VII — Le dahlia et le myosotis

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⚠️TW ⚠️ Scène de maltraitance d'enfant dans ce chapitre.

Une serviette blanche serrée autour du corps, compressant sa poitrine déjà menue, elle part récupérer son téléphone. Elle soupire, lasse :


Je ne suis partie que depuis vingt-quatre heures.


Sa peau a repris des couleurs sous la douche, sans doute trop chaude ; elle fume légèrement sous l’éclairage de la chambre.


Il doit avoir peur que je reste au Danemark. Après tout, c’est ici que tu as passé la plus grande partie de ta vie, ‘Lia.


Elle rit.


Je déteste ce pays.


Elle jette son téléphone sur le lit. L’appareil rebondit et manque de basculer dans le vide.


Tu devrais venir t’asseoir, l’invité-je.


Elle sonde la place vide à côté de moi, puis secoue la tête. Ses pas la guident vers sa valise encore humide. Elle la couche sur le parquet, fouille, et en sort un débardeur blanc aux bretelles brodées de petites fleurs bleues.


Tu te souviens, Dim’ ?


Je lui rends son sourire.


Bien sûr. T’en avais marre que Liv te traite comme ses fleurs, alors je me suis autoproclamé Myosotis, pour que tu ne te sentes pas seule.


Myosotis… répète-t-elle, pensive.


La bretelle glisse entre ses doigts. Son sourire s’efface.


Le dahlia et le myosotis, oubliés dans la serre…


Dahlia devait avoir sept ans. Elle aimait rester auprès de sa mère lorsqu’elle s’occupait de ses plantes. Elle se fondait dans la végétation, discrète, muette, ses grands yeux verts guettant l’amour que Liv Everstein offrait à ses fleurs. Un amour qui ne lui était pas destiné.

Elle enviait les dahlias d’être assez beaux pour capter toute l’attention de sa mère. Alors, elle attendait, juchée sur un petit tabouret, un vieux chiffon tâché de peinture séchée serré contre elle comme un doudou.


Les saisons se succédaient, et Dahlia revenait toujours sur ce tabouret, aux côtés de sa mère. Elle avait fini par devenir, elle aussi, un de ces pots silencieux dans la serre, un dahlia immobile. Et un jour d’octobre, le regard de Liv changea. Elle ne voyait plus seulement sa fille — l’avait-elle jamais vraiment remarquée ? — : elle voyait, à travers cette petite robe, la fleur aux pétales cramoisis qui venait enfin d’éclore.

Un dahlia arabian night.


Du haut de ses treize ans, Dahlia fut émue de recevoir, enfin, l’amour de sa mère. La chaleur humide de la serre lui collait à la peau. Même lorsque Liv attrapa la bouteille d’engrais, sa fille l’observait, les prunelles pétillantes de bonheur.

L’odeur métallique et sucrée emplissait l’air.

Quand elle la saisit par la gorge pour ouvrir sa bouche, Dahlia resta immobile, docile sur son tabouret — sage fleur attendant d’être arrosée. Ses yeux verts pleins d’eau, elle but l’amour de sa mère.


La brûlure explosa aussitôt, déchirant sa gorge. Elle se tordit, glissant du tabouret comme une tige brisée. Ses doigts griffaient son cou, cherchant à étouffer l’incendie qui la consumait de l’intérieur. Le goût amer et métallique envahit sa langue, mêlé à un liquide opaque et sombre. Ses cris, aphones, déformaient son visage d’enfant. Elle suffoquait, crachant une écume sanglante sur les dalles, implorant que la douleur cesse. Les larmes traçaient des sillons brûlants sur ses joues.

Mais Liv était déjà tournée vers ses autres dahlias.


— Dahlia ! avais-je crié, encore et encore, tendant la main vers elle. Mais ma voix se heurtait à un mur invisible. Elle ne m’entendait plus.


Je voyais tout. Et je n’ai rien pu faire pour l’arrêter. J’étais figé dans l’ombre, impuissant face à la détresse de ma Dahlia...


Le goût revient. Acide.

Dahlia serre les poings. Elle secoue la tête, chassant l’image de cet après-midi là. La nausée qui enserre sa gorge lui rappelle les doigts glacés de Liv.


Ses mains tremblent. Elle attrape un débardeur, l’enfile, puis une culotte en coton. Ses gestes mécaniques.


Son agonie ne quitte plus son esprit. Ni le mien. Deux âmes hantées.


Combien de minutes ? Combien d’heures ?

Elle restait là, convulsant sous la verrière, prisonnière de l’automne.


Je déteste le Danemark, répète-t-elle, le regard vague.

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