10. Matt (épreuve 1)

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 Une lumière vive se mit à clignoter et l’aveugla. Le son horrible était toujours là. Il reprit son pianotement sur les parois miroir. Le son et la lumière le déstabilisaient. Il avait du mal à se concentrer. Avait-il bien tapoté en haut à droite du miroir de devant ? Ou bien avait-il seulement fait la gauche ? Il dû recommencer pour trouver rapidement les petites rugosités. Il fallait qu’il quitte ce lieu oppressant.


 La trappe suivante l’amena sur une autre pièce. La musique et les clignotements s’amplifièrent et Matt eut envie de vomir. Il n’arrivait plus à se concentrer, il n’arrivait plus à voir. Les lumières se répercutaient à l’infini dans les miroirs et, lui, devenait une pauvre créature prisonnière de ses rayons. Il se recroquevilla sur lui-même, plus par instinct que par volonté.


 Plus le temps avançait, plus Matt avait la nausée. D’où venait-elle ? Il ne pianotait plus que d’une main… faiblement. L’eau… il le sentait maintenant… l’eau avait été empoisonnée… Il fallait… il fallait qu’il prenne le temps…


 Il ramena sa main sous lui et se concentra.


 Éliminer… éliminer le mal… et attendre.


 Quelques minutes suffirent.


 Matt se redressa.


 La lumière et le bruit étaient toujours insupportables, mais maintenant, il se sentait capable de les affronter. Il reprit ses recherches.


 Le temps passait mais il ne trouvait pas. Pourquoi ? Cette pièce était-elle défectueuse ? Devait-il faire demi-tour ? Non, il aurait déjà trouvé le moyen de le faire. Peut-être y avait-il des pièges et qu’il était tombé dans l’un d’entre eux ?


 Non.


 Il refusait de l’accepter.


 Récapitulons. Matt ne pouvait pas se servir de sa vue, ni de son ouïe. Le toucher ne marchait plus. Par élimination…


 Il approcha son visage des parois et commença à les renifler. Au début, rien ne semblait particulier, puis, une odeur âcre se dégagea d’un des miroirs. Mais pas partout. L’odeur se trouvait en haut presque à gauche, et une autre plus vers le milieu. Il positionna ses mains sur les deux emplacements et poussa.


 La trappe s’ouvrit.


 Matt se rua à l’intérieur, soulagé d’avoir réussi à avancer. La musique continuait, le son aussi. C’était abominable !! Matt recommença à renifler les parois, mais rien de rien. Il n’y avait plus d’odeur. Se pouvait-il qu’il doive se servir de son goût ? Il avait écarté cette possibilité car il la trouvait trop saugrenue, mais en y repensant, il s’était servi de tous ses sens et c’était le seul qu’il restait. Matt n’était pas vraiment ravi de devoir lécher la surface des miroirs. C’était dégoûtant. Il ne savait pas ce qui avait bien pu traîner dessus.


 Bon gré, mal gré, il se mit au travail. Après plusieurs minutes à lécher les vitres, il ne trouva rien. Inutile d’essayer le plafond, il donnait sur l’extérieur… Alors le sol.


 La surface était plus grande et heureusement, Matt finit par trouver les deux zones qui avait un goût particulier, un goût métallique, comme lorsqu’on lèche un bout de métal.


 Une pression sur la paroi. Puis une chute.


 Il dévala un long toboggan sombre. La lumière apparut progressivement et il se retrouva en bas du bâtiment, de nouveau à l’air libre. Plus de lumière aveuglante, plus de son infernal.


 Un regard impatient vers son bracelet : il était devenu bleu.


 Il s’allongea sur le dos dans un soupir de soulagement. C’était la fin du calvaire !


 Un bénévole s’approcha de lui. « Veuillez vous diriger par-ici » lui indiqua-t-il en lui désignant un passage entre des barrières.


 Matt se remit debout. Les applaudissements étirèrent timidement ses lèvres. Il espérait qu’Adrian s’en soit aussi sorti. Un timer géant lui indiqua qu’il restait encore une dizaine de minutes. À son grand étonnement, il avait été rapide !


 Une grande plateforme où une petite vingtaine de personne se trouvait déjà l’accueillit. Il les regarda tour à tour et observa tout type de profils, comme de morphologies. Une majorité d’hommes, mais tout de même entre sept et dix femmes.


 Son regard se porta sur un garçon aux cheveux longs assit par terre. Il se tenait l’oreille d’une main. Son visage était crispé. Matt s’accroupit près de lui.


 ─ Hé, ça va ?


 Le garçon le fusilla du regard.


 ─ Va-t’en. J’ai pas besoin de ta pitié.

 ─ Mais je veux juste-

 ─ Casse-toi, je t’ai dit !


 Matt s’éloigna sans faire de commentaire. Tout le monde n’était pas né avec l’amabilité dans les gènes.


 Un examen de la foule lui permit de le trouver. Son cher, si cher, Alchimiste. Il lui fonça dessus avant qu’il ne s’en aille.


 Il tendit le bras pour arracher ce foutu masque.


 Mais l’autre fut plus rapide et contra son bras. Matt ne fit pas de geste supplémentaire pour ne pas attirer l’attention.


 ─ Si tu crois que je vais te laisser tranquille, tu te fourres le doigt dans l’œil. Je sais très bien qui tu es, satané faux justicier.


 L’Alchimiste se contentait de le regarder, calmement. Matt se demanda comment il avait réussi l’épreuve précédente. Avait-il ôté son masque pour lécher les miroirs ? Il aurait aimé se retrouver bloqué avec lui, juste pour voir comment ce minable aurait fait en étant observé. Matt ne voyait pas d’autre alternative que d’utiliser ses cinq sens pour cette épreuve, mais il soupçonnait l’Alchimiste d’en avoir trouvé une autre.


 ─ Tu crois peut-être être tiré d’affaire parce que tu as réussi la première épreuve, mais je continuerai à te traquer. Tu n’auras pas de répit.


 Encore une fois, l’Alchimiste resta de marbre. Matt détestait ce stupide masque de corbeau qui faisait office de pied-de-nez. Ils restèrent un moment à se fixer. Matt avait le regard mauvais.


 Puis l’Alchimiste déplia lentement son bras pour lui faire un doigt d’honneur.


 Matt serra les lèvres et partit plus loin. Tuer des participants était interdit ? Soit. Le feu des projecteurs ne l’attirait pas non plus, alors il se contenterait de le suivre discrètement pour espionner ses agissements.


 ─ Hé ! Mais c’est Matt ! cria une voix derrière lui.


 Sur le moment, il maudit Adrian d’avoir crié son nom dans une foule où se trouvait l’Alchimiste. Il ne voulait pas être identifié. Tant pis, c’était fichu.


 ─ Ravi de te voir, mon pote ! Ça me fait plaisir que tu aies réussi !


 Au fond de lui, Matt aussi était heureux qu’Adrian s’en soit sorti. Il n’était plus habitué à se faire des amis, alors partager ce moment de gloire avec quelqu’un était revigorant.


 ─ Toi aussi tu as dû lécher les miroirs ? demanda-t-il pas trop fort.

 ─ Un peu, oui ! J’ai compris assez tard qu’il fallait qu’on utilise nos cinq sens, mais ça a payé !


 Très bien. Donc cette méthode n’avait pas fonctionné par pure coïncidence…


 Le bip de fin scella leur réussite comme acquise. Environ cinquante candidats se tenaient sur la plateforme. Un grand espace se trouvait à côté d’eux, de l’autre côté d’une barrière. Il se remplit progressivement. Matt reconnu certains participants qui avait été éliminés.


 C’était une bonne idée de réunir tout le monde à la fin. Cela montrait l’esprit de la compétition : fair-play et bon enfant. Matt s’était bien amusé, même si ça avait été un peu difficile et éprouvant parfois, et il retirait une certaine fierté de faire partie des vainqueurs. Il ne connaissait pas encore son score, mais il espérait qu’il lui permettrait d’avoir assez d’argent pour tenir jusqu’à la prochaine épreuve.


 ─ Bravo à tous les candidats d’avoir participé à cette première épreuve. Le Comité de l’Office du Désert a été ravi de vous voir si nombreux ! À gauche se trouvent les 56 vainqueurs de cette épreuve, on peut les applaudir bien fort !


 Un tonnerre d’applaudissements s’éleva de tous les côtés. Matt souriait de fierté.

 ─ Bravo également à tous les candidats éliminés ! Ils se sont bien battus et ont donné tout ce qu’ils avaient !


 Les applaudissements reprirent, mais avec moins d’intensité.


 ─ Comme promis, chaque gagnant recevra une somme d’argent proportionnelle au temps réalisé pendant cette épreuve. Un tableau des scores est affiché devant la tente des comptes.


 Matt tourna la tête et vit au loin une tente avec l’inscription mentionnée par Omar. Un tableau à côté s’illumina et des lignes apparurent au fur et à mesure. Il était trop loin pour lire, la surprise viendrait bientôt.


 ─ Bien, il est temps de vous retirer vos bracelets.


 Matt entendit un petit clic et la pression sur son poignet se relâcha d’un coup. Le bracelet tomba sur le sol. Il n’eut pas le temps de regarder ses autres camarades qu’une scène d’horreur absolue retint toute son attention.


 Tous les perdants s’effondrèrent d’un même mouvement.


 Le temps se suspendit et le monde se changea en pierre.


 L’adrénaline remplaça la peur tenaillante de Matt qui s’élança vers la plateforme adjacente. Des bénévoles, choqués, eux-aussi, voulurent l’empêcher d’y aller. Mais Matt joua des épaules et des coudes pour se frayer un chemin.


 ─ Laissez-moi passer ! cria-t-il. Je suis médecin !!


 Les bénévoles s’écartèrent en entendant cette nouvelle information et Matt se rua sur la première personne qu’il vit. Il reconnut Monica, de la première épreuve. De l’écume sortait d’entre ses lèvres. Il prit son pouls.


 Rien.


 Il renouvela le geste avec la personne d’à côté. Et celle d’après.


 Rien, rien. Toujours rien.


 Un rapide examen de leurs corps lui apprendrait peut-être des choses... Leurs bracelets étaient toujours accrochés à leur poignet et continuaient de briller avec la lueur rouge des éliminés. En les tordant un peu, il vit une minuscule aiguille partir du bracelet et s’enfoncer dans les veines du poignet.


 La suite, il ne la devina que trop facilement.


 Quelques vainqueurs s’amassèrent autour de lui.


 ─ Que leur est-il arrivé ?


 Matt déglutit.


 ─ Leur bracelet les a empoisonnés… Ils sont morts.


 Certains réagirent bruyamment. La voix tremblante d’Omar les rappela à l’ordre :


 ─ … putain… m-merde…, chuchota-t-il. V-Veuillez regagnez votre plateforme.


 Lui non plus ne comprenait pas ce qu’il se passait. Matt et les autres gagnants rejoignirent docilement leur place. Matt avait un pressentiment. Un très mauvais présentiment. Pas seulement pour cette macabre surprise, mais pour ce que représentaient ces épreuves. Aucune envie d’y penser davantage. Il surprit le regard horrifié d’Erika qui fixait encore l’immense masse inerte de corps, certains entassés les uns sur les autres.


 Puis un grondement fit trembler le sol et la plateforme avec les corps descendit lentement jusqu’à disparaître dans le trou béant qui s’était formé. Matt s’aperçut que des cris horrifiés retentissaient dans le public.


 Sans aucune once d’empathie dans son discours, Omar reprit :


 ─ Candidats… di-dirigez-vous vers la tente, s’il vous plaît…


 Il finit sa phrase dans un souffle. Les jambes de Matt furent incapables de porter son corps. D’ailleurs, comment tenait-il encore debout ? Les pas des autres participants quittèrent la plateforme. Aucun mot ne fut prononcé.


 ─ Alors, quoi ? On va faire semblant de n’avoir rien vu ?!


 Matt s’était retourné vers les candidats démissionnaires de la tragédie. Cela allait-il réellement finir comme ça ? Les autres s’arrêtèrent et l’observèrent. Même l’Alchimiste, Erika, Adrian, le garçon aux cheveux longs et les autres participants. Il avait toute leur attention.


 ─ Tous ces gens… tous ces gens qui nous ont accompagnés parfois jusqu’à la dernière épreuve, vous comptez les laisser se faire tuer comme ça ?? Vous n’éprouvez pas un peu de peine, de colère ou je-ne-sais-quelle autre émotion pour ces pauvres gens ?! N’en connaissiez-vous aucun ? Est-ce normal que l’organisation ait prévu de les tuer depuis le début ? Le poison se trouvait dans leur bracelet, donc il se trouvait aussi dans les nôtres. Ça ne vous fait rien de savoir que vous auriez pu faire partie de cette pile de cadavres ?!


 Certains baissèrent la tête, honteux. D’autres détournèrent le regard. Mais la majorité le regarda avec des sourires gênés. Il passait pour un fou. Un grand type aux larges épaules et à la coupe en brosse revint sur ses pas et lui dit avec une grosse voix basse.


 ─ Tout ce que j’éprouve là, c’est de l’indifférence. Je m’en fiche de tous ces pauvres types. Moi, jsuis là pour la thune. Toi aussi tu devrais penser comme ça, l’ami, sinon, tu s’ras vite bouffé.


 Il mit son énorme main sur son épaule et fit demi-tour, initiant le mouvement des autres participants.


 Matt se retourna une dernière fois vers le lieu de disparition de toutes ces âmes, comme un aurevoir impuissant. Puis, les épaules basses, il partit réclamer son dû.

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