2. Prune

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 Fronçant les sourcils devant l’enchevêtrement de fils multicolores, Prune cherchait la moindre erreur dans ses branchements. Elle avait déjà vérifié deux fois, mais « vigilance était mère de sûreté » ou quelque chose comme ça. Et puis, cette vigilance s’appliquait d’autant plus qu’elle ne s’éclairait qu’avec sa lampe frontale. Le sous-sol ne disposait d’aucune fenêtre.

 Le tableau électrique occupait le mur tout entier. C’était le seul du camp, d’où sa taille impressionnante. Ce n’était pas le premier sur lequel elle travaillait, mais elle devait reconnaître que celui-ci lui avait donné du fil à retordre.

 Elle se recula, vissa son chapeau de sorcière sur sa tête et se dirigea vers le levier d’alimentation. Elle l’activa d’un geste sûr.

 Aussitôt, l’unique ampoule éclaira la pièce de son faisceau jaune poussiéreux et fatigué. Le visage de Prune s’illumina également. Elle avait réussi.

 Elle fonça vers l’escalier et le remonta aussi vite que ses petites jambes le lui permirent.

 ─ Papy ! Papy ! T’as vu ça !? J’ai réussi !

 Elle arriva dans une petite pièce qui avait dû être une cuisine. Assis à la table, un homme d’une soixantaine d’années, robuste, vêtu d’une grande cape verte militaire et d’une casquette de soldat, réparait une grosse machine en métal. Sa barbe grise et ses sourcils broussailleux lui donnaient une expression sévère. Il était concentré sur sa tâche, mais releva la tête quand il vit Prune arriver dans la cuisine.

 ─ Bien joué, petiote. C’est justement ce qu’il me manquait, un peu de lumière, dans ce trou à rats.

 Il n’avait pas sitôt prononcé ces mots qu’une ampoule explosa. Et une autre. Puis toutes, les unes après les autres, dans une réaction en chaîne. La pièce fut replongée dans l’obscurité avec pour seule source de lumière les derniers rayons du soleil couchant et la lampe à huile du vieil homme posée sur la table.

 Ce dernier se tourna vers elle.

 ─ T’as bien vérifié l’ampérage avant d’envoyer le jus ?

 Prune se raidit.

 ─ … oui ?

 ─ Bah voilà. Tu ne feras pas deux fois la même erreur.

 Deux hommes déboulèrent dans la petite salle, paniqués et passablement énervés. L’un deux, trapu avec un léger embonpoint, prit la parole :

 ─ Que vient-il de se passer, Auguste ? Pourquoi toutes les ampoules ont-elles explosées ?

 ─ Souci technique. Ça arrive.

 ─ Vous rigolez ?? Et nos ampoules ??

 ─ Arrêtez de pleurer. Vous êtes le seul camp à des kilomètres à la ronde, vous aurez pas d’mal à en retrouver, des ampoules. Vous modifierez l’ampérage et ça éclairera aussi bien qu’avant. Même mieux.

 ─ Hein ? s’étrangla-t-il.

 ─ On est des Sorcières, pas des putains d’hommes à tout faire, tu crois quoi ?

 Auguste s’arrêta un instant pour toiser les deux chefs qui ne rétorquèrent rien après avoir croisé son regard barré de trois cicatrices.

 Prune souffla intérieurement. Papy était toujours là pour la sortir des sales passes dans lesquelles elle se mettait. Mais ce n’était pas sa faute ! Il fallait bien qu’elle apprenne aussi ! Elle faisait ses premières réparations, bien sûr qu’il y aurait des ratés.

 Après quelques minutes supplémentaires, il ôta son tournevis de la grosse boîte en métal sur laquelle il travaillait et en referma le clapet d’un grand coup.

 ─ Voilà, comme neuf. À défaut d’avoir des ampoules, vous aurez un bon champ électro-magnétique.

 ─ Au moins, maintenant, on va pouvoir se défendre comme il faut. Avec les quelques Mages Noirs qui rôdent dans la région, mieux vaut renforcer nos protections.

 ─ Vous avez été attaqués récemment ?

 ─ Oui, malheureusement. Il était tout seul mais nous a dérobé plusieurs appareils et batteries. On ne l’a vu que lorsqu’il est reparti. On l’a reconnu à sa grande cape noire.

 ─ Mouais… certains sont vraiment des lâches… Enfin bon. Nous, on a fait ce pourquoi on est venus. Notre mission est terminée.

 Sur ces mots, il se leva de sa chaise et s’étira, son dos craqua en plusieurs endroits. Les deux hommes, n’osèrent pas faire plus de réflexions à Auguste. Parfois, quand il s’énervait, Prune aussi avait un peu peur de lui répondre.

 Pendant qu’Auguste réglait quelques détails avec les responsables du camp, Prune emprunta une échelle pour se rendre sur le toit d’un des bâtiments. Une légère brise soulevait ses nattes. La fraîcheur du crépuscule lui faisait du bien. La nuit tomba rapidement. Seul l’intérieur du campement était éclairé par les quelques lampes qui avaient survécu au mauvais ampérage de Prune. Cependant, la nuit était claire, sans lune, et Prune pouvait voir le désert comme en plein jour. Elle remarqua, au loin, une statue de Quetzalcóatl en bronze que les Sédis qui vivaient ici avaient dû déblayer pour prier. Prune ferma les yeux et adressa une prière silencieuse au dieu à la tête de serpent.

 Auguste arriva avec leur repas, et s’installa à côté d’elle. Il dut sentir son tracas.

 ─ Tu sais, c’est pas grave, ce qu’il s’est passé tout à l’heure. C’est une partie que j’ai pas encore abordé avec toi. Le fautif, c’est moi, alors va pas te mettre martel en tête. On peut pas tout connaître à seulement dix ans.

 ─ Mais t’as dit que j’apprenais vite.

 ─ Ouais. Mais on peut pas appliquer des trucs qu’on connait pas, tu vois. On apprendra ça dans la semaine. Pour le reste, j’ai été jeter un coup d’œil, c’est très bien.

 Prune le regarda et sourit. Même bourru, Auguste avait un bon fond. Elle savait qu’il s’inquiétait pour elle. Après tout, elle était la seule famille qu’il avait.

 Elle porta une cuillerée à sa bouche. Elle tenait dans sa main une sorte de ragoût qu'elle huma avec délice. Elle ne s’attendait pas à de telles saveurs ! C’était ce qu’elle aimait dans leurs arrêts chez les Sédis. Il y avait des gens qui faisaient la cuisine, et ça, ça valait mille fois les sachets lyophilisés ou les bâtons de nourriture sèche qu'ils mangeaient sur la route.

 La route, c’était ce que Prune avait toujours connu. Leur mission de Sorcière les envoyait voyager dans tout le Désert pour porter assistance aux Sédis et réparer leurs installations. Sur son dos, Auguste portait un générateur à recharge solaire, un peu old school, mais qui suffisait à produire assez d’énergie pour être distribuée dans les camps.

 Fidèle à lui-même, Auguste se remit à bougonner.

 ─ Satanés Mages Noirs… Ils profitent vraiment de la moindre occasion pour chiper tout et n’importe quoi. Je m’étonne qu’on n’ait pas encore trouvé leur repaire…

 ─ Mais tu feras quoi une fois que tu l’auras trouvé, ce repaire ?

 ─ Bonne question… Récupérer tout ce qu’ils ont volé et le redistribuer ailleurs, je suppose.

 ─ Tout seul, ça serait compliqué.

 ─ Je prendrais le temps d’y réfléchir, alors. Et puis, si on peut empêcher cette vermine de s’incruster dans les camps, ce s’ra déjà pas mal !

 Prune reporta son regard sur la plaine désertique. Même si c’était leur maison, le Désert était loin d’être un endroit tranquille. De nombreuses batailles menées sous des conditions difficiles ─ dans des ruines, au travers de tempêtes de sable, contre des armes redoutables, … ─ rendaient parfois leur périple dangereux. Mais elle s’en contentait.

 Pour rien au monde elle n’échangerait sa vie contre autre chose. Elle était heureuse.

 Un petit point rouge brilla au loin, Prune se redressa en même temps qu’Auguste. Pas de doute, ça, c’était une fusée de détresse.

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