La porte du désert
Le temps s'étirait, inexorable. Un jour, deux, une semaine, deux semaines... Les deux équipes continuaient leurs explorations, fouillant méthodiquement leurs zones de recherche respectives, élargissant leur périmètre à mesure que les jours passaient. Mais malgré tous leurs efforts, le désert restait silencieux, obstinément muet. Aucune nouvelle découverte ne venait illuminer leurs espoirs. Leur unique trouvaille restait ce mystérieux artefact du premier jour. Avait-on trop rapidement proclamé son importance ? Eamon, bien qu'il refusât d'y croire, voyait poindre en lui des doutes qu'il n'osait partager. Peut-être que ce « caillou », comme certains le surnommaient déjà avec amertume, n'était qu'un vestige sans grande signification. Un objet abandonné sur ce monde aride, laissé là par un aventurier intrépide ou peut-être un exilé.
D'autres hypothèses surgissaient dans son esprit. Et si cet artefact était le dernier témoignage d'une ancienne bataille spatiale ? Mais cette théorie ne tenait pas. Aucun débris en orbite, aucun indice dans les cieux. Certes, les siècles auraient pu désintégrer les restes dans l'atmosphère ou les enfouir sous le sable, mais cela ne correspondait pas. Il n'y avait aucune trace d'échauffement sur l'artefact, aucune marque d'une entrée atmosphérique. Et l'érosion ? Les siècles auraient pu polir sa surface, mais là encore, rien ne semblait logique.
Ces questionnements tourmentaient Eamon, pesant lourdement sur son esprit et, par extension, sur le moral de l'équipe. Bien qu'il refusât d'admettre l'échec, il reconnaissait la tournure désespérante que prenait cette expédition. Comme souvent dans la recherche sur les Esthérian's, les promesses de découvertes laissaient place à la désillusion. Le retour bredouille semblait inévitable, un destin qu'Eamon connaissait bien. Pourtant, il s'accrochait à une lueur d'espoir, infime mais persistante. Après tout, pourquoi cet artefact, seul et isolé ? Cela n'avait aucun sens. Il y avait forcément autre chose. Il en était convaincu.
Au matin du début de la troisième semaine, alors que l'espoir vacillait dans le cœur de chacun, Eamon prit une décision. Il devait changer leur manière de procéder.
Sortant de sa tente, il inspira profondément l'air du matin, encore frais avant que le soleil ne transforme l'atmosphère en une fournaise. Il balaya le campement du regard, ce lieu désormais si familier, et s'arrêta sur l'étendue d'eau qui avait fini par devenir une source de réconfort quotidienne. Et, comme chaque matin, il aperçut Adam.
Lui aussi répétait son rituel immuable : le premier éveillé, toujours avant Koros, assis sur ce même rocher, immobile face au monde qui s'étendait devant lui. Eamon l'observa un instant. Même à cette distance, il devinait les pensées tourmentées du jeune homme.
Adam restait plongé dans ses réflexions. Pourquoi n'y avait-il rien d'autre ? Pourquoi avoir trouvé cet artefact ? Étions-nous sur la bonne voie ? Mais surtout, pourquoi moi ? Pourquoi était-ce moi qui l'ai découvert ? Ces questions matinales tournaient en boucle dans son esprit, alimentées par un mélange de doute et de frustration. Il était attiré par cet objet comme par un aimant, mais chaque réflexion ne faisait que creuser davantage le gouffre de son incompréhension.
Kiran, de son côté, voyait son intérêt s'effilocher à mesure que les jours passaient sans résultat. Lui qui débordait habituellement d'enthousiasme avait lentement glissé vers la frustration. Chaque fouille infructueuse alourdissait son humeur, et il commençait à envisager ce voyage comme un échec. Pourquoi continuer à souffrir sous cette chaleur infernale si rien ne se trouve ici ? pensait-il de plus en plus souvent. L'idée de rentrer, de retrouver Ylvena et de planifier d'autres recherches tournées vers l'histoire de Neuror, lui semblait de plus en plus séduisante.
Zena, quant à elle, persistait dans son acharnement méthodique. Chaque jour, elle analysait les données recueillies, retraçant les cartes, examinant les modèles, traquant la moindre piste. Mais rien, absolument rien, ne se dessinait. Ce monde se révélait de plus en plus stérile et dépourvu d'intérêt. Pourtant, elle continuait. Peut-être était-ce un simple rituel, ou une superstition née du désespoir, mais elle refusait d'abandonner. Un jour, il y aura quelque chose, se répétait-elle, comme une prière silencieuse.
Chaque membre de l'équipe portait en lui une lutte intérieure, un combat entre l'espoir ténu et le poids écrasant de la réalité. Eamon, en observant ses compagnons, comprit que le temps était compté. L'inaction ne ferait qu'enfoncer leur mission dans l'oubli. Il devait agir, et vite.
Sous la contrainte du temps, avec des vivres qui ne suffiraient plus que pour quelques jours tout au plus, Eamon prit une décision cruciale. Une idée radicale germa en lui : il fallait renverser la table. Quelque chose se terrait ici, il en était convaincu, et cette chose n'attendait qu'une seule chose : être découverte.
Sortant de sa réflexion, il appela à voix haute :
—Bon, tout le monde, venez ici ! cria-t-il en agitant les bras pour les rassembler.
À son appel, les membres de l'équipe s'assemblèrent autour de lui, leurs visages fatigués mais attentifs. Malgré l'usure morale et physique, ils obéirent presque religieusement, comme si Eamon était un prophète sur le point de dévoiler une vérité salvatrice.
Eamon balaya le groupe du regard, ses yeux brillants d'une détermination farouche.
—Comme vous le savez, jusqu'ici, nos recherches sont... infructueuses.
—Sans blague... murmura Kiran, la frustration perçant dans sa voix.
Eamon, bien qu'il ait parfaitement entendu la remarque, choisit de l'ignorer et poursuivit, son ton devenant plus ferme :
—C'est pourquoi nous allons changer notre manière de faire. Quelque chose se cache ici, j'en suis certain, et il est hors de question de repartir les mains vides. Nous allons donc explorer une nouvelle zone. Fini de chercher à l'Ouest et à l'Est, ces secteurs sont stériles. Nous nous dirigerons vers le Sud, au-delà de la zone où Adam a trouvé cet artefact. Kiran, Zena, vous venez avec moi.
Adam, jusque-là concentré sur les paroles de son mentor, sentit son estomac se nouer. Les mots d'Eamon l'ébranlèrent. Pourquoi n'était-il pas inclus dans cette équipe ? Pourquoi était-il mis à l'écart après tout ce temps passé à explorer ensemble ?
Troublé, il leva la main et prit la parole :
—Docteur, et moi alors ? demanda-t-il, ses yeux cherchant une explication dans ceux de l'Azarien.
Eamon tourna la tête vers lui, le regard énigmatique.
—Toi, Adam, j'ai une autre zone de recherche à te confier. Tu comprendras pourquoi quand nous y serons.
Adam fronça les sourcils mais n'insista pas. Le ton du docteur était sans appel.
Eamon claqua dans ses mains, cherchant à raviver l'énergie de l'équipe.
—Allez, le temps presse, et la journée doit être bien remplie ! Préparez vos sacs, on part tout de suite !
Après plusieurs minutes de marche sous un soleil déjà brûlant, le groupe arriva au bord de l'immense falaise où l'artefact avait été trouvé. Eamon s'arrêta et fit volte-face.
—Adam, tu restes ici et tu fouilles cette zone. Entendu ? ordonna-t-il, son ton plus direct que jamais.
Adam, incapable de comprendre la logique de cette décision, hocha lentement la tête en signe d'accord, bien qu'une multitude de questions tourbillonnent dans son esprit. Pourquoi lui demander de rester là, seul ? Cela n'avait aucun sens.
Eamon, Zena, et Kiran reprirent leur chemin vers le Sud sans un mot de plus, laissant Adam derrière eux. Le jeune homme les regarda s'éloigner, leur silhouette se fondant peu à peu dans l'horizon écrasé par la chaleur.
Il s'assit sur un rocher au pied de la falaise, à l'ombre bienvenue de la paroi imposante, et observa l'endroit. Ce devait être une plaisanterie, pensa-t-il. Peut-être qu'Eamon reviendrait le chercher après une rapide reconnaissance. Mais les minutes s'égrenèrent, et Adam réalisa qu'il était bel et bien seul.
Frustré, il se redressa et commença à parler à voix haute, sa voix résonnant dans le silence oppressant du désert.
—Sérieusement, c'est quoi cette idée ? Me laisser ici, tout seul, à fouiller un endroit où j'ai déjà tout examiné ? Il secoua la tête, cherchant une logique à ce plan. Est-ce qu'il pense que je vais trouver un truc que j'ai raté ? Franchement...
Il s'arrêta, le regard perdu dans l'immensité du paysage. La falaise était imposante, presque intimidante, et le silence pesant semblait vouloir écraser sa voix. Adam inspira profondément, tentant de calmer l'orage qui grondait en lui.
—Je ne comprends pas... murmura-t-il finalement, le ton plus résigné.
Il resta assis un moment, seul face à l'immensité du désert, ses pensées tourbillonnant dans son esprit. La colère, l'incompréhension, et une pointe de doute le rongeaient. Pourquoi lui ? Pourquoi ici ? Et surtout, que cherchait vraiment Eamon ?
—Le vieux a pété les plombs, c'est sûr maintenant, marmonna Adam, laissant sa frustration éclater après de longues minutes passées à attendre seul. Il se passa une main nerveuse dans les cheveux, jetant un regard désabusé à l'horizon désertique. Oui, c'est ça, le soleil lui a grillé les neurones, et il m'a laissé là pour me faire perdre mon temps ! Je vais lui montrer de quoi je me chauffe, ce soir, au camp.
Il se releva brusquement de son rocher, la mâchoire serrée, incapable de rester immobile. Il fit les cent pas, agité. Son esprit tournait en boucle : Pourquoi moi ? Pourquoi me laisser ici, seul ? Est-ce que je suis inutile à ses yeux ? Est-ce pour éviter de me dénigrer devant les autres ?
La frustration montait, incontrôlable. Dans un geste de dépit, il ramassa une pierre au sol, la serrant si fort que ses jointures blanchirent. Puis, dans un éclat d'exaspération, il la lança de toutes ses forces en direction d'un rocher dépassant de la falaise.
À sa grande surprise, le choc produisit un bruit métallique distinct.
Adam se figea, ses pensées tumultueuses coupées net. Il plissa les yeux, fixant le rocher comme s'il s'était trompé. Mais non. Le son était bien réel. Lentement, il s'approcha, presque avec prudence, et posa le bout de ses doigts sur la surface rugueuse. Pour être sûr, il donna une petite tape du plat de la main. De nouveau, ce bruit métallique résonna dans l'air, clair et distinct.
Son cœur s'emballa.
—Qu'est-ce que c'est que ce truc ? murmura-t-il pour lui-même.
Le rocher était situé à la lisière d'une falaise imposante, abrupte, mesurant environ 350 mètres de large et 120 mètres de haut. En contrebas s'étendait une vaste plaine sablonneuse parsemée de pierres rouge cuivre, un paysage aride et implacable. Plus loin, au sud, en direction d'Eamon et des autres, s'étendait une mer de dunes, ondulant à perte de vue sous la chaleur. Au nord, cette mer de sable continuait sur environ quatre kilomètres avant de rejoindre l'oasis familière.
Adam s'arrêta un instant, observant les alentours avec attention. L'endroit était familier : c'était ici, précisément à la lisière de cette falaise, qu'il avait découvert l'artefact deux semaines plus tôt. Pourtant, il en était persuadé : ce rocher métallique n'était pas là auparavant. Son intuition lui criait que quelque chose avait changé.
Il se pencha pour inspecter le rocher de plus près. Extérieurement, rien ne le distinguait d'un simple morceau de pierre. Mais sa curiosité, attisée par l'étrangeté de la situation, prit le dessus. Il commença à explorer méthodiquement les environs, touchant la paroi de ses mains, tapotant sur d'autres rochers pour écouter un éventuel écho métallique.
C'est alors qu'il sentit une faille dans la paroi. Une ouverture, étroite mais profonde. Il glissa instinctivement sa main à l'intérieur.
Un grondement sourd retentit aussitôt, vibrant dans l'air et sous ses pieds.
Adam retira sa main d'un geste brusque, le cœur battant à tout rompre. Le sol trembla légèrement, et une fine couche de sable se mit à bondir, soulevée par une vibration qui semblait émaner des entrailles mêmes de la falaise. Un nuage de poussière s'éleva doucement, enveloppant l'endroit d'une brume dorée.
Devant ses yeux écarquillés, la paroi rocheuse commença à bouger. Lentement, elle se mit à glisser, comme un mirage qui s'évaporait, pour révéler une immense surface métallique d'un gris pur aux teintes bleutées.
Adam resta figé, la bouche entrouverte.
La paroi était d'une finesse et d'une perfection absolue, lisse comme du verre poli. En son centre, un symbole gigantesque était gravé avec une précision inégalée : un cercle abritant une rosace complexe, dont les huit points touchant le cercle extérieur étaient reliés par des traits d'énergie lumineuse, semblables à des faisceaux laser. Au cœur de la rosace se trouvait un cercle plus petit, épais et imposant, comme le noyau d'un système complexe.
Ce symbole, inconnu mais étrangement familier, fit naître un frisson dans son dos.
—C'est Esthérian, murmura-t-il, presque instinctivement.
Pris d'une impulsion irrépressible, il tendit la main et toucha la surface lisse de la porte.
À son contact, une lumière turquoise apparut au centre du symbole, partant simultanément vers le haut et le bas. La lueur se répandit comme une fêlure lumineuse, divisant la paroi métallique en deux moitiés parfaitement symétriques.
Un claquement profond retentit.
Avec une lente majesté, les deux pans de la porte commencèrent à s'écarter, glissant sur des rails invisibles dans un silence presque solennel. Une cascade de poussière fine s'échappa des bords de l'ouverture, tourbillonnant doucement avant de retomber en un voile doré sur le sol.
Alors que l'obscurité béante de l'antre inconnue se dévoilait, un courant d'air glacé jaillit de l'intérieur. Il souffla en direction d'Adam, caressant doucement son visage, un contraste saisissant avec la chaleur écrasante du désert. Ce souffle portait avec lui une odeur légère, indéfinissable, un mélange de métal ancien, de pierre froide, et d'un écho lointain d'humidité.
L'air, presque vivant, sembla envelopper Adam, faisant frissonner sa peau malgré la moiteur de sa sueur. Ses cheveux bougèrent doucement sous la brise, comme s'ils répondaient à un appel muet.
Adam, paralysé par l'émerveillement et l'incrédulité, sentit son cœur battre à toute allure.
—Une porte... Une porte ! s'écria-t-il, la voix tremblante.
Ce qu'il venait de voir était inimaginable. Ce spectacle dépassait tout ce qu'il avait pu envisager. Sous ses yeux, une structure enfouie et oubliée depuis des millénaires venait de s'éveiller, répondant à son contact comme si elle avait attendu ce moment précis.
Adam resta immobile, figé devant l'entrée monumentale qui se dressait devant lui. Son cœur battait à tout rompre, et son souffle, court et irrégulier, semblait résonner dans le silence absolu qui régnait autour de lui. L'obscurité béante de l'antre semblait presque vivante, comme si elle l'appelait, l'invitant à percer ses mystères. Un mélange d'émerveillement et d'appréhension l'envahit, une étrange exaltation naissant au creux de son ventre.
Happé par cette promesse d'exploration, il fit un pas en avant, son pied effleurant le seuil de l'entrée. Mais alors qu'il allait poser le pied dans l'antre, un éclair de lucidité le traversa. Il s'arrêta net, le regard soudain fixé au sol. Une voix intérieure, grave et solennelle, résonna dans son esprit, ramenant à la surface des mots qu'il n'avait pas oubliés.
—Si vous trouvez quelque chose, n'interférez pas avec l'environnement, n'agissez pas seul et attendez que l'on soit ensemble pour agir ! C'est crucial pour la sécurité de chacun ! Nous ne savons pas sur quoi nous pouvons tomber... Bien trop de scientifiques ont trouvé la mort en ignorant cette règle.
Les paroles d'Eamon, prononcées au début de l'expédition, lui revenaient avec une clarté glaçante. Adam se redressa, ses mains tremblantes sous l'effet de l'adrénaline. L'excitation qui l'avait submergé quelques instants plus tôt céda peu à peu la place à une prudence teintée de crainte.
Il recula d'un pas, levant les yeux vers la structure imposante, sentant le poids de sa découverte et de sa responsabilité. Cette porte n'était pas qu'un simple vestige d'une civilisation oubliée : elle était un seuil vers l'inconnu, un danger potentiel.
Il inspira profondément, essayant de calmer son esprit.
—Pas seul... Pas maintenant, murmura-t-il pour lui-même, comme une promesse silencieuse.
Il jeta un dernier regard à l'intérieur de l'antre, la noirceur semblant presque vibrer sous ses yeux. Puis, avec effort, il fit demi-tour, son cœur encore agité par l'excitation et la frustration. La tentation de s'aventurer seul était forte, presque irrésistible, mais il savait que la moindre imprudence pourrait être fatale, à lui ou aux autres.
Il s'éloigna lentement de l'entrée, ses pensées déjà tournées vers la manière d'informer Eamon et les autres de cette découverte.
Au sud, le trio d'archéologues était en pleine activité, balisant une zone rocailleuse où les dunes avaient laissé place à une terre rougeâtre et fissurée. Kiran, accroupi près d'un amas de pierres, fouillait méthodiquement, espérant trouver un fragment Esthérian ou tout autre vestige. C'est alors que l'intercom d'Eamon crépita, interrompant le silence relatif du désert.
Sur une ligne commune à tous, la voix d'Adam retentit, vibrante d'excitation :
—Eamon ! M'entendez-vous ? Vous ne devinerez jamais ce que je viens de trouver !
Le vieux docteur redressa brusquement la tête, alerté par le ton du Terrien. Il porta une main à son intercom glissé dans son oreille gauche et fit un signe à Zena et Kiran pour qu'ils s'approchent.
—Oui, je t'entends, répondit-il rapidement, l'intensité de sa voix trahissant son intérêt. Nous t'entendons tous, d'ailleurs. Alors, qu'as-tu découvert ?
—Une porte, annonça Adam, la voix légèrement hachée par le souffle du vent. Une immense porte métallique incrustée dans la falaise, avec un symbole étrange.

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