8. Matt (épreuve 1)
Matt peinait à récupérer son souffle. Adrian avait couru si vite ! Il avait réussi à suivre mais avait eu peu de répit pour se reposer. Heureusement, ils s’étaient classés parmi les cents premiers. Un score honorable.
Ils arrivèrent au quatrième étage. Matt s’assura de monter les escaliers lentement pour économiser son souffle. Adrian était resté à côté de lui, il lui parlait des choses extraordinaires qu’il avait vues lors de la course. Matt ne l’écoutait que d’une oreille, en acquiesçant poliment à ce qu’il disait. Il devait se préparer mentalement pour la suite.
Une très grande salle de briques rouges qui sentait la poussière et la peinture fraîche les accueillis. Elle était très haute et avait de grandes fenêtres. Tout cela devait être une mise en scène. Matt avait entendu quelqu’un dans la foule expliquer qu’ils avaient construit cet endroit tout spécialement pour cette épreuve.
La particularité de la pièce était le trou béant qui séparait leur plateforme de la plateforme d’arrivée. Entre les deux, une vieille poutre en fer. Cela paraissait risqué. L’agilité, il allait en falloir pour traverser ce gouffre.
Matt remarqua un détail inquiétant. Diverses machines étaient accrochées au mur et au plafond. Leur apparence suggérait pour chacune une fonction différente. Adrian devait les avoir repérées aussi car il lui fit remarquer :
─ Ça sent pas bon, ces trucs-là… Qu’est-ce qu’ils vont bien pouvoir nous servir ?
Matt fit la moue.
─ À mon avis, traverser la poutre ne sera la chose la plus difficile.
La foule s’arrêta de bouger. Tout le monde était arrivé.
─ Le but du troisième obstacle est de se rendre de l’autre côté en traversant le vide. Attention ! Votre traversée ne sera pas de tout repos, des machines vous feront perdre l’équilibre. Concentrez-vous bien ! Vous passerez les uns après les autres, à chaque fois qu’un bip retentit, pour éviter qu’il y ait trop de monde sur la poutre. C’est parti !
Les machines vrombissèrent quand elles se mirent en route.
La première émettait des « pchh » mais Matt ne comprenait pas très bien ce qu’elle faisait. La deuxième actionnait d’avant en arrière un long bras en métal avec de la mousse au bout. Il y avait un pendule qui se balançait du plafond, une machine qui tirait de grosses flèches en mousse et le même bras que le deuxième, accroché au plafond, qui descendait et montait. Tous étaient bizarrement réglés. Ce n’est pas comme s’ils s’activaient à un rythme régulier, cela semblait totalement aléatoire.
Aucun participant n’osait faire le premier pas.
Puis un grand homme de forte carrure poussa les quelques types devant lui pour se présenter sur la barre. Confiant, il se lança sur la barre.
Il passa le premier puis le deuxième obstacle mais fut violement cogné par le grand pendule, il tomba dans le vide. Un « Fait chier ! » retentit quelques temps plus tard. Un bip résonna et le candidat suivant commença la traversée.
Matt regardait chaque passage avec intérêt. Il devait bien y avoir un moyen de déjouer ces pièges. Mais difficile d’avancer en sûreté à cause de leurs mouvements imprévisible.
Une vingtaine de candidats plus tard, seulement neuf étaient passés. Ça devenait vraiment difficile… Beaucoup tombaient dès le premier obstacle qui envoyait de l’air.
Matt reconnut la tête qui apparut au bip suivant. Ce masque de corbeau… c’était lui. Qu’allait-il faire, encore ? Monter sur le plafond ? Il savait qu’il allait se faire surprendre, il voulait voir juste comment.
L’Alchimiste s’avança docilement sur la poutre. Il se tint là un instant à contempler les différentes machines qui s’activaient devant lui. Il s’accroupit. Matt se demanda bien ce qu’il était en train de faire… Peut-être avait-il été pris d’un vertige ? Ce serait cocasse, mais ce type ne pouvait pas avoir peur d’une chose aussi futile que le vide.
Dans une démonstration de force et d’agilité, il se mit à quatre pattes sous la barre. Il n’allait quand même pas-
Il se mit à avancer, la tête en bas, comme un petit singe.
Matt était scié. Il osait ! L’Alchimiste n’en faisait vraiment qu’à sa tête… La foule poussa des exclamations. Certains criaient à l’antijeu, d’autres hurlaient même à la triche. Le reste ne disait rien et observait avec intérêt la manœuvre osée du candidat masqué. Il arriva de l’autre côté en un temps record. Plusieurs acclamations mélangées à des sifflements indignés résonnèrent dans la salle.
Le candidat suivant voulu imiter l’Alchimiste mais il lâcha prise au bout de quelques secondes. Cette capacité n’était pas donnée à tout le monde.
Matt continua d’observer les passages des candidats mais encore plus les machines. Il réalisa que leur déclenchement n’était peut-être pas si aléatoire qu’il le pensait.
Il commença à chantonner distraitement en tapant sa main contre sa cuisse.
─ Ce n’est pas le moment de danser, se moqua Adrian.
Matt devint conscient de ce qu’il faisait. Cela l’amusa aussi.
─ Je crois que j’ai trouvé, annonça-t-il.
─ Trouvé quoi ?
─ Le moyen d’avancer sur la poutre.
Adrian fit une moue interrogative. Alors Matt expliqua :
─ Regarde la première machine. 1… 2, 3… 1-2-3-1-2-3-1-2-1.. 2, 3… 1-2-3-1…
Il continua jusqu’à faire comprendre à Adrian le rythme qu’utilisait la machine. Les lèvres de son partenaire formèrent un « O » silencieux.
─ Et c’est pas tout ! poursuivit Matt.
Il lui montra sur quels rythmes se calaient toutes les machines, au claquement de ses doigts qui marquaient la pulsation. Son idée tenait la route, c’était même clair comme de l’eau de roche !
─ Il faut que j’essaie ta technique ! s’exclama Adrian. Comme ça, tu verras si ça marche !
─ Tu ne veux pas passer après moi, plutôt ? Après tout, si je me suis trompé, tu seras éliminé…
─ Au contraire. Tu saurais si c’est la bonne méthode si ça marche avec moi. Chacun fait sa part du travail ! C’est ça, être un binôme !
Ils arrivèrent rapidement devant l’entrée. Beaucoup de candidats étaient tombés, entre temps. Parmi tous ceux qui avaient tenté de reproduire le parcours tape-à-l’œil de l’Alchimiste, aucun n’avait atteint l’autre bout. Une fille avait failli y parvenir, mais elle était tombée juste avant l’arrivée. Dommage pour elle.
Au bip, Adrian se plaça sur la barre. Il se retourna une dernière fois vers Matt, rayonnant :
─ Souhaite-moi bonne chance !
Il s’élança, concentré.
Matt l’entendait compter à voix haute pour ne pas perdre le rythme. Il y avait une toute petite fenêtre de passage pour chaque machine, alors il fallait bien saisir sa chance. Il passa la première. Puis la deuxième. Et la troisième. Il finit le parcours sans encombre. Il se retourna vers Matt et lui fit le V de la victoire.
Soulagé, Matt s’enhardit. Ça allait marcher. Mais il fallait rester très vigilant.
Il franchit la poutre presque en dansant au rythme des tempos.
Il arriva enfin de l’autre côté, le cœur battant la chamade. Ses jambes lâchèrent et il posa les mains sur le sol, savourant la surface rassurante du béton. Esquiver des pièges, oui, se balader en équilibre, pourquoi pas, mais être au-dessus du vide, ça, beaucoup moins.
Adrian le tapa amicalement sur l’épaule.
─ J’ai une dette envers toi, mon gars ! Crois-moi, je te revaudrai ça !
Matt hésita à lui dire qu’il l’avait déjà bien aidé pour la course plus tôt, mais se ravisa. S’il pouvait avoir besoin de lui plus tard, alors pourquoi pas.
Après s’être relevé, Matt aperçut encore la table avec les verres d’eau. Il avait été nécessaire après la course, mais pour cet obstacle, il ne se sentait pas déshydraté.
Il observa les candidats qui continuaient de passer la poutre. Beaucoup étaient tombés. Une jeune femme un peu plus âgée que lui commença la traversée. Sa tête dodelinait régulièrement et ses lèvres bougeaient. Elle avança avec précision. Chacun de ses pas était délibéré, calculé. Elle aussi avait compris. Même si beaucoup arrivaient à passer les machines par chance, ceux qui avaient assimilé l’algorithme se démarquaient des autres.
La jeune femme arriva sur la plateforme d’arrivée, à peine essoufflée. Elle capta une seconde le regard de Matt et ne le lâcha pas alors qu’elle se dirigeait vers lui. À son sourire, Matt compris aussitôt de quoi il retournait.
─ Je t’ai entendu, tout à l’heure. Les rythmes et le tempo, c’était vraiment bien vu. Ça m’a sauvée, alors merci !
─ Il n’y a pas de quoi… « numéro 108 » ?
─ Erika.
Matt se présenta également. Il n’en voulait pas à la jeune femme d’avoir surpris leur conversation. Écouter les solutions des autres joueurs et s’en servir ne lui semblait pas déloyal.
Le bip de fin retentit.
─ Et c’est fini pour cet obstacle ! fit la voix d’Omar qui résonna dans la grande pièce. Cent-vingt-sept candidats ont réussi l’épreuve d’agilité ! En route pour l’épreuve de force…
Dans un grand soupir, une double-porte s’ouvrit au bout de la plateforme d’arrivée.
─ Candidats, tenez-vous prêts. Une démonstration de force et d’endurance vous attend !
Alors que les hommes les plus costauds vocalisaient leur taux de testostérone, Matt préféra ne pas se réjouir. Les épreuves étaient sournoises. Qui savait ce que celle-ci leur réserverait exactement ?

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