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Caroline m’ouvrit. Je ne lus ni crainte ni surprise dans son geste franc. J’en fus coi et me trouvai sans parole. Je n’avais rien préparé, pas la moindre phrase, pas le moindre mot. Voilà, pour le coup, j’étais au mieux un idiot, au pire un fou égaré. Ses yeux tendres ne me dévisagèrent pas. Il émanait d’eux bienveillance et gentillesse. J’en fus envoûté, ce qui ajouta à mon état statique de vieil imbécile. Jolie ? Oui, certainement, mais un autre adjectif collait mieux à la fille qui se trouvait devant moi. Charmante. De ce charme qui habite les personnes qui ont vécu et ne jouent pas avec les faux semblants en cachant défauts et rides. De ce charme vrai, naturel, celui qui éclipse l’âge pour ne laisser qu’une lumière au fond des pupilles. La vie circulait avec une telle vigueur dans ce bout de femme, que je l’enviai.

De longues secondes s’écoulèrent avant qu’enfin je ne prisse la parole.

– Excusez-moi d’abuser de votre temps, je passais par là après de nombreuses années et j’avais envie de revoir cette maison.

– Vous y êtes déjà venu ?

– Oui, plusieurs fois. J’ai grandi non loin d’ici.

– Vraiment ? Je croyais être la seule dingo capable de vivre au milieu de nulle part, à l’exception des gens qui m’ont vendu mon paradis.

– Si vous saviez ! D’autres sont plus cinglés que vous, j’en suis un spécimen. Je ne savais pas que la maison appartenait à quelqu’un, je la pensais abandonnée.

– Ça fait longtemps alors.

– Oui, très.

Elle s’écarta, m’offrant le passage puis elle prit soin de refermer derrière moi.

– Monsieur et Madame Robert vivaient ici. Lui, est décédé d’un arrêt cardiaque alors qu’il escaladait la dune. Sa femme, ne voulant pas rester seule, m’a vendu la maison. On se connaissait depuis quelques mois, je venais souvent peindre, le bois blanc des planches m’inspirait. Cela remonte à cinq ans environ. J’ai pratiquement tout refait à l’intérieur, à l’extérieur aussi. Cet endroit est magique, non ?

– Ainsi donc, vous êtes peintre, quel métier fabuleux.

– Une passion avant un métier. J’en vis, ce qui est déjà exceptionnel. J’allais me faire un café, ça vous dit ?

– C’est que…

– Vous savez, je n’ai jamais mangé personne et les visites sont rares. De plus, je raffole d’histoires lointaines. À vous voir, je suppose que vous en avez un stock. Ne vous faites pas prier.

Sans un mot de plus, elle s’absenta dans la cuisine, me laissant seul dans ce qui autrefois était le salon. J’en fis le tour des yeux, m’imprégnant des effluves d’un temps révolu. La première qui me revint fut la lumière. Ici, la clarté inondait le caisson d’habitation par de multiples fenêtres. Depuis toujours, cette luminosité m’avait paru irréelle. La dune, toute proche, renvoyait un ocre, le jaunâtre figeait les heures à la mode des anciennes photographies. Une machine s’avérait nécessaire afin que la durée s’écoule. Longtemps, j’ai maudit l’inventeur de l’horloge. Vint ensuite l’agencement de la pièce principale. Pour tout vous dire, ma mémoire l’avait effacé, l’installation me sauta au visage par sa similitude. Je me revis partout. Là, assis à la table, là, debout devant la baie à regarder la forêt, ici, à préparer mon exil. Un instant, je fus troublé et voulus faire demi-tour. Un plateau avec deux tasses fumantes m’en empêcha. Comme si elle lisait dans mes pensées, la propriétaire des lieux m’entraîna à sa suite.

– Un flot de souvenirs et d’émotions vous revient ? me demanda-t-elle.

– C’est le moins que je puisse dire. Je ne savais pas à quoi m’attendre en venant, certainement pas à ce que les images oubliées ressurgissent avec autant d’ardeur.

– Ça se voit, votre barbe a blanchi d’un coup.

– Vraiment ? fis-je, crédule.

Elle rit. De ce rire qui lézarde les murs. Cristallin, sonore, infini. Je me sentis bête devant la plaisanterie, mais ne le fis paraître.

– Me suis-je présenté ? Non, je crois ? Je m’appelle Marc.

– Enchanté, Marc. Je suis Caroline.

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