3.1

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Certes, je suggérais que sur LB50, tu allais mener la grande vie. Mais je ne t’ai jamais dit que ce serait facile. Et j’observe que tu t’en sors plutôt bien. C’est une grande force, l’adaptation. Je te souhaite une bonne nuit, mon ange.

J’avais l’impression d’être comparable à un oisillon perdu dans un nid qui n’était pas le sien. Les bras de Christian me manquaient. J’aimais bien ces instants rares mais tellement intenses où plongés dans l’eau tiède de la baignoire, nous étions enlacés, unis dans l’uni ; dans un monde à nous, privilège de l’amour, de ceux dont la tendresse se lit dans les volutes du regard.

— Je baigne dans une ambiance de mort. Je ne vais pas vivre bien longtemps.

— Chut, tais toi. Profitons.

Le clapotis de l’eau, semblable à celui d’un étang sous la brise, nous emporta dans les sombres replis d’une forêt. Effondrée dans ses bras, marionnette désarticulée, Christian me portait hors de l’eau pour me déposer sur la rive. Je ne respirai plus. Il me fit un massage cardiaque.

Rien n’avait changé. Les lieux étaient les mêmes. Les filles occupaient le temps redoutant les prochaines nuits, les prochaines livraisons. Je me réveillai sur ce matelas pourri, loin des bras affectueux de Christian. Je revenais petit à petit à la vraie vie.

Bonjour, bien dormie ?

Je regardais le vide. Une vague de désespoir m’emporta.

La journée ne va pas être de tout repos, repose-toi.

Je préférais m’asseoir sur le lit. J’étais bien réveillée maintenant. Inutile de comater.

— T’as pas vu ma veste ?

— T’as été promu, tu fais partie des mules maintenant.

Elle me dit ça en faisant un signe de tête en direction d’une autre cage où d’autres filles s’affairaient.

— Félicitation !

— Merci.

Je me dirigeais vers le dortoir des mules.

— Qu’est-ce que tu viens foutre là !

Une des filles bloquaient la porte. Je la fixai.

— Où est mon lit ?

— C’est pas toi qui devrait être à cette place.

D’autres filles s’approchèrent avec ce regard lourd de reproche.

— Ok, ok.

Je levai les bras en guise d’apaisement.

— Je regrette ce qui s’est passé. Je n’ai jamais voulu ça. Elle est morte dans mes bras. Elle était gentille. Elle voulait m’aider.

Je les regardai une par une. J’étais sincère. Elles reculèrent. Le même signe de tête me montra mon lit. Ma veste et mon sac pendaient sur le rebord. Les filles rengraciaient.

Je sortis mon portable. Le réseau était défectueux dans ce bâtiment en béton armé. Les grilles des geôles n’arrangeaient rien. Je m’écartais pour trouver une meilleure connexion. Cathy tentait désespérément de m’appeler. Je percevais l’inquiétude dans sa voix. Entre deux messages, le portable sonna. J’hésitai à décrocher. Je refermai le portable.

— Elle ne répond toujours pas ?

— Tu me vois en train de parler au téléphone ?

— Euh, non, maman. Je m’inquiète, c’est tout.

— Oh, excuse-moi Kevin.

J’étais au bord des larmes. J’étais fatigué, j’avais faim et j’avais peur. Maman accroupie à ma hauteur essuya les larmes qui commençait à couler et me serra dans ses bras. Le téléphone sonna.

L’appareil indiquait numéro inconnu. J’hésitai à décrocher.

— Allo ?

— Cathy ? c’est moi !

— Hélène ? Mais ça fait je ne sais combien de fois que j’essaie de t’appeler. Je croyais qu’on t’avais éliminer.

— Écoute-moi.

— Kevin est mort de trouille.

— Écoute moi. Tous nos portables sont à eux. Ils peuvent nous filer. Détruis ton portable et cours chez la fleuriste.

— Quoi ? Qu’est-ce que tu me racontes ?

— Cathy, s’il te plaît.

— Ha oui la fougère.

C’était un code. Il s’agissait d’un salon de coiffure qui se trouvait dans le centre ville. Les scientifiques avaient nommé une fougère capillaire ou le cheveu de Vénus parce que son feuillage ne gardait jamais l’humidité.

Je confiai à Kevin la tâche de détruire mon portable.

Une voiture approcha. Je reconnus tout de suite Patrick et Marc. Paul voulait m’éliminer. Il avait mis ses deux meilleurs sicaires à notre poursuite. Et ceux là étaient sans pitié. Attachés à une fidélité sans faille envers leur patron, ils étaient extrêmement dangereux. Cette obéissance aveugle et redoutable en proie à toutes les menaces n’augurait rien de bon. Arrêtés au carrefour, ils discutaient. Je pris Kevin par la main et me faufila la tête baissée entre les passants. J’entrai dans le premier resto venu. Ils avaient tous une porte qui donnait sur une arrière-cour pour les livraisons. Je réussis à ressortir de l’autre côté du quartier. Une voiture attendait un apprentis pour vider le coffre. Les clefs étaient dessus.

— Viens vite, Kevin, monte.

— Mais ce n’est pas la nôtre !

— Oh Kevin, tu peux arrêter ça, s’il te plaît. Allez grimpe.

Je démarrai en trombe jusqu’au croisement.

— Baisse la tête.

Les deux hommes nous cherchaient. Il étaient à pied. Ils tournaient autour du resto comme des chiens reniflant la trace d’une proie. Patrick avait ramassé le portable brisé dans le caniveau. Furieux, il le jeta par terre.

Avec toutes les précautions pour n’alerter personne, je tournai prudemment à droite et m’éloignai des deux truands.

Je détruisis mon téléphone et attendis la suite. Ça ne traîna pas. Jahyan arriva. Il fit sortir les autres filles et vint me voir.

— Écoute Hélène. Sois très prudente avec Marie. Ne lui donne pas l’occasion de trop s’intéresser à toi. T’as fait du bon boulot. Elle t’a remarqué et c’est particulièrement dangereux. Elle ne va plus te lâcher. Alors, s’il te plaît, reste discrète.

Jahyan semblait se préoccuper de ma santé. Il emmena les filles. Je ne savais plus quoi penser. De nombreuses caméras filmaient les va et vient de toutes les personnes qui passaient dans l’entrepôt. J’étais sure que Marie nous épiait continuellement de son bureau. Mais elle n’entendait rien. Sinon Jahyan ne se serait pas permis de me souffler ce genre d’avertissement.

Il revint toujours accompagné des deux filles.

— Viens, Marie a besoin de toi. Elle veut que tu viennes avec nous au club. Tu comprends maintenant ? Elle a collé sa fille dans un internat et elle ne va jamais la voir prétextant qu’elle n’a jamais le temps, que le moment n’est pas propice. Alors t’imagine bien que tu es la dernière roue du carrosse.

Jahyan gara la voiture sur le parking du club.

— Toi, Hélène, tu reste là.

— Mais…

— Puisque tu as détruit l’ancien, voici un nouveau portable. Prends-en soin, cette fois-ci.

Il me regarda avec un petit air de reproche qui n’en était pas vraiment un. Je crois qu’il comprenait.

— Si tu remarques quoi que ce soit de suspect, même un truc anodin, tu préviens.

— Il n’y a que ça des trucs anodins sur les parkings.

— Te fais pas de soucis, quand tu le verras, le truc anodin, tu sauras de quoi je parle.

Il sortit suivi des deux filles.

— N’oublie pas. Garde l’œil ouvert.

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