1.6

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Je ne comptais plus le nombre de tonneaux. La descente dura une éternité. Elle s'acheva dans le crissement des dernières oscillations. L’auto finit par s’immobiliser sur le toit. L'équilibre retrouvé, la stupéfaction céda la place à la perplexité. Le silence, troublé par le charivari des tôles et le rugissement des chevaux, absorba instantanément tous les sons de l'espace. Le moteur rugit une dernière fois et capitula. La nature se tut.

Allongée sur le dos, malgré les vertiges, je fus assez lucide pour analyser la situation. Le châssis s’était écrasé sur les sièges. À l’avant, j'entrevoyais dans l'entrelacs des bris du pare-brise, les étincelles projetées par un éventuel court-circuit. Le carillon des alarmes internes me somma de réagir. Une odeur d’essence commençait à empester l’atmosphère. Ma jambe était bloquée. Toutes les tentatives pour la dégager de l'enchevêtrement des tôles furent vaines. Les contorsions s'apparentaient aux gesticulations d'un animal étranglé par le nœud d'une corde. Insidieusement, le souvenir sinistre d'un renard, pris dans les mâchoires d'un piège, contraint de dévorer sa patte pour s'échapper, s'imposa. Le désespoir imposait de me dégager. J’entendis le tissu de mon jean se déchirer. La peau de ma cuisse céda sous la pointe acérée d’une pointe de métal. J’attendis un moment. La douleur diminua. L’objet contondant venait d’un dossier qu’il fallait soulever pour achever de dégager ma jambe sans l’estropier davantage. Vu ma position, mes bras ne suffisaient pas à faire levier. Je m’allongeais pour reprendre mon souffle. Je pris le temps d’examiner l’habitacle du véhicule. J’entendis Paul tousser. Au dehors, un mince filet coulait dans le sable. J’aperçus un cric. Malgré tous mes efforts, il resta coincé.

Il va bien falloir que tu trouves une solution.

— Tout va bien madame ?

Une femme, sortie de nulle part, se proposait de m’aider.

— Vous êtes bien amochée.

— Prenez ce cric et servez-vous en pour dégager ma jambe.

— Ok !

— Allez y doucement.

— Bien, madame.

Avec des gestes précis, elle dégagea ma jambe et réussit à m’extirper de la voiture.

— Aidez-moi.

Paul s’adressait à la secouriste.

— Attendez !

Je repris le sac et tout ce qui m’appartenait. Je vérifiai que la clef était bien dedans ainsi que le passeport et le fric.

— J’ai débranché la batterie.

— Merci.

— Je vais vous aider.

— Non, vous en avez largement assez fait. Un conseil, déguerpissez et faites-vous oublier.

Je sortis le beretta. Son visage changea de couleur.

— Foutez le camp et disparaissez.

On dit que la peur donne des ailes. La pauvre femme s’évapora.

— Aide-moi !

Tu as bien fait, on ne sait jamais avec Paul dans le coin.

— Hélène, si tu ne m’aides pas, je te poursuivrai aux quatre coins de l’univers.

Je gardai le Beretta braqué sur lui.

— Aide-moi et je te protègerai.

— Comme vous venez de le faire juste avant l’accident ?

— Si tu m’abandonnes, je t’éliminerai.

— De toutes façons, mon sort est déjà fixé.

Ma jambe pissait le sang. Je déchirai un pan de ma chemise en lambeaux et plaçai un garrot.

— Bien, je vais vous sortir de là.

— Merci, tu ne le regretteras pas.

— Ne me prenez pas pour une buse. Je sais que vous ne tiendrez pas parole.

— Je vous promets que je ferai ce que je peux pour…

— Taisez-vous !

Je débarrassai les encombrants et dégageai la portière qui bloquait ses membres. Ses jambes avaient été écrasées par la pression. Je le tirai à l’abri d’un arbre, loin de la voiture.

— Ne me laisse pas là.

— Je vous ai sauvé la vie, on est quitte.

— Attention !

La voiture explosa. Elle fit un bond, et retomba lourdement sur le sol dans un fracas étourdissant. Les débris volèrent autour de nous sans nous toucher.

— Ne me laisse pas ici. Je vais crever comme un chien.

Elle le fixa un moment. Là, adossé sur un tronc d’arbre, ce visage ruiné de rides, sculpté par la douleur, révélait toute la détresse d’un homme qui percevait soudain tout le secret désespoir de sa faiblesse. Il ne pouvait fuir. Pour la première fois, il percevait l’affront de l’abandon, l’oppression de la solitude. La fuite, les appuis, tout lui était fermé. Il était, dans ce désert, à l’image de cette planète ; Un caillou perdu dans l’immensité du cosmos. Un funambule sur qui le destin jette la pierre pour qu’il tombe.

— S’il te plaît.

Il prononça cette prière du bout des lèvres. Ce murmure étouffé dévoilait l’être profond aux frissons de son haleine.

— Je ne peux plus rien pour vous. La fumée alertera les secours, vous êtes sorti d’affaire.

— Hélène.

— Adieu.

Je rangeai le 9mm et claudiquai droit devant moi. Je desserrai le garrot de temps en temps pour éviter la paralysie ou la gangrène. Quand, au loin, j’aperçus une ferme isolée, j’étais au bord de l’épuisement. Je réussis à atteindre une fontaine qui trônait dans la cour. Je me désaltérais à l’onde pure des sources. Le vent soufflait. Tout en me dévisageant, un type, assis sur une chaise à bascule, continuait à se balancer au rythme de la musique. Elle déversait sa mélodie dans la chaleur épaisse et la poussière. Je m’approchai, traînant ma jambe. Il cessa de bercer et se précipita pour m’emporter sur un lit.

— Ôtez votre pantalon, je reviens.

C’était une chambre simple avec un bureau. Il devait y travailler souvent. Tout le nécessaire pour écrire était à portée de main. Ce devait être un écrivain. Les murs étaient couverts de notes utiles à la rédaction d’un roman.

Il apporta de quoi me soigner. Il me tendit mon sac. Je le coinçai sous le lit. Pendant tous les soins, il ne prononça pas un seul mot. Je finis par m’endormir. Tard dans la matinée, il me réveilla. Les taiseux ont cette faculté à communiquer leurs émotions sans aucune parole. Dans son regard, je sus qu’il y avait urgence.

Je repris le sac, scotchai la clef derrière une armoire et me réfugiai dans la salle de bain. Les hommes étaient déjà dans la pièce. Ils fouillèrent l’endroit et défoncèrent la porte. Je les reçus avec le Beretta dirigé vers eux, je tirai. Aucune détonation. L’arme était déchargée. Ils m’embarquèrent. Avant de monter dans le van, je regardais mon soigneur. Adossé au mur, il restait les bras croisés.

L’un des types enfonça l’aiguille d’une seringue dans mon cou. Je m’écroulai presque aussitôt. L’anesthésie se dissipa. On me portait comme une poupée de chiffons sur une épaule. L’homme m’installa sur une chaise près d’une table. Il sortit et claqua la porte. Le verrou crépita deux fois.

Des menottes en plastique attachaient mes poignets. J’observai les allées et venues des gardes. Leur surveillance flottait dans les ankyloses engourdies de la routine. L’endroit était propre. Rien ne traînait. Un évier marbré de calcaire et de rouille accroché au seul mur en dur donnait un semblant d’hygiène. Des étagères, saturées de bidons et de sacs de toile, s’appuyaient sur les parois grillagées de la cellule. Le bord coupant des montants faciliterait la libération des liens. Adossé à l’un des montants, je torturais mes poignets. Les anneaux entamèrent ma peau. Je poursuivis. Le sang coula sur mes doigts. Je persévérai. Le cordon creusait le cuir. Malgré la douleur, je sentais les attaches près de la rupture. Dans un dernier effort, j’accélérai le rythme. Les menottes lâchèrent.

Je m’assis sur la chaise, épuisée. Mes poignets saignaient. Les langueurs salutaires de l’engourdissement m'envahirent.

Le bruit caractéristique des talons aiguilles sur le sol en ciment me réveilla. Une femme, entourée de deux gardes, s’approchait. Après une courte pause, elle entra. Je la reconnus aussitôt, c’était Marie la femme de Paul. Elle me fixa. Doucement, elle fit le tour de la table et retira les menottes qui séchaient sur mes poignets. Le décollement de la peau me fit sursauter. Marie se lava les mains et prit l’essuie main qui pendait sur le porte-serviette. Elle s’assit en face de moi.

Je la regardais. Elle me tendit ses mains.

— Tends moi tes bras !

Elle fit un nœud autour de mes deux poignets. Je grimaçai. Le tissu arrêta l’hémorragie.

— La vie est pleine de surprise, tu ne trouves pas ?

Elle affichait un sourire en coin.

— Figure-toi que la femme qui t’a sorti de la voiture est une de mes collaboratrices. Elle aime à secourir les gens. Elle est comme ça.

Marie suspendit son récit. Elle resta un court instant suspendu à cette valeur.

— Mais quand tu l’as menacé de ton flingue, elle a tout de suite compris. Et c’est là qu’elle a reconnu Paul. Elle m’a tout de suite prévenue. Elle t’a même filée. Il n’a pas fallu longtemps pour te cueillir.

L’air satisfait rayonna sur son visage.

— Paul m’a laissé plusieurs messages me disant qu’il avait eu un accident. Ça corroborait les dires de ma mule.

Son regard se fit plus sévère.

— On s’est déjà rencontrées toutes les deux, n’est-ce pas ?

— C’était chez vous à la nouvelle année. J’étais la femme de Christian.

Son regard plein d’interrogations envisageait plusieurs possibilités.

— Il est mort.

Cela répondait en partie à ses questions muettes.

—Il n’y a aucune raison pour que tu te trouves en compagnie de mon mari. Que diable faisais-tu avec lui ?

Je ne répondis pas. Malgré moi, je baissai les yeux.

Marie acquiesça. Elle se leva et s’adressa à son garde du corps.

— Emmène-là avec les autres.

Elle sortit.

— Où sommes nous ?

Marie se retourna et sourit.

— Sur LB50 !

  • Sur LB 50 ?

LB50, là tu vas bicher ma grande.

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