Le baiser de la femme-araignée
Pour son premier rendez-vous galant depuis des mois, des années ? Dwight s'était mis sur son trente-et-un. Il avait troqué ses habituels blue-jeans pour un pantalon en lin. Il avait repassé une chemise après en avoir essayé plusieurs devant le miroir de sa salle de bains. Il avait ressorti des tréfonds de sa penderie son blouson en cuir beige et il avait joué un moment avec le feutre qui trônait sur son porte-manteau avant d'y renoncer et d'opter pour une casquette en tweed.
Son cœur battait nettement plus fort que d'habitude quand il monta dans le métro ce soir-là. Ses joues sentaient l'eau de Cologne et l'après-rasage. Il écrivit un petit message à Ludmilla : je suis en chemin. J'ai hâte. Il voulait lui témoigner sa joie, mais sans paraître désespéré.
Il ne se reconnaissait pas au travers des reflets flous de la rame quand elle s'enfonçait dans les tunnels sombres. Dix fois, il consulta son téléphone pour voir si Ludmilla lui avait répondu, et autant de fois il douta quand il s'apercevait qu'il n'avait rien reçu. Il ne parvenait à croire en sa chance d'une telle rencontre.
Il s'apprêtait à fermer son compte sur le site de rencontres quand elle lui avait laissé un message. Il l'avait accueillie d'un œil méfiant. Combien avait-il entendu d'obscurs récits d'arnaque ? Pourtant, le courant était très vite passé avec la jeune femme originaire d'Ukraine. Dans la solitude de sa chambre à coucher, quand le sommeil ne venait pas, il s'était demandé ce qu'elle pouvait lui trouver, lui le quarantenaire sans enfants qui ne prenait pas vraiment soin de lui, Souvent, il observait dans le miroir ses traits banaux, ses yeux marron foncé, cette barbe épaisse et ces bourrelets qui dépassaient de sa ceinture. Peut-être voyait-elle en lui un gros nounours, une stature réconfortante. Prends ton plus beau sourire, mais ne sois pas niais pour autant. se motiva-t-il.
Son téléphone bourdonna enfin. Je t'attends devant le kiosque à journaux, disait-elle.
Il grimpa les marches, pour se donner une démarche sportive. Elle était une de ces beautés slaves aux cheveux aussi blonds que les blés. Ses immenses yeux bleus avaient la nuance et la profondeur d'un ciel d'été où courent des nuages duveteux. Comme sur ses photos, elle portait un rouge à lèvres ardent, une bouche que Dwight eut très vite envie d'embrasser. Il l'entraîna dans les ruelles bourdonnantes de monde, là où se trouvait les meilleurs restaurants. Elle était drôle, vive d'esprit, dynamique. Dwight semblait prêt à croire que l'amour frappait quand on détournait le regard. Ils dînèrent avec frugalité et rirent de concert. Dwight se sentait pareil à un papillon capté par une lumière éclatante. Les yeux de Ludmilla prenaient d'étranges reflets irisés dans les halos lumineux qui dansaient autour d'eux. Au-delà de ce cercle de volupté, le monde devenait pour lui insignifiant.
Après le souper, il proposa une balade sur les berges du fleuve. Dwight se montra gentleman. Ils se frôlèrent, se bercèrent au milieu des promeneurs noctambules. Face à la cathédrale, Ludmilla lui demanda s'ils se pouvaient se prendre en photo ensemble. Il accepta, tout sourire, le cœur débordant. Il glissa une main délicate dans le dos de la jeune femme. Les lèvres de Dwight butinèrent dans la blondeur de Ludmilla qui tourna la tête et l'embrassa avec une tendresse folle. Il se recula et lut des infinis chatoyants dans ses yeux couleur d'océan. Elle regarda les allées et venues sur la passerelle où ils s'étaient arrêtés, lui n'avait d'yeux que pour la séduisante jeune femme. Elle revint à lui, sourit et l'embrassa. Sa bouche dériva lentement vers sa gorge et s'égara vers sa jugulaire. Dwight crut tout d'abord qu'elle lui faisait un suçon, mais il ne se débattit pas. Il ressentit tout à coup comme une piqûre infime et une douce chaleur envahit son cou puis sa nuque. Autour de lui, le monde chavirait imperceptiblement. Je n'ai pourtant presque pas bu de vin. Juste un verre. pensa-t-il. L'onde chaude lui saisit le visage. Face à lui, Ludmilla souriait, les dents affleurant au coin de ses lèvres d'une façon presque carnassière. Il prit soudain peur et elle se rendit compte de son trouble. Elle vint s'appuyer contre lui. Elle lui chuchota à l'oreille :
" J'habite tout près, mon bel amant. Que dirais-tu de poursuivre notre étreinte chez moi ? "
Il voulut refuser, il s'entendit répondre " Oui ! ". Ludmilla sourit de plus belle. Il ne la trouvait plus ravissante. Affamée serait plus correct. Il n'eut pas conscience du trajet à pied jusqu'à l'appartement de la jeune femme. Il rêva qu'il s'allongeait dans un lit-toile d'araignée. Il ne pouvait plus bouger. Seuls ses yeux pouvaient encore parcourir la pièce obscure. Une indicible odeur saumâtre régnait. Est-ce que nous sommes près du fleuve ? se demanda-t-il. Ludmilla dévoila une guêpière en résille, Dwight constata avec effroi qu'il bandait. Elle dansa tout autour de lui, louvoyante et sexy. Dans son dos, elle arborait le tatouage noir et rouge d'une veuve noire. L'angoisse devint panique. Elle l'embrassa à nouveau et il sentit son corps se figer. Dans le même temps, son pénis devenait dur. Ludmilla se pourlécha les babines
" Ta vigueur me comblera de plaisir, bel amant. Et ta semence donnera à mon peuple une descendance digne de ce nom. "
En ultime vision, Dwight emporta celle des canines devenues chélicères. La femme-araignée avait apposé son baiser.

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