Chapitre Troisième

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Deux semaines après le Chapitre Deuxième.

Six heures du matin. L'aurore vierge se diaprait déjà de pourpre et d'or, son âme meurtrie était lacérée d'azur. Quelques nuées plus bas, le velours noir de la nuit s'émoussait de gris et d'un éclat argent. Elle avait sa traîne. Ne lui manquait plus que sa couronne. Elle la ceindra quand le Soleil se lèvera, et dès lors elle serait reine du monde.

Assujettie à ce spectacle, Averse se laissa transporter par le clapotis de l'écume vermeille qui ployait vers l'océan de ciel. Il faisait sombre encore. Elle se faufila entre les drues rangées de bouleaux qui séparaient la cour extérieure du complexe funéraire de son cimetière.

Et la bulle de feu montait, montait, et montait encore. L'indigo de naguère se délavait d'azuré et le front des arbres déjà chaulait ses rameaux.

Un bouquet d'oeillets blancs piqué de roses de même teinte à la main, la jeune femme s'extirpa de la bétulaie et se dirigea vers la statue centrale, une Clio marbrée et sa couronne de laurier, la main droite vers le ciel et la gauche aidant à relever un vieillard. Une fois rendue, elle compta encore sept rangées en avançant, puis treize tombes en allant à gauche.

Impudiquement, la noirceur s'évaporait en gouttelettes de rosée. D'opaque baie corbeau, une couleuvre de brume ébène avait surgi et avait erré jusqu'à ce qu'un rayon la brûle. L'odeur de chair brûlée que l'on appelait humus exaltait et s'épanouissait vers l'éther.

Averse finalement fit face à ce, ou plutôt celle, pour qui elle avait fait tout ce chemin. À ses pieds, une petite plaquette laissait entrevoir un nom et deux dates en lettres argentées. Elle y déposa ses fleurs et s'agenouilla à même la terre. Armada Durand-Joly. Lui serait-il un jour donné d'oublier ce nom?

Voilà le jour. Tout est lumière, désormais, toute discrétion est malvenue.

Deux semaines qu'elle avait passées à tenter de trouver des mots, des rimes. Des couleurs, des sensations. Des souffrances. Des souvenirs. N'importe quoi, mais rien n'était venu. Rien ne sonnait juste. Qu'y avait-il de juste, ici, de toute manière? Comment pouvait-elle commenter une toile inachevée, fusse-t-elle promise à devenir le plus auguste des chefs-d'oeuvre, dont la seule teinte restante était l'encre ombrée des iris de la défunte?

La chaleur se décorsetait et s'éployait dans toute direction, les arbres striaient d'ombre le vert tendre du bruyère. La couleur émouvait chaque forme, chaque objet, le douait de vie.

Des larmes coulaient désormais sur la mâchoire nette et serrée de la jeune femme, pleurant avec toute grâce et dignité qui fut de mise. Elle était perdue. La mort planait dans l'absolu, telle l'épée de Damoclès au-dessus de celle qui portait une armure. Elle ne craignait pas la fin, non. Qui craindrait le repos?

Une oiseau carmélite pépiait, seul encore devant la matinée. Désespéré de trouver âme qui vive, qui sût l'alléger de son esseulement. Mais personne encore. Ah! Comme l'oiseau était petit maintenant vis-à-vis le jour.

Elle craignait l'amour. Celui qui s'infiltrait insidieusement en les meutrières de son heaume et qui enserrait son âme de tous ses cordages, qui subjugait son esprit de toutes ses baleines. Celui qui avait déjà frappé. Elle était malade, et d'un coup cette mort prenait le prix de mille, sans un remords. Comme la perfection était cruelle! Averse se releva, terreuse et grandiose, les yeux levés vers l'infini. Elle traversa de nouveau le cimetière, la bétulaie d'un pas lent et retrouva son bureau.

L'œil avait déjà souillé la beauté de la vue. Le spectacle enfin était fané.

Pomélo, siégant à sa table de travail, se releva brusquement et se figea devant Averse. Cette dernière passa hâtivement ses doigts sur ses sillons déjà secs afin d'y dissimuler toute trace de larmes. Le regard troublé, l'homme l'interrogea:

-Où t'étais passée? Ça fait bien une heure que t'es censée être ici, on devait réorganiser les classeurs ensemble!

-J'ai eu un empêchement, pardon.

-Du genre déterrer un cadavre? Non, ne réponds pas, je préfère ne pas savoir, répliqua Pomélo en jetant un coup d'œil à ses vêtements souillés.

Averse sourit, l'air coupable.

-Je crois que...

-Que quoi? demanda Pomélo.

-Rien, rien.

Le jour fut, comme si sa seule fonction fut d'être.

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