L'étoile tombée du ciel
Tout avait commencé par le cri strident de Maddie qui ramassait des coquillages près du rivage.
Nous nous baladions sur la plage avant le diner, elle furetait de-ci de là à la recherche de trésors à ajouter à sa collection quand elle avait soudain poussé une exclamation qui m'avait tiré de ma contemplation des cirrus rosés du crépuscule.
" Oh, Papa ! Viens voir l'étoile de mer.
- Ce n'est pas la première que tu trouves, ma puce.
- Oui, mais celle-là, elle est bizarre ! "
Elle pointait du doigt une forme d'un bleu profond, nichée dans un trou d'eau. Aux tentacules qui s'étendaient dans plusieurs directions, je reconnus effectivement une astérie, mais je n'en avais jamais observé de telle. J'estimais sa taille, bras étendus, à celle d'une assiette plate. Son épiderme était d'un beau bleu nuit, ourlé de discrètes veines zinzolines. Comme tous les échinodermes, elle était couverte de podia blancs, presque scintillants dans la lumière douce du soir.
" Elle est drôlement belle, Papa.
- Oui.
- On peut la ramener et la mettre dans l'aquarium ?
- Je ne sais pas si c'est une bonne idée, ma puce.
- S'il te plaît. plaida Maddie de sa voix toute mielleuse qu'elle prenait quand elle voulait nous amadouer avant d'ajouter :
- J'aimerais tellement la montrer à l'école demain.
- Si c'est pour la science...
- Merci, Papa !
- Va mettre de l'eau de mer dans ton seau. "
Tandis que ma fille partait comme une fusée vers le rivage, je tendis la main vers l'animal avant d'avoir un net mouvement de recul. J'aurais juré qu'elle avait soulevé l'une de ses branches en ma direction. Elle cherche à m'attraper ou c'est une ombre à la surface du trou d'eau où elle s'abrite, pensai-je alors que Maddie revenait, son seau en plastique cognant contre ses genoux.
Tout à coup, j'hésitai à ramasser l'astérie. Maddie s'impatienta :
" Alors, Papa, tu te décides ?
- Une minute, papillon. Elle ne va ni s'envoler ni retourner à la mer. "
En réalité, je répugnais à la toucher avec mes doigts. Je sortis mon London de la poche de mon pantalon, glissai la lame sous le corps de la créature et la soulevai de la même manière que j'aurais procédé pour décoller une moule de son rocher. Elle se laissa manipuler, mais je sentis aussitôt son étreinte se resserrer sur mon couteau. Et à nouveau, son corps se renfla en direction de mes doigts. De ma main libre, je saisis le seau que me tendait Maddie et basculai l'étoile à l'intérieur. Un liquide goudronneux s'écoulait du côté du tranchant d'acier de mon canif.
" Elle saigne, Papa !
- Le sang n'est pas noir, ma puce. " répliquai-je un peu trop précipitamment. Ma voix sonnait faux, j'avais peur. Mais de quoi ?
Pendant que nous remontions vers la maison, je regardais vers le ciel. Aurions-nous la chance de pouvoir observer cette nuit encore une nouvelle pluie d'étoiles filantes comme la veille ? Dans le récipient, l'astérie s'était collée contre l'une des parois et dans les remous d'eau salée, les minuscules tubes semblaient presque clignoter. Vraiment étrange, cette bestiole.
Maddie s'empressa de montrer sa prise à sa mère et insista pour l'installer immédiatement dans l'aquarium du salon. Durant le repas, elle ne cessa de glisser des regards vers l'animal. Je me fâchai :
" Maddie, tu veux bien te concentrer sur ton assiette et non sur ce qui se passe là-bas.
- Mais, Papa, elle fait des choses étranges.
- Elle s'acclimate à son nouvel environnement, c'est tout. Mange ou j'éteins l'aquarium. "
La tentation devait être trop forte car trente secondes plus tard, ma fille risquait un œil furtif vers sa nouvelle amie. Je me levai et coupai la lumière de la vasque.
Une fois Maddie endormie, nous nous installâmes devant la télé avec Erin. Nous discutions de la prochaine kermesse à l'école, du projet de sortie scolaire de son institutrice et des mille petites choses d'une vie de couple. À un moment, j'interrompis ma compagne. Sur l'écran, le présentateur du journal télévisé montrait un reportage de la pluie d'étoiles filantes :
" ... ci des images exceptionnelles des Orionides de la nuit dernière. Il semblerait que le phénomène astronomique ait atteint un pic d'intensité entre minuit et deux heures du matin tout le long de la côte depuis la Nouvelle-Écosse jusqu'à la Caroline du Nord. Des plaisanciers de Kennebunkport dans le Maine nous ont même fait parvenir cette vidéo. "
La qualité, comme sur tous les enregistrements amateurs, laissait à désirer. Le cadrage tressautait, la luminosité était trop basse. Puis, de larges traînées blanc-bleu fendirent le ciel. J'avais déjà observé des météores, mais je laissai échapper un juron en découvrant ceux-là :
" Nom de Dieu ! T'as vu ça, Erin ?
- Difficile de le rater, Mike. "
Tout à coup, un bolide encore plus imposant apparut à l'écran, la caméra se stabilisa suffisamment. L'astéroïde était assez massif pour ne pas se consumer en entrant dans l'atmosphère. Il explosa toutefois en fragments plus petits. L'un d'eux frappa la surface de l'océan obscuranti dans une gerbe d'eau salée.
" Punaise ! " soufflai-je.
Les images de l'impact se mirent à tourner en boucle, avec des pauses de mise en scène. Mais son attention fut détournée par un étrange bouillonnement qui provenait de mon aquarium. J'allumai et ce que je découvris me cloua sur place. L'astérie tenait dans l'une de ses tentacules l'un de mes holacanthe à bandes et avait commencé à le dévorer. Les autres poissons s'agitaient dans tous les sens pour échapper à l'impitoyable prédateur qui, déjà, tendait un autre bras vers une seconde proie.
" Saloperie ! râlai-je.
- Qu'est-ce qui se passe, Mike ?
- L'étoile de mer bouffe mes poissons tropicaux. Tant pis pour Maddie, mais ce truc dégage de chez moi ! "
Je plongeai la main dans le bassin et attrapai l'animal. Il lâcha aussitôt le cadavre à moitié dévoré. Avant que je n'ai pu la sortir de l'eau, elle resserra ses branches sur ma main d'une poigne terrible. Une douleur horrible me transperça jusqu'à l'épaule quand mon trapèze se cassa sous son étreinte. Je poussai un cri sauvage. Puis je grognai :
" Putain ! Erin, le seau ! Vite ! Cette merde me bouffe la main ! "
Mais elle ne se contentait pas de me briser les os, elle me vidait de mon sang dans d'effroyables bruits de succion. Pire, sous mes yeux, elle grossissait. Dans un réflexe, je l'écrasai sous le coin du meuble. Elle relâcha un tout petit peu son emprise. Je recommençai et chaque coup desserrait davantage l'étau. J'intimai Erin de me passer un balai et le seau de Maddie. Derrière moi, j'entendis soudain :
" Papa ? Qu'est-ce qui se passe ?
- Ma puce, ne reste pas là. Erin, éloigne Maddie, bordel ! "
L'astérie finit par renoncer à me dévorer la main. Elle tomba dans un bruit spongieux. Je gueulai, tant de fureur que de panique :
" Erin, viens m'aider. Coince la avec le balai. Moi, je vais la mettre dans le seau.
- Qu'est-ce que tu comptes en faire ?
- Elle retourne à la mer.
- Mais...
- Pas le temps de discuter. "
La créature agitait maintenant de façon ostentatoire ses tentacules. Maddie contemplait le spectacle avec un effroi que je n'aurais jamais voulu voir sur le visage de ma fille. Une terreur sans âge.
Je réussis à faire glisser l'étoile de mer dans le seau, puis le bloquai entre ma poitrine et mon bras. Du manche du balai, je la maintenais au fond du récipient.
" Erin ? Ouvre-moi la porte. "
Mon épouse obtempéra. Nous descendîmes tous les trois jusqu'à la grève au bout de la plage. Ma main commençait à me faire affreusement souffrir. Mes doigts prenaient des angles impossibles. Au-dessus des vagues indolentes, je lançai le seau à la mer.
Je crus sur le coup que la Lune dansait en innombrables reflets argentés sur la Grande Bleue puis je compris. Depuis notre balade de l'après-midi, le ciel s'était couvert. Ce que nous observions, ce n'était pas les friselis de Sélène, mais des milliers de podia pour un nombre incalculable d'étoiles tombées du ciel.

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