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Je suis née sur cette planète. Je sais. Vous qui avez visionné tous les documentaires du vieux vingtième siècle et suivants, vous vous imaginez, vu ma tenue, et le luxe de cette villa, que, peut-être, je viens de notre belle et chère planète terre. Eh bien non ! Je suis née ici, sur LB35, pauvre et maltraitée, au service de gens sans foi ni loi. Mais je m’en suis sortie. Pas d’une façon très honnête, j’en conviens. Dans cette sauvagerie humaine, on met de côté quelques principes pour s'ingénier à préserver l’intégrité de la loyauté envers soi-même.

Quand mes grands-parents se sont posés sur cette planète comme, jadis, on se précipitait sur Terre vers d’autres continents pour découvrir et s’enrichir, ils sont arrivés les poches vides avec l’espoir d’un miracle. La publicité montrait les avantages de vivre dans ce havre de paix que proposait LB35. Ça paraissait un lieu tranquille et agréable. Ils se sont très vite aperçus que les riches pionniers occupaient déjà les meilleurs coins et que les slogans et la propagande favorisaient la main d’œuvre à moindre coût. Les nouveaux arrivants pauvres et malnutris tombaient à la merci du clan. Les filles tapinaient, ensachaient la drogue, comptaient les billets, servaient de mules. Les mecs servaient de gardes du corps. Les places se libéraient facilement ; règlements de compte, accidents ou suicides accentuaient le turnover.

Le système bien huilé possédait déjà tous les engrenages pour développer l’industrie des stupéfiants. Seule la mort libérait des places et permettait aux plus dégourdis de monter dans la hiérarchie. La loyauté participait grandement à l’ascension. Loyale, je l’avais toujours été tant qu’on ne me la faisait pas à l’envers.

Dans ce milieu, la vie n’a de prix que pour soi-même. La drogue est un commerce dangereux pour celles et ceux qui en vivent. Les épreuves viennent autant des brigades des stups que des malfrats. L’individu qui veut se lancer dans ce genre de business sait qu’il ne vivra jamais longtemps. Orpheline, j’avais été récupérée par un homme tout droit sorti de l’opéra de quat’sous. Il n’était pas méchant mais il se prenait pour ce qu’il n’était pas. Adolescente, mon boulot consistait à voler. Plus grande, il me confia son argent pour que je l’échange contre la monnaie terrienne, l’eurodollar. Celle de LB35 ne valait rien. Les terriens venaient sur notre planète pour s’amuser et s’éclater à peu de frais.

— Tu vois, m’a-t-il dit un jour, quand j’aurai assez de thunes, j’irai sur terre.

Au fond, c’était un doux rêveur. Le consortium le laissait prospérer. Il gérait ses affaires sans faire de vagues.

C’est lors d’un de ces échanges de monnaie que ma vie a basculé.

Une Porsche était stationnée sur le trottoir, un mec adossé sur la calandre, les bras croisés, semblait attendre quelqu’un.

— Vous avez besoin d’argent ? demandai-je.

— Non, merci, j’ai ce qu’il faut.

Il m’adressa un sourire. Je le lui rendis.

— Dis-moi, t’es là pour vendre ou pour draguer ?

C’était mon boss. Il prit l’argent que j’avais dans les poches et, il en profita pour me peloter. Gênée, je regardais le client. Son expression avait changé. Le sourire avait disparu. Il semblait sûr de lui. Quand il empoigna mon patron pour lui fracasser le nez sur le capot de la voiture, je compris aussitôt que ce n’était pas un terrien en mal de sensation mais un membre du clan de LB35.

— Si je te chope une nouvelle fois à emmerder les filles, je te bute. Compris ?

— Oui, oui, j’ai compris. Toutes mes excuses.

Il se faufila, le nez en miettes entre les passants médusés. Personne n’avait moufté.

— Christian.

— Hélène.

— Je ne t’oblige en rien mais si tu n’as rien à faire, tu peux venir avec nous.

Je n’ai pas hésité une seconde. Cette décision anodine, suivre un mec qu’on ne connaît pas n’a rien d’exceptionnel, précipita ma vie dans le maelstrom des stupéfiants.

Faut bien reconnaître qu’il m’avait sorti de ce boulot sans avenir.

Je ne sais pas si vous faites partie de ces gens dont l’enfance a été habitée par les contes de fées. Les livres que j’avais pu dégotter, petite, me transportaient vers des histoires de princes charmants, de belles jeunes filles bienheureuses, de rêves et de mondes fantastiques, de châteaux merveilleux.

Eh bien, vous me croirez ou pas, la vie avec Christian s’apparentait à celle des héroïnes de mon enfance. C’était la première fois qu’un homme me gratifiait d’un respect et d’un égard aussi profond. Il était doux, avenant, prévenant. Quoiqu’il arrivât, je l’aurais suivi au bout du monde. La fête continuelle, les rencontres de gens prestigieux, les voyages dans la galaxie, la coke et l’héroïne, bien sûr, omniprésentes, participait à l’idéal de ma vie. Je n’en aurais changé pour rien au monde.

Sur LB35, la société évoluait autour des stupéfiants. Tous les contrats officiels ou non se signaient dans les boîtes de nuit ou les bars. Le business se combinait toujours aux trafics et à la fête. On s’amusait autant qu’on travaillait. Personne ne dormait plus de quatre heures par jour. La plupart des décisions s'exécutait la nuit. Chaque minute participait à la construction de sa propre influence sur les autres. Tout s’organisait sur la relation. Les solitaires ne prospéraient jamais. Bien entendu, c’était un combat de chaque instant. J’allais m’en rendre compte très vite.

La vie sur LB35, foisonnante et dangereuse, prenait autant de place que les décès. Elle gratifiait celles et ceux qui avaient les capacités de prospérer et punissait celui ou celle qui échouait. Les décisions bonnes ou mauvaises déclenchaient toujours des arbitrages. Le business prenait le pas sur toute autre activité. La vie de famille n’existait pas. Les enfants du clan remplissaient les internats que le monde des affaires avait construits. Ils n’en sortaient que le bac en poche. Les meilleurs allaient sur Terre pour finir leurs études, les autres étaient envoyés sur d’autres planètes, le reste travaillait comme cadre pour le clan.

— Ça te dit de venir boire un verre ?

Christian revenait d’un voyage avec son boss.

Je l'attirais vers moi, me collai contre lui, l'embrassais longuement et je répondis après...

— Oui bien sûr !

La boîte de nuit était classique. Il y avait un bar immense et deux pistes de danse. Ce soir, comme tous les soirs, elle était noire de monde. Il m’était arrivé d’y travailler de temps en temps pour échanger de la fraîche. Pendant ses absences, Christian me léguait quelques responsabilités.

— Il faudra que je te présente au patron un de ces quatre.

Pierre, suivie de Cathy, nous rejoignit au bar.

— Venez, Paul vient de téléphoner, il veut nous voir.

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