2. Prune

5 minutes de lecture

 Fronçant les sourcils devant l’enchevêtrement de fils multicolores, Prune cherchait la moindre erreur dans ses branchements. Elle avait déjà vérifié deux fois, mais « vigilance était mère de sûreté » ou quelque chose comme ça. Et puis, la vigilance s’appliquait d’autant plus qu’elle ne s’éclairait qu’avec sa lampe frontale. Le sous-sol ne disposait d’aucune fenêtre.


 Le tableau électrique prenait le mur tout entier. C’était le seul du camp, d’où sa taille impressionnante. Ce n’était pas le premier sur lequel elle travaillait, mais elle devait reconnaître que celui-ci lui avait presque donné du fil à retorde.


 Elle se recula, vissa son chapeau de sorcière sur sa tête et se dirigea vers le levier d’alimentation. Elle l’activa d’un geste sûr.


 Aussitôt, l’unique lampe éclaira la pièce de son faisceau jaune poussiéreux et fatigué. Le visage de Prune s’illumina également. Elle avait réussi.


 Elle fonça vers l’escalier et le remonta aussi vite que ses petites jambes lui permirent.


 ─ Papy ! Papy ! T’as vu ça !? J’ai réussi !


 Elle arriva dans une petite pièce qui avait dû être une cuisine, avant. Assis à la table, un homme d’une soixantaine d’années, robuste, vêtu d’une grande cape verte militaire et d’une casquette de soldat réparait une grosse machine en métal. Sa barbe grise et ses sourcils broussailleux empêchaient de lire son expression. Il était concentré sur sa tâche. Il releva la tête quand il vit Prune arriver dans la cuisine.


 ─ Bien joué, petiote. C’est justement ce qu’il me manquait, un peu de lumière, dans ce trou à rats.


 Il n’avait pas sitôt prononcé ces mots qu’une ampoule explosa. Et une autre. Puis toutes, les unes après les autres, en réaction en chaîne. La pièce fut replongée dans l’obscurité avec pour seule source de lumière les derniers rayons du soleil couchant et la lampe à huile du vieil homme posée sur la table.


 Ce dernier se tourna vers elle.


 ─ T’as bien vérifié l’ampérage avant d’envoyer le jus ?


 Prune se raidit.


 ─ … oui ?

 ─ Bah voilà. Tu ne feras pas deux fois la même erreur.


Deux hommes arrivèrent dans la petite salle, paniqués et passablement énervés. L’un deux, un homme trapu avec un léger embonpoint, prit la parole :


 ─ Que vient-il de se passer, Auguste ? Pourquoi toutes les ampoules ont-elles explosées ?

 ─ Soucis technique. Ça arrive.

 ─ Vous rigolez ?? Et nos ampoules ??

 ─ Arrêtez de pleurer. Vous êtes le seul camp à des kilomètres à la ronde, vous aurez pas d’mal à en retrouver, des ampoules. Vous modifierez l’ampérage et ça éclairera aussi bien qu’avant. Même mieux.

 ─ Hein ? s’étrangla-t-il.

 ─ On est des sorcières, pas des putains d’hommes à tout faire, tu crois quoi ?


 Il s’arrêta un instant pour toiser les chefs du camp qui ne dirent rien après avoir croisé son regard barré de trois cicatrices.


 Prune souffla intérieurement. Papy était toujours là pour la sortir des sales passes dans lesquelles elle se mettait. Mais ce n’était pas sa faute ! Il fallait bien qu’elle apprenne aussi ! Elle faisait ses premières réparations, bien sûr qu’il y aurait des ratés.


 Après quelques minutes supplémentaires, il ôta son tournevis de la grosse boîte en métal sur laquelle il travaillait et en referma le clapet d’un grand coup.


 ─ Voilà, comme neuf. À défaut d’avoir des ampoules, vous aurez un bon champ électro-magnétique.

 ─ Au moins, maintenant, on va pouvoir se défendre comme il faut. Avec les quelques Mages Noirs qui rôdent dans la région, mieux vaut renforcer nos protections.

 ─ Vous avez été attaqués récemment ?

 ─ Oui, malheureusement. Il était tout seul mais nous a dérobé plusieurs appareils et batteries. On ne l’a vu que lorsqu’il est reparti. On l’a reconnu à sa grande cape noire.

 ─ Mouais… certains sont vraiment des lâches… Enfin bon. Nous, on a fait ce pourquoi on est venus. Notre mission est terminée.


 Sur ces mots, il se leva de sa chaise et s’étira, son dos craqua en plusieurs endroits. Les deux hommes, n’osèrent pas faire plus de réflexions à Auguste, qui était assez intimidant. Sauf pour Prune… Quoi que, parfois il s’énervait et elle se disait qu’il ne valait mieux pas lui répondre.


 Pendant qu’Auguste réglait quelques détails avec les chefs de camp, Prune se rendit sur le toit d’un des bâtiments. Une légère brise faisait soulever ses nattes. La fraîcheur du crépuscule lui faisait du bien. La nuit eut fini de tomber rapidement. Seul l’intérieur du camp était éclairé par les quelques lampes qui avaient survécu au mauvais ampérage de Prune. Cependant, la nuit était claire, sans lune, et Prune pouvait voir le désert comme en plein jour. Elle remarqua, au loin, une statue de Quetzalcóatl en bronze que les personnes du camp avaient dû déblayer pour prier. Prune ferma les yeux et adressa une prière silencieuse au dieu à la tête de serpent.


 Auguste arriva avec leur repas, et il s’installa à côté d’elle. Il dut sentir son tracas.


 ─ Tu sais, c’est pas grave, ce qu’il s’est passé tout à l’heure. C’est une partie que j’ai pas encore abordé avec toi. Le fautif, c’est moi, alors va pas te mettre martel en tête. On peut pas tout connaître à seulement dix ans.


 ─ Mais t’as dit que j’apprenais vite.

 ─ Ouais. Mais on peut pas apprendre des trucs qu’on connait pas, tu vois. On verra ça dans la semaine. Pour le reste, j’ai été jeter un coup d’œil, c’est très bien.


 Prune le regarda et sourit. Même bourru, Auguste avait un bon fond. Elle savait qu’il s’inquiétait pour elle, après tout, elle était la seule famille qu’il avait.


 Elle porta une cuillerée à sa bouche. Elle tenait dans sa main une sorte de ragoût. Elle huma de délice. Elle ne s’attendait pas à de telles saveurs ! C’était ce qu’elle aimait dans les camps. Il y avait des gens qui faisaient la cuisine, et ça, ça valait mille fois les sachets lyophilisés ou les bâtons de nourriture sèche qui les nourrissaient sur la route.


 La route, c’était ce que Prune avait toujours connu. Leur mission de sorcière les faisait voyager dans tout le Désert pour aller distribuer de l’électricité aux camps de Sédis et réparer leurs installations. Sur son dos, Auguste portait un générateur à recharge solaire, un peu old school, mais qui suffisait à générer assez d’énergie.


 Fidèle à lui-même, Auguste se remit à bougonner.


 ─ Satanés Mages Noirs… Ils profitent vraiment de la moindre occasion pour chiper tout et n’importe quoi. Je m’étonne qu’on n’ait pas encore trouvé leur repaire…

 ─ Mais tu ferais quoi une fois que tu l’aurais trouvé, ce repaire ?

 ─ Bonne question… Leur voler tout ce qu’ils ont volé et le redistribuer ailleurs, je suppose.

 ─ Tout seul, ça serait compliqué.

 ─ Je prendrais le temps d’y réfléchir, alors. Et puis, si on peut empêcher cette vermine de s’incruster dans les camps, ce s’ra déjà pas mal !


 Prune reporta son regard sur la plaine désertique. Même si c’était leur maison, le Désert était encore loin d’être un endroit tranquille. De nombreuses batailles menées sous des conditions difficiles (ruines, tempêtes de sable, armes redoutables, …) rendaient parfois leur périple dangereux. Mais elle s’en contentait.


 Pour rien au monde elle n’échangerait sa vie contre autre chose. Elle était heureuse.


 Un petit point rouge brilla au loin, Prune se redressa en même temps qu’Auguste. Pas de doute, ça, c’était une fusée de détresse.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Thunder Litchi ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0