hommes et ils sont descendus par l'ascenseur. Je ne sais pas pourquoi, mais nous avons arrêté le travail. Et dans les collines, y coyotes se sont mis à hurler à la Lune. J'ai vu des hommes, des gros costauds, commencer à se signer. Señor Romero, ici, tout le monde connaît les légendes sur la montagne. Vous êtes quelqu'un de respecté. Por el amor de Dios, dites-moi que ce n'est pas ce à quoi nous pensons.

 - Il est trop tôt pour le dire. Poursuis, je te prie.

 - Davies, c'est le nom de l'américain. Il est donc descendu avec des mineurs là-dedans. Fuentes a bien essayé de nous pousser à reprendre le boulot, mais personne n'a bougé. Et on lisait bien la même peur superstitieuse dans ses yeux. Nous sommes restés là, à attendre. Avec toujours le cri bestial qui tombait depuis les collines voisines. Et le vent s'est mis à souffler. Ce qui est étrange, c'est qu'il venait pas du ciel ou ne remontait pas de la mer, mais il semblait souffler depuis l'intérieur de la galerie. Il y a ensuite eu comme un seísmo et nous avons vu au-dessus de nos têtes comme un énorme vol de gorrión. En regardant ce voile noir qui se mouvait entre les buttes, j'ai eu comme l'impression que les étoiles se rapprochaient de nous. Elles sont devenues tout à coup si brillantes. Et puis, il y a eu... "

La voix d'Esteban se brisa à ce moment-là. Il dessina trois fois le signe de croix entre son front et son cœur.

 " Les câbles du monte-charge ont commencé à vibrer, de la manière habituelle quand la nacelle remonte. Et il y a eu soudain une grande vibration, nous avons tous entendus le filin d'acier se tendre. Ça a sonné comme les cordes de piano quand le prêtre accorde son instrument avant la messe mais en beaucoup plus fort. Tout à coup, tout a lâché et un immense nuage de poussière a envahi l'esplanade. Pour l'instant, nous n'en savons pas plus.

 - Quand est-ce que tout ça a eu lieu ?

 - Il y a deux heures, Señor Romero. Nous avons commencé à organiser les secours. Puis le directeur Brommell est arrivé et a ordonné que les hommes de l'équipe de nuit rentrent chez eux. Il a dit qu'il avait besoin d'ouvriers frais pour essayer de retrouver des survivants. J'ai juste pris le temps de me débarbouiller le visage et les mains avant que mon père ne m'amène jusqu'à vous.

 - On dirait plutôt qu'il cherche à dissimuler l'accident et ses propres négligences. intevint Aurelio.

 - Peut-être, mais ceci n'est pas de notre ressort. Je m'intéresse davantage à ce qui a provoqué le décrochage de l'ascenseur.

 - Une force titanesque, assurément.

 - Ou une stupide succession d'incidents qui ont mené à une tragédie. Ne te laisse pas impressionner par le récit de ton fils. Je ne dis pas que tu mens, Esteban, seulement qu'il me faut prendre chaque détail dans le bon ordre et le plus honnêtement possible.

 - Mais que fais-tu de tous ces signes ?

 - Ils concordent vers ce que nous redoutions, mais tous ces évènements peuvent me rien signifier séparément. Esteban, as-tu entendu les ouvriers parler de rêves étranges ? Pareils à des prophéties d'apocalypse ?

 - Sí, señor. D'un bras velu qui déchirerait les nuages et appellerait ce qui se cache derrière le Soleil.

 - Moi aussi, j'ai rêvé de ça. coupa Aurelio.

 - J'ai moi-même eu une vision de ce genre cette nuit. Si les hommes commencent à faire des rêves communs, nous pouvons nous montrer inquiets.

 - Qu'allons-nous faire, Juan ?

 - Je vais passer quelques coups de teléfono. De ton côté, Aurelio, je voudrais que tu ailles jusqu'à San Sebastian et que tu préviennes Ezequiel. Mais si Gozspsuz se réveille comme annoncé dans la prophétie, j'ai bien peur qu'Ezequiel ne soit déjà au courant.

 - Vu ses pouvoir médiumniques ?

 - Attendez une seconde ! s'écria Esteban. Vous étiez au courant que quelque chose comme ça allait arriver ?

 - Les légendes disent vrai, hijo. Nous veillons depuis l'aube du temps au retour de Gozspsuz.

 - Mais qui est-il ?

 - Nul le sait vraiment. Il est descendu des étoiles et attend son heure. Il savait que les hommes finiraient par percer la terre jusqu'à lui, ainsi le libérant. " expliqua Juan avant de se lever, de fouiller dans le tiroir de son buffet et en sortir un morceau de papier enroulé sur lui-même. Il ajouta :

 " Esteban, je sais que cette histoire te semble folle, mais ton aide nous serait précieuse. Je doute, après le choc que tu viens de subir, que tu trouveras le sommeil. Acceptes-tu de parcourir les Santa Rosas pour prévenir les personnes présentes sur cette liste ? Ils n'ont pas le téléphone et nous devons nous réunir au plus tôt.

 - Mais les gringos ?

 - Ils comprendront vite ce qui se passe ici. Dis à ces hommes de prendre l'Habit Noir et les bougies de cérémonie. Ils viendront. "

Quand Aurelio et Esteban furent partis, Juan resta un moment sur le perron de sa maison en adobe. Son pays avait changé, défiguré par les investissements des Américains, mais il l'aimait comme au premier jour.

Il se demanda s'il avait peur de l'émergence de Gozspsuz ou s'il attendait sa venue.

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