4. Carmen

8 minutes de lecture

 Cela faisait maintenant quelques jours que le temps s’était calmé. Le vent était tombé et la sécheresse insupportable du Désert était le dernier élément contre lequel pester.

 Son groupe avait parcouru plusieurs kilomètres et traversé quelques petites villes. Au loin, une caravane d’énormes camions transportant des matériaux en tout genre avait retenu leur attention. Même s’il s’agissait d’un phénomène rare dans le Désert, la distance les séparant les avaient dissuadés d’en apprendre davantage.


 Ils avaient abordé quelques camps de Sédis et Paco était allé proposer son aide pour entretenir leurs installations électriques contre quelques pesos. Al l’avait accompagné. Survivre aussi longtemps dans le Désert demandait une organisation presque militaire dans la gestion des ressources. Carmen en était bien consciente, mais toutes les règles strictes dont ils avaient discuté ensemble ou qu’elle avait imposées s’étaient révélées être la clef de leur survie.

 Les garçons revinrent en fin de journée, un peu penauds.

 ─ Tout ce travail pour seulement quinze pauvres pesos ! ragea Paco en donnant un coup de pied dans un caillou. J’y ai passé au moins deux heures, à améliorer leur vieux système à la con !

 ─ Au moins, tu as reçu de l’argent, c’est ce qui compte, rajouta Carmen. Quinze pesos, ce n’est pas beaucoup, mais c’est toujours mieux que rien.

 ─ Mieux que rien, d’accord, mais les réserves diminuent vite…

 Carmen regarda Al qui était pensif. Elle partageait ses préoccupations, mais se trouvait tiraillée entre deux extrêmes. D’un côté, elle savait qu’obtenir la moindre pièce dans le Désert était une grande chance, de l’autre, elle savait que ça ne suffirait pas à nourrir quatre personnes. Et chaque passage dans un point de ravitaillement leur coûtait soixante-dix pesos.

 ─ On va mettre le cap sur une grande ville. Nous y vendrons quelques objets.

 Elle se tourna vers Paco et, après qu’il lui eut lancé un regard hésitant puis résigné, ils s’entendirent d’un geste de tête. Il était temps de mettre ses créations à contribution.

 La jeune femme sortit sa carte de la région et Yaretzi et elles l’étudièrent un moment pour choisir le meilleur itinéraire. Al préparerait à manger et Paco, pour changer des armes, construirait des petits automates. Il commençait à en avoir une belle collection.

 ─ On va se rendre à Usajiz. Deux jours de marche en passant par-là.

 ─ En contournant les montagnes ?

 Carmen acquiesça.

 ─ Oui, ça me semble plus raisonnable. Nous avons encore de quoi tenir quelques jours. Nous serons à la ville dans les temps. Et puis…

 Elle marqua une pause pour la regarder. Malgré son air doux et jovial, le teint de Yaretzi était de plus en plus terne. Des cernes soulignaient ses yeux. Une toute petite goutte de sang séchait sur la commissure de ses lèvres. Yaretzi devina ses pensées.

 ─ Je te dirais bien de ne pas t’en faire pour moi, que je tiendrai le coup, mais je commence à douter de cette réponse…

 Carmen sentit son cœur se serrer. Elle voulut écarter les pensées pessimistes qui lui arrivaient dans la tête. Cela se révéla être une tâche plus ardue qu’elle ne pensait.

 ─ Je te le répète encore une fois, mais tu n’as qu’un mot à dire et on s’arrête. Ta santé passe en priorité.

 Yaretzi hocha de la tête.

 ─ Il y a aussi Paco qui m’inquiète, confia-t-elle.

 Carmen sut aussitôt sur quel terrain tout cela allait mener.

 ─ Il est persuadé que tant qu’il continue de s’occuper de moi, j’irai bien. J’aimerais… j’aimerais qu’il soit conscient que ma situation est précaire.

 ─ Paco est vraiment borné…

 ─ Tu penses que tu pourrais lui en parler ?

 La cartographe soupira.

 ─ J’ai déjà essayé. Mais il prend vite la mouche, notre Paco. Difficile d’avoir une conversation sérieuse avec lui sans qu’il ne s’énerve.

 ─ Peut-être faut-il en passer par-là ?

 Le concerné leur arriva soudain dans le dos.

 ─ Bon, vous le trouvez, ce chemin ? Ou vous racontez des potins de filles ?

 ─ On parlait de toi, justement, rit Yaretzi.

 ─ Ça ne m’étonne pas, je suis un cas très intéressant, dit-il avec une fierté exagérée.

 ─ T’es surtout un cas désespérant, railla Carmen.

 ─ Tu ne diras plus ça quand j’aurais rapporté cinq cents pesos, une fois à la grande ville ! Allez, mettons-nous en route !

 Ils reprirent leurs paquetages et continuèrent la traversée des ruines.

▻▸◉◂◅

 Aux entrées et sorties des villes se trouvaient des panneaux numériques. Ils fonctionnaient par énergie solaire et étaient actualisés plutôt régulièrement. Leur principale utilité était de renseigner les Nomis des disparitions ou des morts. Il y avait une grande liste déroulante qui permet de voir les nouveaux avis de recherche.

 Comme à son habitude, Al s’y dirigea. Cela faisait partie de leurs rituels. Ils le laissaient en général le consulter seul et repartaient ensuite. Mais après seulement quelques secondes, il revint en courant vers eux.

 ─ Vous devriez venir voir ça !

 D’un même mouvement, ils accoururent vers lui, étonnés par sa réaction.

 ─ Ils n’ont tout de même pas enlevé ma photo ? demanda Paco, faussement alarmé. Je ne suis pas encore mort !

 Carmen leva les yeux au ciel et ne put retenir un sourire. Ah ce sacré Paco… Mais la raison principale de ce que pourquoi Al lisait les panneaux d’affichages étaient plus personnelle.

 ─ Tu as trouvé des informations sur ton frère ?

 ─ Non, toujours rien. Mais ce que le panneau a affiché mérite le coup d’œil !

 Ils arrivèrent devant le panneau numérique et regardèrent la grande bande rouge et jaune qui défilait en haut. Ça disait : « Les jeux du Désert arrivent à Usajiz ! Venez vous inscrire et tentez de remporter le pactole ! »

 Carmen et Paco s’échangèrent une œillade suspicieuse.

 ─ Appuie dessus pour voir ?

 Al s’exécuta et l’écran afficha une série d’indications :

Les Jeux du Désert sont constitués de trois épreuves.

Inscription ouverte aux personnes de plus de 18 ans.

Aucun abandon autorisé.

À chaque épreuve, la récompense de chaque gagnant variera selon leur performance.

Tous les coups sont permis, mais INTERDICTION de tuer d’autres candidats sous peine de disqualification.

Les candidats allant au bout de la troisième épreuve pourront demander la récompense qu’ils souhaitent. Elle leur sera accordée.

à informations pour la première épreuve -->

 ─ Qu’est-ce que c’est que ce foutoir ? fit Paco en ne s’adressant à personne en particulier.

 Carmen ne comprenait pas non plus ce que cela signifiait. Des épreuves ? Dans le Désert ? C’était bien la première fois qu’elle en entendait parler. Elle appuya sur la dernière ligne.

Première épreuve : obstacles

Cinq obstacles

Les candidats seront récompensés selon leur chronomètre à chaque obstacle.

Chaque obstacle fera travailler une compétence différente, la rapidité ne sera pas la seule qualité nécessaire pour gagner !

Début et lieu de l’épreuve : lundi 6 septembre 3024 à Usajiz

Inscription trois jours avant l’épreuve et le jour même.

 La lecture laissa le groupe coi. Cela semblait tout à fait invraisemblable, de l’autre…

 ─ Je vais m’inscrire.

 Toutes les têtes se tournèrent vers Paco. Avant que quelqu’un ait pu commenter sa déclaration, il poursuivit.

 ─ On a besoin d’argent et il y a de l’argent à gagner. Le choix est vite fait.

 ─ Nous n’avons que le descriptif de la première épreuve, rappela Al. C’est difficile de se projeter.

 ─ Chaque chose en son temps. Déjà la première épreuve et ensuite le reste. C’est bien marqué qu’on n’a pas le droit de s’entre-tuer, donc je ne crains rien.

 Paco était confiant. Peut-être un peu trop.

 ─ Paco, je dois te rappeler que tu es recherché ? Et si c’était un piège ?

 ─ Les pièges se déjouent. Vous ne me ferez pas changer d’avis, ma décision est prise.

 ─ C’est vrai qu’on ne sait pas qui organise les Jeux…, remarqua Yaretzi.

 ─ Attendez, ça doit être écrit quelque part. Voyons voir…

 Il se rapprocha du tableau et plissa des yeux.

 ─ « Ceci est un message du Comité de l’Office du Désert ». Le voilà notre organisateur.

Carmen soupira. Elle savait très bien que lorsqu’il avait une idée en tête, Paco n’en démordrait pas.

 Mais quelque chose la gênait dans l’organisation de ces épreuves… Quel était le but de tout ça ? Pourquoi ces récompenses ? Le Désert était un état trop pauvre pour balancer de l’argent par les fenêtres ! Carmen n’était pas vraiment sûre que ces jeux soient aussi innocents qu’ils en avaient l’air.

▻▸◉◂◅

 Le soir même, alors que la nuit était tombée et qu’ils venaient de finir leur maigre repas, Yaretzi eut une quinte de toux douloureuse. Paco accourut vers elle avec le sang-froid d’un urgentiste. Il sortit le Liquéfieur de son sac et le lui passa au-dessus de la poitrine. Yaretzi se calma aussitôt. Fatiguée, elle s’endormit dans la foulée.

 Le Liquéfieur était une machine modifiée par Paco. Il s’agissait à l’origine de l’ASCC50, un gros pistolet utilisé pour supprimer les cellules cancéreuses, ce qui avait remplacé la chimiothérapie un temps. Cela faisait deux-cents ans que ce genre de maladie avait disparu et trouver ce modèle en particulier avait été difficile.

 Paco rangea le Liquéfieur et vint se rasseoir aux côtés de sa cousine. Il semblait avoir l’esprit ailleurs. Carmen décida que la nuit serait leur seule témoin et qu’il était tant d’avoir une petite conversation.

 ─ Je ne les sens pas, ces Jeux du Déserts, Paco.

 ─ Moi non plus.

 Carmen eut un mouvement de recul et leva un sourcil. Il avait parlé avec tant de calme qu’elle se demandait si elle avait bien entendu. Paco fixait les flammes du feu de camp onduler devant eux, résigné.

 ─ Alors ne t’inscris pas. Nous trouverons de l’argent autrement. On y arrivera, même s’il faut rester un peu plus longtemps en ville.

 ─ On n’en a pas les moyens, et les ventes ne pourront pas nous rapporter beaucoup d’argent…

 ─ Alors-

 ─ Alors je vais participer, faire le meilleur temps et rapporter l’argent. J’irai au bout de la troisième épreuve et je demanderai que Ezi soit soignée.

 ─ Ce n’est pas tant les épreuves en elles-mêmes qui m’inquiètent.

 Elle marqua une pause et reprit :

 ─ C’est Heaven.

 Paco serra la mâchoire et déglutit. Être recherché par une grande organisation pouvait impacter son plan.

 ─ Je ne vois pas comment ils pourraient être mêlés à ça. Monsieur Sky-

 Il s’interrompit et ses yeux parurent s’agrandir, à moins qu’il ne s’agisse d’un jeu d’ombres et de lumière. Il se reprit :

 ─ S’ils voulaient vraiment me cueillir, ils n’y mettraient pas tant de moyens. Et ils auraient déjà tenté quelque chose. Si ça se trouve, je ne suis plus en tête de liste et ils ont d’autres chats à fouetter.

 ─ J’aimerais que ce soit vrai…

 Paco se tourna enfin vers elle.

 ─ Je te promets que je serai prudent. Je ne vous laisserai jamais tomber.

 Carmen avait beau avoir une confiance absolue en lui, son pressentiment persistait. Paco lui sourit et se rapprocha d’elle. Il passa un bras par-dessus ses épaules et lui embrassa la tempe.

 ─ La première épreuve est dans une semaine. On y va, on inspecte les lieux et si je sens que c’est pas réglo, je ne m’inscris pas, d’accord ?

 Carmen acquiesça et se blottit contre lui. Elle posa la tête sur son épaule et ferma les yeux. Paco était ce qu’elle avait de plus précieux. Si elle le perdait, elle ne s’en remettrait pas.

▻▸◉◂◅

Annotations

Vous aimez lire Thunder Litchi ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0