Le sable sans réponses
Adam resta silencieux, digérant les paroles de son mentor. Son regard, jusque-là interrogateur, se fit plus ferme.
—Je comprends, Docteur. Alors ne perdons pas de temps. Si nous sommes ici, c'est parce que cela en vaut la peine n'est ce pas ?
Un sourire fugace éclaira le visage d'Eamon, et il posa une main sur l'épaule du jeune homme.
—C'est exactement l'attitude qu'il faut. Maintenant, retournons à nos recherches. Nous avons un monde à découvrir.
Les heures s'étaient écoulées rapidement, et le groupe se retrouva enfin au camp de base, sous un ciel où les premières étoiles commençaient à percer. Zena et Kiran, rentrés un peu plus tôt, profitaient du temps libre pour se reposer, se réhydrater, mais aussi pour assister Koros dans ses recherches sur l'artefact.
L'androïd, fidèle à sa réputation, travaillait avec une précision clinique. Chaque geste était mesuré, chaque analyse s'enchaînait avec une logique implacable. Ses doigts mécaniques dansaient sur l'holo-écran de recherche, traçant des schémas, raturant des hypothèses, ajustant des paramètres. L'écran projetait une lueur bleutée sur son visage impassible, illuminant les détails complexes des données qui défilaient à une vitesse vertigineuse.
—Impressionnant, murmura Kiran, son carnet électronique en main, notant scrupuleusement le protocole méthodique de Koros. Il y a une vraie beauté dans cette... perfection.
Koros ne répondit pas, absorbé dans son travail. Une pièce de l'artefact, détachée et montée sur un socle, pivotait lentement dans un scanner holographique. Des flux de données s'y superposaient, révélant des traces de matériaux et des inscriptions usées par le temps.
C'est alors qu'Eamon fit irruption dans la tente de recherche, écartant le rideau d'un bras. Sa présence imposante rompit le calme studieux.
—Vous êtes enfin là. Avec la nuit qui tombe, on commençait à se poser des questions, lâcha Zena en se redressant, le cœur battant légèrement de surprise.
Eamon esquissa un sourire rassurant.
—Désolé pour l'attente. Le retour a pris plus de temps que prévu. Alors ? Vous avez trouvé quelque chose de votre côté ?
Kiran, visiblement fatigué, prit la parole le premier. Il s'adossa à une caisse et soupira.
—Pas grand-chose, pour être honnête. La chaleur était... insupportable. On n'a pas pu rester au-delà de 14h30. Le climat nous a contraints à rebrousser chemin plus tôt que prévu.
Eamon hocha lentement la tête, sa main droite glissant vers son menton, signe de réflexion.
—Je vois... murmura-t-il, pensif.
Zena, impatiente, enchaîna :
—Et vous ? À l'ouest, ça a donné quelque chose ?
Eamon poussa un léger soupir avant de répondre.
—Malheureusement, non. Nous avons atteint un lac asséché, une immense cuvette calcaire... Mais c'était un piège. Le vent y était si violent qu'on a dû se replier. Aucune civilisation n'aurait pu s'établir au fond d'un tel endroit. Nous avons fouillé les pourtours, mais... rien pour l'instant.
La déception était palpable. Zena détourna le regard, secouant légèrement la tête. « Bon... » murmura-t-elle, son ton laissant transparaître un certain découragement.
Eamon, toujours optimiste, se redressa et ajusta son monocle.
—Allons, ne nous laissons pas abattre. La recherche est faite de hauts et de bas. Aujourd'hui n'a peut-être pas apporté de grande découverte, mais c'est ça, la science. Chaque jour est une étape.
Un léger silence s'installa, seulement troublé par le bourdonnement des instruments de Koros. Adam, jusque-là resté en retrait, observait attentivement la scène. Ses yeux allaient du droïd concentré à Eamon, qui semblait déjà planifier la journée du lendemain.
Mais Adam, lui, sentait une tension grandissante. Il savait que leur présence sur cette planète ne pouvait pas s'éterniser. Le temps jouait contre eux, et chaque instant sans résultat était une opportunité de plus pour leurs ennemis ou le Consortium de les repérer.
Ses pensées étaient lourdes de doutes. Il fixait l'artefact et se remémorait la conversation au sujet du contrebandier Tcherk-To. Dans son esprit, une question s'imposait, implacable : « Et si c'était un piège ? »
Son regard devint plus sombre, une lueur de méfiance naissant dans ses yeux. Il inspira profondément, cherchant à dissiper cette angoisse intérieure. Pour l'instant, il ne pouvait qu'attendre et observer, espérant que les informations de Tcherk-To mèneraient à quelque chose de concret.
—Et cet artefact, Koros ? demanda Eamon Voss en se tournant vers l'androïde, son regard vif trahissant son impatience de confirmer leurs premières hypothèses.
Koros émit un léger cliquetis électronique avant de répondre d'une voix monotone mais étrangement rassurante :
—Mes analyses protocolaires confirment vos estimations, Docteur Voss. Cet artefact est effectivement plus jeune de 19 700 ans par rapport à la date supposée de la disparition des Esthérian's.
Eamon hocha la tête, un sourire satisfait étirant ses lèvres. —Parfait.
Koros poursuivit, ses doigts métalliques manipulant rapidement l'interface holographique devant lui. Des schémas complexes s'affichaient sur l'écran, tandis qu'il détaillait ses conclusions :
—Concernant les matériaux de fabrication, il s'agit d'un alliage composite. Nous retrouvons du titanium, comme c'est souvent le cas dans les technologies Esthérian's. Cependant, ce titanium est combiné à un métal qui ne figure pas dans nos bases de données.
Eamon plissa les yeux, visiblement surpris par cette information.
—Un métal inconnu ? Que voulez-vous dire par là ?
Kiran, incapable de contenir son excitation, intervint avec l'enthousiasme qui lui était propre :
—Oui, Docteur ! Koros a passé des heures à analyser sa composition, et rien, absolument rien, ne correspond à nos bases de données interstellaires. C'est incroyable, vous ne trouvez pas ? Une découverte comme celle-ci pourrait tout changer !
Eamon se redressa brusquement, son intérêt piqué à vif.
—Faites-moi voir ça ! dit-il en se dirigeant rapidement vers l'holo-écran.
Koros fit apparaître un modèle tridimensionnel de l'artefact, accompagné d'un diagramme détaillant ses composants. Les données sur l'alliage s'affichaient en temps réel : des flux d'informations codées, des spectres d'analyse, et des annotations de Koros.
Eamon se pencha légèrement en avant, ses yeux rivés sur les chiffres et les graphiques. Il resta silencieux un instant, absorbé par ce qu'il voyait, avant de murmurer :
—C'est... stupéfiant. Il se tourna vers Kiran, son expression à mi-chemin entre la fascination et la perplexité. Cela remet en question tant de choses sur la technologie des Esthérian's... Si ce métal leur était accessible, cela pourrait indiquer un stade technologique encore plus avancé que ce que nous imaginions.
Kiran hocha vigoureusement la tête, les yeux brillants.
—Exactement ! Et s'ils avaient découvert ou créé ce métal, cela pourrait aussi signifier qu'ils avaient accès à des ressources ou à des procédés que nous ne comprenons même pas encore.
Eamon porta une main à son menton, pensif.
—Mais pourquoi ce métal n'apparaît-il nulle part ailleurs dans leurs artefacts connus ? Et pourquoi ici, sur cette planète en particulier ?
Koros, imperturbable, ajouta avec sa précision habituelle :
—Ces questions nécessiteront des recherches supplémentaires. Je recommande de collecter davantage d'échantillons si d'autres fragments similaires sont découverts.
Eamon acquiesça, les rouages de son esprit déjà en train de tourner.
—Oui, absolument. Il faut approfondir cette piste. Si ce métal est unique à cette planète ou à une période spécifique de leur histoire, nous pourrions être face à une clé majeure pour comprendre leur disparition.
Une douce odeur d'épices et de viande mijotée flottait dans l'air, enveloppant le campement d'une chaleur réconfortante malgré la fraîcheur nocturne d'Oberon. Les rires éclatants et les conversations animées brisaient le calme habituel de cette planète mystérieuse. Dans le ciel, les étoiles scintillantes semblaient jouer à cache-cache avec la lumière orange vacillante des lampes du camp, jetant des ombres dansantes sur les visages des protagonistes réunis autour de la table.
Les discussions fusaient, tantôt sérieuses, tantôt teintées d'une légèreté bienvenue après une journée harassante. L'atmosphère était détendue, les sourires sincères, comme si ce moment de convivialité balayait l'austérité de leur mission.
Kiran, plié de rire, peinait à retrouver son souffle.
—Attends, attends, répète ça ! lança-t-il en tapant la table, des larmes au coin des yeux. Parce que là, c'est... c'est incroyable !
Zena, amusée, secoua la tête tout en reprenant son récit, un sourire malicieux aux lèvres.
—Alors, pour faire simple : le petit Elky'a, de la classe B, tu vois, celui qui passe son temps à se vanter d'être le meilleur ? Eh bien, ce génie a eu l'idée brillante d'allumer un feu juste au-dessus des vapeurs de protoxydes d'hydrazine. Résultat ? BOUM ! Le labo entier a explosé. Et lui, il est ressorti la tronche complètement cramée, les cheveux encore fumants... La seule chose reconnaissable, c'étaient ses yeux !
Cette description provoqua une nouvelle vague d'hilarité chez Kiran, qui faillit renverser son verre dans son enthousiasme.
—Oh mon dieu ! s'exclama-t-il en se tenant les côtes. Comme je regrette d'avoir raté ça... Voir sa tête de Monsieur Je-Sais-Tout complètement carbonisée... Ça aurait été le moment de ma vie !
Zena, ravie de son effet, haussa les épaules avec un air faussement modeste.
—Eh oui, tu aurais adoré. Moi, j'étais juste là, essayant de ne pas éclater de rire pendant qu'il balbutiait des excuses au prof... avec la moitié des sourcils en moins.
Eamon, qui écoutait en silence tout en sirotant une boisson chaude, se permit un léger sourire, un rare moment de décontraction pour le vieux scientifique.
—Elky'a... Je me souviens de lui. Un prétentieux insupportable, mais brillant à sa manière. Si seulement il avait mis autant d'énergie à réfléchir qu'à se vanter...
—Oh, ça, c'est sûr ! répondit Zena en hochant vigoureusement la tête. Mais bon, il nous a offert l'un des meilleurs souvenirs de cette année-là.
Adam, assis un peu à l'écart, esquissa un sourire discret en écoutant l'échange. La scène avait quelque chose de réconfortant : un moment d'humanité, simple et joyeux, au milieu d'une mission qui, chaque jour, semblait un peu plus lourde de responsabilités. Il ne dit rien, se contentant d'observer, laissant les rires et les récits illuminer cette nuit étoilée.
—Tout va bien, Adam ? demanda Kiran, le regard inquiet. Il avait remarqué que son meilleur ami semblait plus en retrait que d'habitude, son silence inhabituel trahissant quelque chose d'autre qu'une simple fatigue.
Adam, les bras croisés, releva légèrement la tête et esquissa un sourire qui se voulait rassurant.
—Oui, ne t'en fais pas. Juste un peu fatigué. Cette journée a été... intense, physiquement.
Kiran fronça les sourcils, peu convaincu, mais il choisit de ne pas insister. Il connaissait suffisamment Adam pour savoir qu'il s'ouvrirait à son rythme, si besoin.
Eamon, qui observait la scène depuis sa chaise, se redressa avec un léger grognement, posant une main sur le dossier pour s'appuyer.
—Adam a raison. Cette journée a été dure pour tout le monde. Et demain... Il marqua une pause, son regard balayant le groupe. Et demain ne sera pas plus facile. Nous devrions profiter de ce moment pour nous accorder une bonne nuit de sommeil bien méritée.
Son ton, à la fois ferme et paternel, fit écho à l'état d'épuisement général. Les membres du groupe acquiescèrent, les visages marqués par une lassitude partagée, mais teintée de détermination.
Lentement, chacun se leva, les gestes alourdis par la fatigue. Le campement s'emplissait du bruit discret des chaises déplacées et des murmures échangés à voix basse. Kiran posa une main sur l'épaule d'Adam avant de s'éloigner.
—Repose-toi, d'accord ? On a besoin de toi à 100 %.
Adam hocha la tête, un bref sourire éclairant son visage.
—Merci, Kiran. Toi aussi, essaie de bien dormir.
Ensemble, ils rejoignirent leurs couchettes. L'agitation du camp fit place au silence, seulement troublé par le crépitement lointain des lampes alimentées et le souffle du vent qui caressait les toiles des tentes.
La première journée, riche en activités mais avares en découvertes, venait de s'achever. Une nouvelle étape les attendait demain, et chacun espérait y trouver des réponses à leurs questions... ou au moins un indice, aussi infime soit-il...

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