Alliées

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Zoey

Je suis réveillée avec tendresse lorsque je sens une étreinte se presser contre mon dos. Je devine immédiatement que c’est une femme, et je remarque également que l’avoir contre moi me fait terriblement de bien. Alors, tout naturellement, je ne cherche pas à m’en défaire, et m’approcher de cette chaleur enivrante. 

Je n’ai pas de doute quant au fait que ce soit Natacha. Même si j’ai peu de souvenirs de la soirée à cause de la bouteille que je me suis enfilée presque entièrement, et les deux joints que j’ai fumé, je me rappelle de son entrée, d’elle en train de regarder son tableau et celui de Marina. Puis j’ai fondu en larmes dans ses bras. 

C’est la première fois que la proximité d’une femme m’apaise autant. Outre Marina qui est une enfant, j’ai rarement eu l’occasion de penser ainsi d’une étreinte. Au lycée, Natacha était un peu la rebelle du bahut, celle qui aimait plaire mais qui ne donnait pas son cœur à n’importe qui. Je sais qu’elle avait souvent des relations fortuites, rien qui ne dépassait les quelques semaines, en tout cas. Mais en sept ans, elle a tellement changé. Peut-être qu’après avoir eu Marina, elle est devenue plus maternelle. Et de ce fait, son contact est rassurant. 

Mais je ne sais pas pourquoi, penser ainsi m’attriste. Je n’ai pas envie qu’elle soit ma mère : d’ailleurs je n’ai plus envie d’en avoir une tout court. Je veux autre chose. 

Mais je ne sais pas quoi exactement. 

— Oh, bordel... 

Sa voix se fait à la fois rauque et chaude. Hésitante, je me retourne, et la découvre les yeux fixés sur son portable. 

— Quoi ? soufflé-je dans un murmure. 

— Il est dix heures passées. 

Mon cerveau n’a pas le temps de réagir que mon corps est déjà relevé. Seulement, une douloureuse migraine se pointe au même moment, de manière fulgurante, au point que même mes mains contre mes tempes n’apaisent pas ma douleur. 

— Rallonge-toi, idiote. Tu as bu et fumé, tu n’es pas en état de travailler. 

Je me sens comme une enfant qui se fait gronder. Je m’exécute, un peu fébrile, et ferme les yeux en remontant la couverture jusqu’à mes épaules. Natacha se rallonge à son tour et, à ma plus grande surprise, se glisse contre mon épaule en passant son bras autour de ma taille. 

Soudain, je me rappelle du discours que je lui ai balancé la veille, énervée par la trahison de Dani et surtout, horrifiée que Natacha me questionne à ce propos. Alors j’ai usé du pire stratagème pour m’en débarrasser : utiliser mes blessures, les rouvrir, pour lui faire peur et la rendre détestable à mes yeux. Alors que non... Jamais je ne pourrais détester Natacha. Même si elle m’insultait, je n’en serais pas capable. 

Tout simplement parce qu’elle n’est et ne sera jamais l’un de ses hommes misogynes. Parce qu’elle est et restera éternellement cette femme, si belle, si intelligente, celle que j’observe au bureau et à qui j’aimerais ressembler. Alors, dans une gêne absolument perfide, je chuchote : 

— Je suis désolé pour hier soir... 

Elle ne répond pas tout de suite mais rapidement, elle susurre : 

— Tu m’as fait beaucoup de mal à m’accuser de ces crimes. J’essaye de me battre contre ça tous les jours de ma vie. C’était vraiment bas. 

Ouille. Je ne parle pas à n’importe qui, j’ai tendance à parfois l’oublier... Natacha est très rancunière, je devrais le savoir. Je mérite de subir cette culpabilité grandissante. Je l’ai bien cherché. 

Les larmes qui perlent aux coins de mes paupières sont les seules preuves de ma repentance. Cela a le mérite de toucher Natacha, qui se redresse au-dessus de moi pour venir les nettoyer de sa main chaude. 

— Ne pleure pas, tu sais bien que je ne t’en veux pas. J’aimerais vraiment savoir ce qui t’arrives, mais... je ne te forcerais jamais. Je te le promet, d’accord ? 

Je hoche la tête, les lèvres tremblantes. Elle se réinstalle et m’attire contre elle en passant un bras dans mon dos. Je me laisse faire, et écoute les battements réguliers de son cœur. 

— Merci, Nat. 

*** 

— Je n’arrive pas à croire que tu allais lui donner ce bout de journal, grogné-je. 

Dani pousse un large soupir puis dépose ses deux mains à plat sur la table de sa grande salle à vivre. Derrière elle, Christa s’affaire à la cuisine, portant fièrement son tablier rose, chantant à tue-tête une chanson d'Aznavour.  

— Tu n’es pas honnête avec les femmes que tu chauffes, Zo. 

Je lève les yeux en l’air, exaspérée. 

— Je ne chauffe pas Natacha. C’est différent. 

— Différent en quoi ? Marmonne la brune, ça se voit que tu en pinces pour elle. D’ailleurs, tout le monde le voit sauf elle. Je ne sais pas laquelle de vous deux est la plus stupide. 

Mes joues rouges ne lui échappent pas car elle reprend, avec encore plus de hargne qu’avant : 

— Hé oui, ma belle, désolé de te l’annoncer ainsi mais il faut être aveugle pour ne pas te voir la fixer et l’attendre le soir juste pour passer du temps avec elle. 

— Oui, mais elles discutent juste généralement, chantonne Christa. 

Je la remercie d’un regard, qu’elle me rend avec plein de tendresse. Mais Dani n’est pas d’accord, et le fait bien comprendre à la petite blonde en lui lançant un regard noir. 

Elle se laisse tomber sur la chaise en face de moi et s’épanche contre le dossier, les bras croisés. 

— Écoute, si tu ne lui en parles pas avant d’avoir passé l’étape du touche-pipi, tu vas le regretter. Et tu en es parfaitement consciente. 

Je pousse un long soupir. 

— Je ne veux pas me caser avec Natacha. Ni elle, ni personne d’autre, d’ailleurs. Avoir envie de juste du sexe, ce n’est pas si grave, non ? Franchement, Christa, dit moi honnêtement : s'il n’y a aucune responsabilité entre nous, je n’ai pas besoin qu’elle soit au courant de mon passé, tu ne penses pas ? 

Christa fronce les sourcils puis nous rejoint. Elle dépose un bras autour des épaules de Dani qui vient lui caresser la jambe. 

— Oui, mais Natacha a une fille en bas-âge. Si tu n’es pas honnête avec elle, ça risque de jouer à la fois sur son humeur et son moral. Et ça peut se répercuter sur sa fille. 

Je rejette le visage en arrière, partagée entre le désespoir et la culpabilité. Depuis que Natacha est revenue dans ma vie, mon seul et unique objectif est qu’elle ne sache jamais rien de mon passé. Elle est la seule encore pure à ce sujet, la seule qui ne me voit pas en pitié. Je ne peux pas laisser passer cette occasion. Une femme qui me voit comme je suis aujourd’hui, et non le reflet troublé de celle que j’étais, c’est trop demander ? Dani profite d’être la seule au courant de mes traumatismes pour se permettre de dire qui a le droit de savoir ou non. Mais en réalité, elle n'a aucun droit. Elle pourra dire ce qu’elle veut, je ne l'inviterai pas chez moi et lui raconterais pas non plus mon passé. 

Plutôt crever, ouais.

Notre discussion est interrompue par la sonnerie de la porte. Christa se débarrasse rapidement de son tablier et accueille les invités : Maria, Arley, Joyce et sa petite cousine de deux ans puis Roger et Natacha. 

Nous nous saluons tous – des bises par-ci, par-là. Mon étreinte se fait plus forte pour Roger, à qui je remercie de s’être remis de ce qui était pour l’instant un simple rhume. Je m’installe près de lui, et lui sourit en enroulant son bras du mien. 

— Tu as l’air de bonne humeur, papa, dis-je en souriant. 

Rieur, il hausse les épaules. 

— Ça fait du bien de prendre des vacances. Je peux m’occuper de mon potager. 

Il se met à me raconter ses déboires avec son jardin et ses disputes avec l’adolescente qu’il paye pour l’aider. Un genre d’amour vache, selon lui. Il en rit, loin d’être déboussolé par la fraîcheur que lui renvoie cette lycéenne. 

Autour de nous, les discussions vont bon train. Le repas se déroule sans fioritures, les rires se mêlent aux anecdotes gênantes, et la faible musique allège l’ambiance. Tout doucement, chacun se met à murmurer des histoires du passé, peignant un tableau de souvenirs. Moi, perdue dans un amas de souvenirs négatifs, j’en oublie qui je suis réellement et ce que j’ai vécu, plus jeune.  

Ce que j’ai vécu, hun...

Perdue dans mes pensées, je ne m’aperçois pas qu’il est si tard et que l’horloge murale indique déjà minuit. Certains sont déjà partis et, même si je n’ai pas envie de me retrouver encore seule, je dois rentrer à l’hôtel. 

— Tu peux dormir à la maison tu sais, me propose Christa. 

Je secoue le visage en enfilant mon manteau. Derrière moi, Natacha et Dani sont en pleine conversation. 

— Je vais bien Christa, chuchoté-je, je n’ai pas besoin qu’on me babysitte. 

Elle ouvre ses deux grands yeux bleus puis pince les lèvres. 

— Tu penses peut-être que je ne le vois pas, mais détrompe-toi. J’ai retrouvé des cadavres de joints dans la poubelle de la terrasse, et je sais aussi que tu as amené une de tes prostituées venir te chercher, il y a deux mois. 

J’ouvre la bouche mais la referme aussitôt quand Dani réapparaît près de sa femme. Je pince le nez, avant de jeter un regard aux deux brunes. 

— Quoi, chacun ses petits plaisirs ? s'exclame Dani. 

Je lui donne un coup de sac sur l’épaule mais elle recule juste à temps pour l’éviter. Je lâche des jurons à tout va, en lui proclamant que c’est ma vie privée. Natacha finit par m’attraper par les épaules et me pousse jusqu’à la sortie. 

— Je la ramène chez elle, les filles. Bonne soirée et bon weekend. 

— Faites attention à vous sur la route ! 

Je lève les yeux en l’air, à la fois irritée et énervée de ne pas avoir été aussi discrète que je le pensais. Cela dit, Christa est aussi fautive : elle se permet de fouiller derrière moi comme si c’était normal. Sinon, comment aurait-elle su qu’Angelina était une prostituée ? Bon sang, ça m’énerve ! Ils croient tous que je pourrais éclater en mille morceaux du jour au lendemain, alors que non. Mes plaisirs personnels sont là pour me satisfaire, c’est tout. 

Natacha me pousse jusqu’à sa voiture noire et s’installe derrière le volant. Même si je suis plutôt réticente quant au fait de grimper là-dedans – notamment parce que je ne lui ai pas parlé depuis une semaine, c'est-à-dire à la suite de notre réveil dans mon lit. 

La portière claque derrière moi tandis que le véhicule s’élance sur la route. Elle reste silencieuse quelques secondes, tandis que j’entends déjà le glas sonner jusqu’aux creux de mes entrailles. 

— Des joints, hun ? 

Je lève les yeux en l’air et soupire, dépitée. 

— Et alors ? Soupiré-je, une prostituée, un joint, une bouteille d’alcool. Peu importe. Je viens tous les matins à l’heure, je lis tous les jours, je mange tous les jours, je m’habille correctement et je suis toujours, toujours et je dis bien toujours excellente dans mon travail et pendant les interviews. On ne peut rien me reprocher, rien du tout. 

J’expire une grande bouffée. Natacha ricane, une main sur le volant. L’autre vient prendre ma main et, seulement lorsqu’on s’arrête à un feu rouge, elle vient plier mes doigts hormis le majeur. 

— Tu peux aussi faire ça, c’est plus simple. 

J’étire un sourire, amusée. 

— Je m’en fiche, dit-elle finalement, tu fais ce que tu veux de ta vie tant que ça ne nuit pas à ta santé. Et tant que tu ne montres pas cet exemple à ma fille. 

— Bien sûr que non, pour qui me prends-tu ? 

Elle se tourne vers moi et me regarde, un sourcil haussé. 

— Il faut avouer que tu n’as jamais été un modèle de vertu, princesse. 

— Oh, je t’en prie, soupiré-je, toi non plus, je te rappelle. Tu as quand même couché avec moi alors que tu ne m’avais jamais parlé.  

Elle lève la main pour m’interrompre et ouvre la bouche, prête à rétorquer. Puis elle prend la voix qu’elle a lorsqu’elle déteste avoir tort et qu’elle se sent obligé de se justifier : 

— Primo, à la base, c’était un échange : tu devais me dire ce que tu avais. Je n’avais pas prévu que ton talent de dessinatrice me surprenne à ce point. Tu aurais préféré que je mente ? 

J’éclate de rire en secouant le visage.  

— Bien sûr que non ! Mais avoue que toi non plus, tu n’es pas un modèle de vertu ! 

Nos regards se croisent, accompagnés par l’ébène de la nuit et les faibles lumières clignotantes des lampadaires. Elle me sourit tendrement, comme si cela faisait longtemps qu’on ne s’était pas vu, qu’on ne s’était pas parlé et, surtout, qu’on n’avait pas ri aussi légèrement. 

— C’est vrai, souffle-t-elle finalement, mais tu es la seule avec qui je l’ai fait et je ne l’ai jamais regretté. Et je recommencerais si c’était à refaire. 

Son regard se met à changer et devient presque transparent tant le désir germe aux creux de ses pupilles dilatées. Il n’y a plus aucun sourire qui grignote ses lèvres mais seulement cette concupiscence qui nourrit les traits de son visage strié par l’envie. 

— Je vois... murmuré-je, le cœur battant, et si... Je plisse les yeux, amusée. 

Je me sens comme des années auparavant. Comme ce jour-là, comme une adolescente en émoi qui s’apprête à faire une bêtise. Cette sensation m’est devenue complètement étrangère avec le temps et là, elle fait pétiller toutes les cellules de mon corps fébrile. 

— Et si ? 

La voix de Natacha s’engouffre jusqu’au plus profond de mon être. Notre baiser passionné me revient en mémoire, comme un souvenir agréable et chaud que je regrette de ne pas sentir immédiatement quand je sens tous les muscles de mon corps s’échauffer à petit feu jusqu’à l’intérieure de mes cuisses. 

— Et si on recommençait... ? 

Je n’ai jamais été aussi peu certaine de moi, c’est tellement frustrant ! Natacha est une femme mais aussi une mère. Accepterait-elle de s’offrir à moi, que je m’offre à elle, une nuit, comme ça, sans qu’il n’y ait vraiment de lendemain ?  

— À une condition, souffle-t-elle. 

J’acquiesce, à l’écoute. Un large sourire étire sa fine bouche et ses yeux pétillent de malice. Ce n’est que lorsqu’elle se détache que je me rends compte qu’on est arrivé devant mon hôtel. Elle se penche au-dessus de moi et son front touche le mien. 

— Passe la semaine de Noël avec Marina et moi. 

Sa demande me fait l’effet d’un court-circuit. Je me sens à la fois perdue et... heureuse ? Je ne comprends pas sa demande, et je ne comprends pas non plus pourquoi elle m’est adressée. 

— Pardon ?  

Elle rigole doucement et vient détacher ma ceinture pour venir glisser sa main sur ma cuisse. 

— Tu as très bien entendu. Si j’accepte, tu viens à la maison, tu dors chez moi et tu passeras la semaine, et je dis bien toute la semaine avec nous. 

— Pourquoi ? Je ne comprends pas... Je ne suis pas... 

Je ne suis pas quoi ? Son amie ? Sa copine ? 

— Pas encore, Zo. 

Mon cœur rate un battement et n’a pas le temps de se remettre de ses émotions tant les événements s'écoulent à une vitesse incroyable. Natacha quitte la voiture pour venir m’ouvrir et m'extirper comme si je n’étais qu’une poupée de chiffon. Le chemin jusqu’à l’étage puis jusqu’à ma chambre s’évapore dans une flopée d’images blanches. Je ne me rappelle pas exactement comment je suis arrivé jusqu’ici, ni si Natacha m’a porté, si elle m’a parlé ou m’a demandé les clés. Tout ce qui me vient à l’esprit, là, tout de suite : c’est sa bouche qui s’écrase précipitamment contre la mienne alors que je tourne les clés fébrilement derrière moi. 

Bon sang... Je n’aurais jamais pensé un seul instant qu’il me serait permis, de nouveau, d’être aussi proche d’elle. 

Son corps tout entier se presse contre le mien et le cliquetis de la porte qui s’ouvre annonce la délivrance : à reculons, nous entrons dans ma chambre d’hôtel tandis que je lui retire son long manteau noir dans des gestes précipités. Elle en fait de même avec moi et referme la porte d’un coup de pied.  

— Attends, attends ! m'exclamai-je. 

Je la contourne et rouvre la porte pour venir récupérer mon trousseau de clé que j’ai bien failli laisser. Natacha me lance un regard désespéré. 

— Désolé, rigolé-je, le stress qui retombe tout doucement. 

Je me rapproche d’elle avant qu’elle ne me plaque de nouveau contre son corps, affamée et pressée. Elle me fait tomber contre le matelas et attrape mes genoux d’une douceur étonnante pour m’inciter à l’enserrer. Sa bouche virevolte contre la mienne comme deux oiseaux en guerre et en amour, et sa langue s’amuse contre la mienne, nos poitrines haletantes qui se frôlent à coups sûrs et distincts. 

Je ne sais pas laquelle de nous est la plus bruyante, mais ce qui est sûr, c’est que nos soupirs s’accordent en une seule et unique mélodie en symbiose. Sa main perfide tâte mon corps, caresse ma peau, roule mon sein tendu. Ses lèvres humides laissent des traces embrumées sur tout mon corps. 

— Nat... 

Elle me déshabille dans une douceur que je ne lui ai connu qu’une seule fois et qui ne me déplait pas. Moi qui ai l’habitude à ce qu’on soit plus violent, je m’étonne à être plus encline à cette tendresse. Ses mains parcourent mon corps comme des vagues maudites et, bientôt, je suis suffisamment nue à son goût pour qu’elle se mette à chercher partout là où sa langue sera rassasiée. Ma robe m’abandonne dans un froissement excitant, puis c’est au tour de sa chemise blanche que je déboutonne avec lenteur, son pantalon serré...  

Soudain, c’est la sonnerie d’un téléphone portable qui interrompt notre moment intime. D’un geste commun, on se tourne l’une vers l’autre. 

— C’est le mien, soupire-t-elle, je suis désolé, mais si c’est pour Marina... 

Je l’empêche de continuer et attrape son portable moi-même, perdu au confins de nos tissus, pour le lui donner. Elle n’a pas besoin de se justifier : c’est l’âme d’une mère qui parle et je ne peux que le comprendre. Elle fronce les sourcils puis réponds, irritée :  

— Que se passe-t-il ? 

Son visage se crispe dès lors qu’elle reçoit une réponse. 

— Je suppose que tu ne lui as pas du tout fait regarder la télé jusqu’à pas d’heure et que tu lui as donné des boissons que j’avais interdite ? 

Elle se mordille la lèvre inférieure puis salue la personne dans le combiné avant de raccrocher.  

— Qui c’était ? 

— Ma supposée meilleure amie qui n’est même pas foutue de s’occuper d’une gamine le temps d’une soirée. C’est quand même fou, putain, je ne peux rien lui demander ! 

La colère qui l’anime soudainement est palpable. La lèvre entre mes dents, je baisse les yeux et l’observe se rhabiller. 

— Je suis désolé, soupire-t-elle en refermant sa chemise. 

Je détourne le regard puis jette un œil aux tableaux qui décorent le mur de ma chambre. Celui de Natacha se démarque des autres, mais également celui de sa fille. 

— Je pense que tu peux facilement te faire pardonner, soufflé-je. 

Je me tourne de nouveau vers elle tandis qu’elle fronce les sourcils, attendant ma réponse. Je m’humecte les lèvres, un peu gênée, puis hausse les épaules. 

— Ça fait longtemps que je n’ai pas vu Marina, et puis, c’est le weekend, alors... 

Je ne termine pas ma phrase, trop gênée pour aller plus loin dans mon explication. D’autant plus que le dire à voix haute me parait complètement stupide. Pourquoi lui avoir demandé ça ? C’était complètement idi... 

— D’accord. 

Je plonge mon regard dans le sien. Son large sourire ne m’échappe pas mais il m’est vite retiré lorsqu’elle la brune me jette ma robe au visage. 

— Prends ce qu’il te faut, on part tout de suite. 

Un large sourire habille soudainement mon visage, alors même que je ne m’en rends pas immédiatement compte. Je me précipite pour me rhabiller et Natacha met un peu de rangement dans la chambre pendant que je fais mon sac. J’y emmène simplement l’essentiel et tâche d’y laisser mes cigarettes et les numéros douteux écrits sur des post-its. Le geste semble toucher Natacha car je vois, du coin de l’œil, le petit sourire qui tranche son visage. 

Et je ne sais pas pourquoi, mais je ne peux m’empêcher d’être contente. A mes yeux, c’est une petite victoire. Petit, mais infime. 

— Vous ne restez pas cette nuit, mademoiselle ? 

La voix de l’hôtesse d’accueil s’engouffre comme un reproche en moi. Je me tourne vers elle et lui lance un petit sourire pour la rassurer. Elle ne me laisse pas le temps de répondre qu’elle reprend la parole en regardant Natacha : 

— Eh bien, cette prostituée-là semble plus gentille et plus éduquée que les autres ! 

Elle éclate de rire dans un silence religieux. Je presse le nez et me tourne vers Natacha dont les deux pupilles me fixent avec intensité sans que je ne parvienne à y lire quoique ce soit. Elle se retourne finalement et quitte le bâtiment. Mon cœur se presse et un soupir m’échappe. Mon au revoir à l’hôtesse se fait plus froid que prévu. Lorsque je pose un pied dehors, le vent s’engouffre sous mes courtes boucles sombres et vient titiller ma nuque. Les muscles tendus, je cherche Natacha du regard qui contourne le véhicule. Puis elle s’arrête, une main sur la portière et me lance un regard. 

— Tu te sens seule à ce point ? 

Je lui jette un œil lourd, vraiment honteuse. Je me contente d’hocher la tête, les yeux baissés sur le sol. 

— Désolé. 

Je ne sais pas pourquoi je m’excuse mais j’en ressens le besoin. De l’extérieur, on croit toujours connaître les gens de notre entourage. Mais en réalité, ce n’est pas si simple. On cache tous des parties sombres et d’autres, plus éclairées. En y repensant, je n’ai jamais caché mon mal-être, ni mon besoin irrépressible d’être entouré. La preuve en est : à l’époque, je pouvais bien subir ma vie avec mon père que ça m’importait peu tant que j’étais près de mes amis. Encore aujourd’hui, j’ai besoin qu’ils restent tous près de moi sinon je sens que je pourrais ne plus me réveiller avec le même entrain que d’habitude. 

Je me sens tellement fatigué. Fatigué d’être cet enfant qui ne veut pas grandir. 

Un sanglot se loge dans ma gorge. Natacha se rapproche de moi, les mains dans les poches, et me sonde du regard comme si elle pourrait y trouver les réponses à ses questions. Les larmes affluent aux coins de mes pupilles mais je les retiens : je ne veux pas pleurer devant elle. 

— Tu as l’air malheureuse malgré ce que tu dis. 

J’inspire une longue goulée d’air et renifle en haussant les épaules. 

— Je ne suis pas malheureuse. Je me sens juste terriblement seule. 

Ses deux mains viennent cueillir mon visage tendrement. Sa bouche dépose un baiser sur la mienne, chaste et doux, provoquant un autre sanglot. Je ne parviens pas à me défaire de la larme qui s’écoule sur ma joue, puis de la suivante... 

— Je suis là, ça va. 

Natacha passe ses bras autour de mon cou et me plaque contre elle. Accrochée aux pans de son manteau, j’engouffre mon visage dans sa nuque comme si celle-ci pouvait être ma seule et véritable porte de sortie. 

Peut-être est-ce le cas, qui sait ? Peut-être que Natacha est mon début.

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