Le Courant d'Air
La Jarre ne murmurait pas. La lumière pâle de la lune se reflétait sur sa surface argileuse. Les figures géométriques semblaient ondulées sous la lueur de la bougie. Et puis, il y avait cette fissure… Les phalanges d’Hélène la caressèrent délicatement. Elle lui paraissait grossière, informe, dépourvue de l’élégance décrite dans les récits anciens. Pourtant, s’échappait de la brèche, un infime chuchotement.
Depuis quelques nuits, Hélène ne trouvait plus le sommeil, alors que Larialle, elle, dormait paisiblement. Dans ces instants, les ombres recouvraient les murs de sa chambre comme des milliers de corps penchaient au-dessus d’elle. Et puis, lorsque le brouillard se levait et absorbait la bâtisse suspendue des Hajouack, Hélène se sentait comme au-dessus du vide. La villa planait au-dessus d’une mer de nuage. Soudain, la brume se mettait à marmoner. L’humidité de la jungle emportait avec elle les visions de son esprit gardien.
Mais là, la Jarre ne bruissait pas dans le brouillard matinal. Hélène détacha ses iris bronze de la relique. Le soleil se levait. Il peignait les nuages pâles de ses couleurs chatoyantes. Ses paupières papillonnèrent à plusieurs reprises pour que la fatigue s’envole pour de bon.
La Jarre chassait l’air, comme un poisson hors de l’eau. Hélène sentait sur l’épiderme de ses doigts la fraicheur d’une brise légère, d'une douce haleine, comme celle qui balayait la surface des Hautes Plaines. Depuis combien de temps l’emprisonnait-elle ?
La Jarre de l’Ombre fuyait. La jeune femme le souligna d’un trait d’esprit décalé. Peut-on vouloir à une urne funéraire de lâcher son dernier souffle ? Un large sourire fendit son visage concentré.
- Hélène ? l’interpella une voix familière.
La jeune femme sursauta. Sans se retourner, elle reconnaissait le timbre de son frère, prêt à partir sur son navire de pêche.
- La Jarre respire ! conclut-elle à voix haute.
- Intéressant, argua-t-il rieur.
Elle se tourna vers lui. Ses cheveux bruns s’ébouriffaient maladroitement sur son crâne.
- Mais tu devrais la remettre ou tu l’as trouvé, continua-t-il. C’est une urne. C’est quelque peu funèbre de déranger un mort dans son sommeil.
Le jeune homme disparut derrière un large drap pastel.
- Bonne pêche, lui souhaita-t-elle, joyeusement.
Oui, c'est ça ! La Jarre de l'Ombre ronflait paisiblement dans le petit matin...
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