4. Carmen
Cela faisait maintenant quelques jours que le temps s’était calmé. Le vent était tombé et la sécheresse insupportable du désert n’était plus que le seul élément contre lequel pester.
Son groupe avait parcouru plusieurs kilomètres et traversé plusieurs petites villes. Ils avaient croisé des camps de Sédis et Paco était allé proposer son aide pour entretenir leurs installations électriques. Al l’avait accompagné. Survivre aussi longtemps dans le Désert demandait une organisation presque militaire. Carmen en était bien consciente, mais toutes les règles strictes qu’ils avaient discutées ensemble ou qu’elle avait imposées s’étaient révélées être la clef de leur survie.
Les garçons revinrent en fin de journée, un peu patauds.
─ Tout ce travail pour seulement quinze pauvres pesos ! ragea Paco en donnant un coup de pied dans un cailloux. J’y ai passé au moins deux heures, à améliorer leur vieux système à la con !
─ Au moins, tu as reçu de l’argent, c’est ce qui compte.
─ Vous avez raison tous les deux, rajouta Carmen. Quinze pesos, ce n’est pas beaucoup, mais c’est toujours mieux que rien.
─ Mieux que rien, d’accord, mais les réserves diminuent vite…
Carmen regarda Al qui était pensif. Elle partageait ses préoccupations. Mais elle se trouvait tiraillée entre deux extrêmes. D’un côté, elle savait qu’obtenir la moindre pièce dans le Désert était une grande chance, de l’autre, elle savait que ça ne suffirait pas à nourrir quatre personnes. De plus, la carte de retrait d’Al arrivait presque à expiration.
─ On va mettre le cap sur une grande ville. Nous y vendrons quelques objets.
Elle se tourna vers Paco et, après lui avoir lancé un regard hésitant puis résigné, ils s’entendirent d’un geste de tête. Il était temps de mettre ses créations à contribution.
La jeune femme sortit sa carte de la région et Yaretzi et elles l’étudièrent un moment pour choisir le meilleur itinéraire. Paco et Al partirent s’occuper de leur côté. Al préparerait à manger et Paco construirait d’autres petits automates. Il commençait à en avoir une belle petite collection.
─ On va se rendre à Usajiz. Deux jours de marche en passant par-là.
─ En contournant les montagnes ?
Carmen acquiesça.
─ Oui, ça me semble plus raisonnable. Nous avons encore de quoi tenir quelques jours. Nous serons à la ville dans les temps. Et puis…
Elle marqua une pause pour la regarder. Malgré son air doux et jovial, le teint de Yaretzi était de plus en plus terne. Des cernes soulignaient ses yeux. Une toute petite goutte de sang séchait sur la commissure de ses lèvres. Yaretzi devina ses pensées.
─ Je te dirais bien de ne pas t’en faire pour moi, que je tiendrai le coup, mais je commence à douter de cette réponse…
Carmen sentit son cœur se serrer. Elle voulut écarter les pensées pessimistes qui lui arrivaient dans la tête. Cela se révéla être une tâche plus ardue qu’elle ne pensait.
─ Je te le répète encore une fois, mais tu n’as qu’un mot à dire et on s’arrête. Ta santé passe en priorité.
Yaretzi hocha de la tête.
─ Il y a aussi Paco qui m’inquiète, confia-t-elle.
Carmen sut aussitôt sur quel terrain tout cela allait mener.
─ Il est persuadé que tant qu’il continue de s’occuper de moi, j’irai bien. J’aimerais… j’aimerais qu’il soit conscient que ma situation est précaire.
─ Paco est vraiment borné…
─ Tu penses que tu pourrais lui en parler ?
La cartographe soupira.
─ J’ai déjà essayé. Mais il prend vite la mouche, notre Paco. Difficile d’avoir une conversation sérieuse avec lui sans qu’il ne s’énerve.
─ Peut-être faut-il en passer par-là ?
Le concerné leur arriva soudain dans le dos.
─ Bon, vous le trouvez, ce chemin ? Ou vous racontez des potins de filles ?
─ On parlait de toi, justement, rit Yaretzi.
─ Ça ne m’étonne pas, je suis un cas très intéressant, dit-il avec une fierté exagérée.
─ T’es surtout un cas désespérant, railla Carmen.
─ Tu ne diras plus ça quand j’aurais rapporté cinq cents pesos, une fois à la grande ville ! Allez, mettons-nous en route !
Ils reprirent leurs paquetages et continuèrent la traversée des ruines.
C’est à ce moment-là que leur vie bascula pour de bon.
Aux entrées et sorties des villes se trouvaient des panneaux numériques. Ils fonctionnaient par énergie solaire et étaient actualisés plutôt régulièrement. Leur principale utilité était de renseigner les Nomis des disparitions ou des morts. Il y avait une grande liste déroulante qui permet de voir les nouveaux avis de recherche.
Comme à son habitude, Al s’y dirigea. Cela faisait partie de leurs rituels. Ils le laissaient en général le consulter seul et ils repartaient ensuite. Mais après seulement quelques secondes, il revint en courant vers eux.
─ Vous devriez venir voir ça !
D’un même mouvement, ils accoururent vers lui, étonnés par sa réaction.
─ Ils n’ont tout de même pas enlevé ma photo ? demanda Paco, faussement alarmé. Je ne suis pas encore mort !
Carmen leva les yeux au ciel et ne put retenir un sourire. Ah ce sacré Paco… Mais la raison principale de ce que pourquoi Al lisait les panneaux d’affichages étaient plus personnelle.
─ Tu as trouvé des informations sur ton frère ?
─ Non, toujours rien. Mais ce que le panneau a affiché mérite le coup d’œil !
Ils arrivèrent devant le panneau numérique et regardèrent la grande bande rouge et jaune qui défilait en haut. Ça disait : « Les jeux de Désert arrivent à Usajiz ! Venez vous inscrire et tentez de remporter le pactole ! »
Carmen et Paco se regardèrent, suspicieux de l’étrange message.
─ Appuie dessus pour voir ?
Al s’exécuta et l’écran afficha une série d’indications :
Les Jeux du Déserts sont constitués de trois épreuves.
Inscription ouverte aux personnes de plus de 18 ans.
Aucun abandon autorisé.
La récompense de chaque gagnant variera selon leur performance ;
Tous les coups sont permis, mais INTERDICTION de tuer d’autres candidats sous peine de disqualification.
Les candidats allant au bout de la troisième épreuve pourront demander la récompense qu’ils souhaitent. Elle leur sera accordée.
à informations pour la première épreuve ß
─ Qu’est-ce que c’est que ce foutoir ? fit Paco en ne s’adressant à personne en particulier.
Carmen ne comprenait pas non plus ce que cela signifiait. Des épreuves ? Dans le Désert ? C’était bien la première fois qu’elle en entendait parler. Elle appuya sur la dernière ligne.
Première épreuve : obstacles
Cinq obstacles
Les candidats seront récompensés selon le temps qu’ils passent à chaque obstacle.
Chaque obstacle fera travailler une compétence différente, la rapidité ne sera pas la seule qualité nécessaire pour gagner !
Début et lieu de l’épreuve : lundi 6 septembre 3024 à Usajiz
Inscription trois jours avant l’épreuve et le jour même.
La lecture laissa le groupe coi. Cela semblait tout à fait invraisemblable, de l’autre…
─ Je vais m’inscrire.
Toutes les têtes se tournèrent vers Paco. Avant que quelqu’un ait pu s’exprimer sur sa déclaration, il poursuivit.
─ On a besoin d’argent, il y a de l’argent à gagner. Le choix est vite fait.
─ Nous n’avons que le descriptif de la première épreuve, rappela Al. C’est difficile de pouvoir se projeter.
─ Chaque chose en son temps. Déjà la première épreuve et ensuite le reste. C’est bien marqué qu’on n’a pas le droit de s’entre-tuer, donc je ne crains rien.
Paco était confiant. Peut-être un peu trop.
─ Paco, je dois te rappeler que tu es recherché ? Et si c’était un piège ?
─ Les pièges se déjouent. Vous ne me ferez pas changer d’avis, ma décision est prise.
─ C’est vrai qu’on ne sait pas qui organise les Jeux…, remarqua Yaretzi.
─ Attendez, ça doit être écrit quelque part. Voyons voir…
Il se rapprocha du tableau et plissa des yeux.
─ « Ceci est un message du Comité de l’Office du Désert ». Le voilà notre organisateur.
Carmen soupira. Elle savait très bien que lorsqu’il avait une idée en tête, Paco n’en démordrait pas. Mais quelque chose la gênait dans l’organisation de ces épreuves… Quel était le but de tout ça ? Pourquoi ces récompenses ? Le Désert était un état trop pauvre pour balancer de l’argent par les fenêtres ! Carmen n’était pas vraiment sûre que ces jeux aussi innocents qu’ils en avaient l’air.
▻▸◉◂◅
Le soir même, alors que la nuit était tombée et qu’ils venaient de finir leur maigre repas, Yaretzi eut une quinte de toux douloureuse. Paco accourut vers elle avec un sang-froid digne d’une urgentiste. Il sortit le Liquéfieur de son sac et lui passa au-dessus de la poitrine. Yaretzi se calma aussitôt. Fatiguée, elle s’endormit dans la foulée.
Le Liquéfieur était une machine modifiée par Paco. Il s’agissait à l’origine de l’ASCC50, un gros pistolet utilisé pour supprimer les cellules cancéreuses, ce qui avait remplacé la chimiothérapie un temps. Cela faisait deux-cents ans que ce genre de maladie avait disparu et trouver ce modèle en particulier avait été difficile.
Paco rangea le Liquéfieur et vint se rasseoir aux côtés de sa cousine. Il semblait avoir l’esprit ailleurs. Carmen décida que la nuit serait leur seule témoin et qu’il était tant d’avoir une petite conversation.
─ Je ne les sens pas, ces Jeux du Déserts, Paco.
─ Moi non plus.
Carmen se figea et leva un sourcil. Il avait parlé avec tant de calme qu’elle se demandait si elle avait bien entendu. Paco fixait les flammes du feu de camp onduler devant eux, résigné.
─ Alors ne t’inscris pas. Nous trouverons de l’argent autrement. On y arrivera, même s’il faut rester un peu plus longtemps en ville.
─ On n’en a pas les moyens…
─ Alors-
─ Alors je vais participer, faire le meilleur temps et rapporter l’argent. J’irai au bout de la troisième épreuve et je demanderai que Ezi soit soignée.
─ Ce n’est pas tant les épreuves en elles-mêmes qui m’inquiètent.
Elle marqua une pause et reprit :
─ C’est Heaven.
Paco serra la mâchoire et déglutit.
─ Je ne vois pas comment ils pourraient être mêlés à ça. Monsieur Sky-
Il s’interrompit et ses yeux parurent s’agrandir, à moins qu’il ne s’agisse d’un jeu d’ombres et de lumière. Il se reprit :
─ S’ils voulaient vraiment me cueillir, ils n’y mettraient pas tant de moyens. Et ils auraient déjà tenté quelque chose. Si ça se trouve, je ne suis plus en tête de liste et ils ont d’autres chats à fouetter.
─ J’aimerais que ce soit vrai…
Paco se tourna enfin vers elle.
─ Je te promets que je serai prudent. Je ne vous laisserai jamais tomber.
Carmen avait beau avoir une confiance absolue en lui, son pressentiment persistait. Paco lui sourit et se rapprocha d’elle. Il passa un bras par-dessus ses épaules et lui embrassa la tempe.
─ La première épreuve est dans une semaine. On y va, on inspecte les lieux et si je sens que c’est pas réglo, je ne m’inscris pas, d’accord ?
Carmen acquiesça et se blottit contre lui. Elle posa la tête sur son épaule et ferma les yeux. Paco était ce qu’elle avait de plus précieux. Si elle le perdait, elle ne s’en remettrait pas.

Annotations
Versions