14. Prune
Cela faisait quatre jours qu’ils étaient partis avec Milo. Ils s’étaient fait la malle au beau milieu de la nuit, là où personne ne remarquerait le manque d’électricité. Les gens du camp les cherchaient probablement. Manque de pot pour eux, ils seraient déjà loin. Ils allaient devoir repartir de zéro pour toutes leurs installations et attendre le passage de la prochaine sorcière.
En quatre jours, ils avaient eu le temps d’observer le bras en métal de Milo. Il ne se souvenait pas de la personne qui le lui avait installé, mais c’était probablement pour lui remplacer un membre manquant.
Les deux premiers jours, Milo avait été incapable de marcher. Auguste l’avait porté tout du long sur ses épaules. Le troisième jour, il s’était mis debout seul et avait fait quelques pas. Il avait marché toute la première matinée avant de tomber de fatigue. Littéralement. Il s’était endormi et papy l’avait porté jusqu’à leur arrêt du soir.
Dans une ville où ils passaient, ils étaient tombés sur un magasin de vêtements et Prune en avait dégoté de nouveaux pour Milo qui ne portait que de vieilles guenilles sales. Le pauvre ne savait plus où se mettre. C’était la première fois qu’on lui faisait un cadeau.
─ Tu veux dire que personne ne s’est jamais occupé de toi ?
─ Je ne m’en souviens pas. Peut-être que si, vu que quelqu’un m’a mis ce bras.
Cela peina Prune d’imaginer la vie qu’avait eu Milo jusque-là, sans famille, sans amour.
Elle en profita pour coiffer Milo et lui passer un coup sur le visage. Pendant qu’elle raccourcissait ses mèches, elle sentit Milo se détendre. Elle lui montra le résultat dans un petit miroir de poche, mais ne put dire si sa nouvelle coupe lui plaisait ou non. En se relevant, Prune fit tomber sa télécommande. Milo tendit son bras métallique pour la ramasser et par un coup d’électricité statique, ses cheveux redevinrent décoiffés comme si on y avait jeté un pétard. Ce bras robotique, il n’était vraiment pas pratique… Un peu gêné que son travail n’ait servi à rien, Milo la remercia quand même et lui avoua qu’il avait bien aimé se faire pouponner.
Ils ressortirent du magasin. Auguste était là, assis sur un pan de mur effondré, à vérifier si les capteurs solaires qui permettaient de recharger son aspirateur étaient toujours en bon état. Il lui répétait souvent qu’il était important de bien entretenir son matériel, même pendant les pauses les plus courtes.
Ils se remirent en route. Au bout d’un moment, Auguste leur fit signe de s’arrêter. Une grande quantité de sable recouvrait le passage, n’importe quoi pouvait se cacher dessous.
Il fouilla dans ses poches pour essayer de trouver des projectiles pour désamorcer de potentielles mines. Mais elles étaient vides.
─ Va falloir que je recharge mes munitions, moi, baragouina-t-il.
C’est alors que Milo s’avança à sa hauteur. Auguste fut surpris mais le laissa faire, curieux. Le garçon s’agenouilla et plaça sa main robotique sur le sol.
À ce moment-là, le sable se mit à faire des vagues devant lui, comme si sa main était une pierre qui avait été lancée dans l’eau. Les ondes ne partirent pas très loin, mais repoussèrent le sable leur cachant le passage.
Prune et Auguste étaient bouche-bée.
─ Comment… t’as fait ça, gamin ?
─ Heu… mon bras picotait alors je me suis dit que je pourrais enlever le trop plein d’énergie en, heu, le mettant contre le sol ?
Il semblait avoir agi par instinct. Prune se rappela d’un détail.
─ Il a touché ma télécommande tout à l’heure. Si ça se trouve, il a aspiré un peu de son énergie ? T’en penses quoi, papy ?
─ J’en pense qu’on ne pourra jamais comprendre toutes les choses tordues qui se produisent dans ce monde. Alors on va faire comme si c’était le cas, qu’il puisse bel et bien engranger de l’énergie, et on va recommencer. T’es d’accord avec ça, gamin ?
Milo hocha la tête.
─ Bien.
Auguste lui tendit son aspirateur et lui expliqua :
─ Il est relié à une batterie solaire que j’ai sur le dos, donc on a une énergie illimitée avec nous. Essaye de transférer cette énergie dans le sol comme tu viens de faire.
Milo acquiesça. Il posa quelques instants sa main sur l’aspirateur et s’agenouilla de nouveau. Une onde beaucoup plus puissante déferla devant eux, enlevant tout le sable de la route et révélant deux mines.
─ C’est Moïse qu’on aurait dû t’appeler, dit distraitement Auguste, impressionné.
─ Waouh ! T’as vu ça, papy ! C’était incroyable !! Milo, t’es vraiment super fort !
Milo rougit et détourna les yeux.
─ Ce que je me demande, c’est si les gars qui te retenaient savaient que tu pouvais faire ça. Car si c’est le cas, ils auront d’autant plus de raison de nous chercher… Allez, faut pas traîner. On se remet en route.
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Milo se révélait être un garçon tout à fait fascinant. Son bras en métal ne pouvait pas simplement stocker de l’énergie, il pouvait aussi l’expulser. Ils avaient essayé de renouveler l’expérience dans les jours qui suivirent mais cela fatiguait beaucoup Milo alors ils levèrent le pied. Pour lui aussi tout ça était nouveau, il ne fallait pas qu’il se sente de nouveau oppressé.
C’était le soir. Comme à chaque fois, Prune sortait son livre de contes et lisait quelques pages à Milo qui l’écoutait avec grand intérêt. Il semblait aimer ses histoires car il était toujours déçu quand Prune s’arrêtait.
Milo se rapprocha de Prune. Ils partageaient deux couvertures mises l’une sur l’autre pour avoir plus chaud. Prune voyait que Milo ne savait pas vraiment comment se comporter à proximité de quelqu’un d’autre. Il était toujours un peu gêné avant de dormir. Auguste ne lisait peut-être pas d’histoires à Prune, mais lui faisait toujours le bisou du soir, pour lui souhaiter bonne nuit. Il faisait pareil avec Milo. Une de ses marques d’affection les plus évidentes.
Ce soir-là ne fit pas exception. Prune embrassa également Milo sur la joue et lui souhaita une bonne nuit.
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Une main sur son épaule suffit à la réveiller. Le feu était éteint mais dans l’obscurité, elle distingua Auguste qui lui fit signe de rester silencieuse.
À chaque camp qu’ils établissaient, Auguste s’arrangeait pour trouver une place cachée où Prune pourrait dormir. Cette nuit, Prune et Milo étaient logés entre quelques morceaux de murs. Si personne ne se baissait pour regarder, leur présence demeurerait secrète.
Auguste lui signa qu’il allait jeter un œil. Prune savait qu’elle ne devait pas bouger pendant ces moments-là. Des gens les avaient repérés. Amis ou ennemis ? Ça, ils ne le savaient pas encore.
Prune mit la main sur l’épaule de Milo pour le réveiller doucement. Le garçon, toujours calme, ouvrit doucement les yeux, deux fentes noires dans la pénombre.
Elle lui fit signe de ne rien dire et l’encouragea à écouter. Ils étaient toujours emmitouflés dans leurs couvertures. Prune n’avait pas peur. Elle savait qu’elle avait la protection des Dieux puisqu’elle la leur demandait tous les soirs.
Un peu plus loin, les voix devinrent de plus en plus bruyantes. Des bruits de coups et de combat se firent entendre. Prune y était habituée. Elle avait une confiance totale en Auguste. Il était le plus fort et n’avait jamais perdu un seul combat. Il fallait juste attendre. Elle reporta son attention sur Milo et ouvrit grand les yeux.
Ses mains couvraient sa bouche et ses joues ruisselaient de larmes. Que lui arrivait-il ?
Elle lui caressa les cheveux pour lui montrer qu’elle était là et qu’il n’avait rien à craindre. Il la regarda avec effroi, les larmes continuant de dévaler ses joues. Le pauvre, il était terrifié. Prune le prit dans ses bras. Il tremblait.
Quelques minutes plus tard, les bruits cessèrent et Auguste vint les rassurer.
─ Juste deux Déserteurs stupides. Vous n’avez rien à craindre.
Il regarda Milo.
─ Qu’est-ce qu’il t’arrive, gamin ?
─ Je pensais-… je pensais qu’ils venaient… pour moi…
Prune lui dit :
─ Tu sais, de un, ces gens ne savent pas où nous sommes et de deux, papy leur mettra une dérouillée s’ils se pointent !
Milo était toujours accroché à elle. Il n’était pas rassuré.
─ Milo, ça va, ne t’en fais pas. Je t’assure que tu es en sécurité.
─ Non, ils vont revenir avec d’autres personnes, c’est sûr ! Ils- ils viennent me chercher !
─ Personne ne va venir te chercher, je te le promets.
─ Ils vont venir et- et- et me faire du mal !!
─ Milo-
─ NOOON !!
Un silence s’en suivit.
Un long, très long silence.
─ … papy ?
─ Par tous les dieux… mais qu’est-ce qui se passe ?
Tout autour d’eux, les pierres et gravats flottaient à environ un mètre du sol, de même que les armes d’Auguste, toujours attachées à sa ceinture.
Elles retombèrent quand Milo se calma, alerté par leur silence.
─ Milo, je pense qu’on va devoir trouver celui qui t’a posé ça.

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