Rebrousse Chemin

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Un pied à fleur de l’eau, Sylvestre observait la côte se rapprochait à toute vitesse. Dans son dos, à l’abri des regards, une couverture camouflait le galbe de la Jarre. Des sangles lui serraient le torse et l’abdomen ; aucun risque qu’elle ne se brise contre le bois ciré du navire. Les mains du jeune homme s’accrochaient avec ardeur aux cordages de la chaloupe.

- Nous sommes bientôt arrivés, lui prévint le batelier derrière lui.

- Tant mieux…

- Bien, répondit Sylvestre, une pointe d’angoisse dans la voix.

Sur les côtes, la végétation le narguait de son feuillage charnu. Qui sait ce qui pouvait se cacher derrière… Ses yeux céruléens scrutaient les ondulations du vent sur l’eau et les ombres des branchages sur les rivages marécageux. Son cœur palpitait avec animosité dans sa poitrine. Le jeune homme reposa sa chaussure boueuse sur l’embarcation. À quelques coups de rame, un ponton vermoulu se proposait aux voyageurs les plus discrets.

- Ce n’est pas trop tôt !

Sylvestre dégagea ses mèches bouclées de ses oreilles. Le baragouin de l’esprit de la jungle l’empêchait de se concentrer. Ses phalanges se serrèrent aux pommeaux de son cimeterre. Quelques racines sinuaient entre les planches pourrîtes du ponton. Se prolongeaient avec elle, l’ombrage menaçant des cimes. Le jeune homme ne voyait pas plus loin que la bitte d’amarrage rouillée. Pourtant, il ne s’en déchanta pas et sauta à pieds joints dessus dès qu’il fut assez proche d’elle. Il détala aussitôt à travers le fouillis de végétation. Au bout de quelques minutes, il sortit un crochet qu’il gardait contre ses hanches et s’en servit pour agripper l’écorce d’un arbre solide. Bientôt, il se retrouva à quelques mètres du sol, assis maladroitement sur une branche tordue. Il reprit son souffle. Ses longs cheveux bruns frisotaient au-dessus de son front. Enfin, Sylvestre lâcha quelques sanglots. Les gardes du corps d’Anaëlle n’avaient guère laissait ses côtes indifférentes. La douleur le foudroyait. Il sentait le sang pulser jusque dans ses lèvres tuméfiées.

- Tu n’as pas le temps de te reposer. Remets-toi sur tes pieds au lieu de te la jouer aux singes.

- Non, souffla-t-il à bout de force. Encore un peu de repos…

Sylvestre se mordit violemment les lèvres, les rouvrant aussitôt. Il ne s’était jamais imaginé sous les étoffes d’un héros. Pourtant, il savait que ce qu’il transportait dans son dos, cette poterie dépourvue d’originalité, cachait en elle une véritable arme. Le goût du sang empourpra ses papilles. Sa vie avait bien peu de valeur en comparaison de ce que la Jarre serait entre les mains d’un noble maladroit… ou de l’esprit de la jungle.

- Tu en viens toujours à en douter de moi ? s’opposa-t-elle. Cette vendeuse de pacotille n’a guère la jugeote de cesser ces activités irréfléchies. Mais toi, Sylvestre, tu en comprends les dangers, n’est-ce pas ?

Le jeune homme fut secoué d’une idée fugace, si foudroyante que même l’esprit ne put s’y confronter. D’un coup de main, il appuya sur ses lèvres ensanglantées. Puis, Sylvestre redescendu habilement de l’arbre, empruntant, d'un pas décidé, le chemin inverse.

- Cesse !

- Je vais ramener la Jarre où les pécheurs d’Anaëlle l’ont trouvé !

Le batelier avait dû attacher sa barque sur le rivage pour frotter la boue collée à la coque. Il avait encore le temps de le rejoindre. Au fond des océans, rien ni personne ne viendrait à briser la Jarre de l’Ombre.

- Imbécile !

Alors que Sylvestre s’avançait sur les planches de bois glissantes, une poigne le saisit par le col et l’appesantit brutalement contre la boue.

- Faites attention à la Jarre !

On lui immobilisa les poignets avec des cordes solides, puis on lui retira la Jarre de son dos. Sylvestre ne débattit pas. Anaëlle n’avait certes que peu de jugeotes, mais ce n’était pas qu’une vendeuse de pacotille. De sa poigne infaillible, elle gérer les ennuis d’un seul tour de main.

- Quand ta tête se percutera au billot, les derniers mots que tu entendras ne seront pas le jugement du truand, mais l’infamie que je profanerais. Tu en deviendras fou avant de lâcher ton dernier souffle.

Le jeune homme esquissa un sourire cynique.

- J’ai eu tort, ricana-t-il à voix basse, tort de croire que vous aviez la bonté de nous sauver. Vous n’êtes qu’un esprit puéril et malveillant.

Non loin, le frère d’Hélène observait avec crainte les lèvres carnassière et ensanglantée de Sylvestre Disganti remuer seules. La Jarre n’avait rien de sain et si son oncle, Jessen, ne lui avait pas ordonné, il aurait laissé le jeune homme partir dans la forêt. Qui sait s’il l’aurait revu ; le plus important aurait été que la Jarre disparaisse dans la nature.

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