Le Vol

4 minutes de lecture

Aux lointaines heures de la nuit, le brouillard envahit Larialle. Celui-ci rampait aux alentours des villas, comme si aux fonds d’eux, les nuages se paraient d’une certaine pudeur. Ils voilaient les fenêtres curieuses qui, derrière leurs volets bleutés, n’attendaient que le petit matin pour observer le port en contrebas. Cependant, aux abords du vide occulté, une embrasure s'ouvrait sur le dehors. Les rideaux humides pendaient contre leurs grés à l’orée de la terrasse et se collaient maladroitement sur les lucarnes. Quant aux cheveux d’Hélène, ils trouvaient en cette moiteur assez d’aisance pour se dresser en boucles sur sa tête. Sous les chuchotements de l’esprit de la jungle, la jeune femme avait fini par s’endormir. La Jarre, elle, rêvait paisiblement…

***

Ses pas résonnaient sur le carrelage. Les talons de ses bateaux cirés claquaient comme les langues acérées qui assenaient, derrière la porte, insultes et méprises. Ses mains cornées se posèrent sur le battant de celle-ci et d’un geste brusque, il la bouscula. C’est alors que les regards se tournèrent vers lui. Ses yeux durs comme le charbon s’étirèrent en même temps que le sourire qui pourfendait ses lèvres fines. « Regardez-moi ! », « Observez-moi ! », « Vous souvenez-vous de moi ? ». Ces mots s’échappaient de son esprit et chacun les ressentait comme s’ils faisaient échos avec le haut plafond.

Passez votre chemin, l’intrus…

Les querelles reprirent aussitôt sans se soucier des menaces futiles que Baltazar expédiait aux creux de sa tête. « J’ai la porte », « J’ai la clef », « Et je sais l'utiliser »…

— Et vous feriez bien de la fermer ! le coupa, alors, d’un ton tranchant, le psychédélique Ezyld en sondant son esprit.

« La porte ? »… Vaine plaisanterie… Baltazar ne possédait en aucun cas la suffisance d’esprit pour les inquiéter plus que cela. Pourtant, les sourcils bruns d’Ezyld se froncèrent délicatement, dessinant des rides intemporelles sur son front. L’homme s’adossa alors contre le mur et capta quelques prunelles aux passages. Une paire d’iris bleutés s’ancra aux siens, puis s’y décrocha de force. Hermine rapprocha ses lèvres rouges de l’oreille de son voisin. Elles s’animèrent ainsi de quelques chuchotements que Baltazar ne put alors comprendre…

***

Que faisons-nous de l’intrus ? marmonna la jeune femme. En plus d’être condescendant, il se permet de nous dérober sans impunité nos recherches. Nous ne pouvons pas le laisser voyager de dimension en dimension ! Il faut agir au plus vite avant que cette histoire ne tourne à la catastrophe !

Aux côtés d’Hermine, son associé réfléchit un instant, avant de délibérer de son sort.

Enfermons-le dans la Jarre de l’Ombre. Il n’en verra pas plus bel hommage…

***

Sur la terrasse, les songes brumeux d’Hélène emportaient l’esprit de la jeune femme loin de la Jarre. Quant au brouillard, d’un nuage curieux, il envahit l’appendice, si bien qu’au petit matin ensoleillée, la Jarre n’y était plus.

***

Quelques heures suffirent pour qu’Anaëlle ne vienne à poser ses coudes sur l’une des terrasses des Hajouack. Dès le petit matin, les autorités menaient leur enquête. Ils prenaient soin d’interroger les habitants de la villa suspendus et fouillaient les pièces à la recherche de potentiels indices.

— Monsieur Herman, nous ne vous achetons pas des reliques à des prix exorbitants pour qu’elle disparaisse aussitôt !

Anaëlle se tourna, s’appuyant à la rambarde. L’impatience de Jessen Hajouack transparaissait sur son visage. Ses cheveux, qui d’ordinaire avaient l’allure d’une algue gluante, prenaient davantage des airs de récifs chaotiques. Ses sourcils semblaient se hérisser au-dessus de ses paupières lourdes et la sueur perlait en trombe sur son front. Ses yeux brun croisèrent ceux d’Anaëlle. Le calme hautain de la jeune femme lui valut de cesser ses brimades. Jessen passa un mouchoir en tissu sur son visage. Herman reprit :

— Monsieur Hajouack, l’imprudence de votre fille n’est pas de notre ressort. Nous avions déjà pris la peine de répondre à votre urgence, n’attendez pas de nous de vous rembourser une quelconque somme ni de gaspiller temps et énergies dans la poursuite du cambrioleur.

Herman se parait d’une pointe de nonchalance. Sa blondeur et sa peau claire contrastaient avec son habituel rôle d’oiseau de jais. Seule sa voix grave grondait comme les cascades furieuses des Hauts Plateaux. Néanmoins, Jessen ne semblait guère intimidé par la prestance de l’homme. Davantage par le silence et la stature immobile d’Anaëlle, qui pourtant, n’avait rien de décoratif. Herman fit claquer sèchement ses talons et s’aventura dans l’impressionnante demeure comme s’il la connaissait comme la poche de sa veste couleur soleil. Jessen en profita pour s’avancer de quelques pas indécis vers la ballustrade. Ses iris vinrent se planter dans celle de la jeune femme.

— Je sais ce que vous pensez ! l’informa-t-il avec amertume.

Anaëlle n’avait pas pour habitude de se montrer si froide. Le propriétaire de la villa suspendue en connaissait les dérives.

— Vous m’avez vendu une malédiction, continua Jessen d’une colère glaciale.

— Vous en avez procréé une, rectifia la jeune femme calmement.

L’homme frappa brutalement sur la rambarde de la terrasse. De son front s’écoula une nappe de transpiration qu’il essaya d’un revers de son morceau de tissus, débroussaillant davantage ses sourcils.

— Vous n’admettrez jamais la sensibilité d’Hélène !

— Non, infirma la conteuse. Je ne confondrai jamais « génie » et « folie », Monsieur Hajouack.

« Jamais, la Jarre de l’Ombre ne doit être brisée », argua Jessen hors de lui. S’il sort des malheurs de ce bibelot, Herman et vous en serez les premiers à en payer le prix, Mademoiselle Anaëlle. Si vous saviez tendre l’oreille, vous auriez compris aux travers de la brume nocturne que l’esprit de la jungle se fait parolier ces temps-ci !

Anaëlle se garda bien de pester. Quand l’esprit se décide de hurler aux travers des branchages, il fallait être sourd pour ne pas l’entendre. Hélène Hajouack n’avait rien d’une enfant prodige et la Jarre de l’Ombre ne restait que de la vulgaire camelote.

— S’il y a un coupable derrière cette affaire, c’est Sylvestre Disganti, finit la jeune femme.

Elle s’échappa de l’encombrante présence de Jessen et rejoignit Herman un peu plus loin.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Blanche Demay ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0