Le silence après l'éveil
Dans un bruit sourd, étouffé par le sable instable, les trains d'atterrissage du vaisseau s'enfoncèrent doucement dans le sol. L'engin toucha terre avec une précision calculée, marquant son arrivée au camp. Toujours inconscient, le visage livide et fatigué, Adam fut transporté avec délicatesse jusqu'à une couchette, son état enfin stabilisé.
L'air brûlant de l'extérieur s'engouffra dans le sas du vaisseau alors qu'Eamon, épuisé, s'assit pesamment. Il retira son monocle d'un geste las et enfouit son visage entre ses mains ridées. Koros, qui l'avait suivi de près, ne pouvait contenir son besoin de comprendre. Le vieux synthétique fixa intensément l'Azarien.
— Eamon, ce n'est peut-être pas le meilleur moment, annonça la voix métallique d'un ton mesuré, mais nous devons savoir si notre mission est en péril. Tu dois me raconter ce qui s'est passé !
L'Azarien resta figé, silencieux, le regard perdu dans le vide.
— Votre départ a eu lieu à l'aube, exactement à 07:00. Nous sommes maintenant à 17:00. Cela fait dix heures, énonça l'androïd d'une voix implacable. Nous sommes dans une situation critique, tu dois m'expliquer ce qui s'est passé !
L'insistance inhabituelle du synthétique, alliée à son regard fixe et presque dérangeant, força Eamon à relever lentement la tête. Il laissa glisser ses mains le long de son visage fatigué, tirant sur sa peau marquée par les années. Il souffla longuement avant de répondre enfin d'une voix rauque :
— Je vais tout expliquer... Ne t'en fais pas. J'avais juste besoin de reprendre mes esprits...
Cherchant ses mots, le vieux scientifique se préparait à tout révéler, de la découverte à la tragédie. Koros, stoïque, attendait dans un calme robotique teinté d'une impatience grandissante, reflet de l'humanité encodée en lui.
Se frottant les tempes et le front, Eamon commença :
— C'était en fin de matinée. Adam, resté seul comme je l'avais prévu, a découvert une structure, un bâtiment d'origine Esthérian. Tout a commencé lorsque nous sommes tombés sur une immense fresque, étrange et perturbante, dans une grande salle. De là, nous avons progressé dans un couloir menant à trois entrées. Cette fresque, bien qu'importante, n'était pas la découverte la plus impressionnante.
— Que... Crr, crr raconte cette fresque ? coupa Koros.
— Elle semble relater leur histoire, leur apogée, et une fin terrible, terrifiante... Mais ce n'est pas tout... Eamon replongea son regard dans le vide, tentant de rassembler les morceaux de la journée.
— Cette guerre qui semble marquer la fin, je crois que c'est celle des Esthérian’s. Il marqua une pause, laissant à l'androïd le temps d'assimiler les données, puis reprit :
— L'édifice réagissait à la simple présence d'Adam. La fresque s'est illuminée à son approche, et lorsqu'il l'a touchée. Puis, dans une seconde pièce où trônait une immense colonne centrale, les consoles et les lumières se sont réactivées à son contact. Comme si tout s'éveillait en sa présence... et c'est là que tout a commencé à dégénérer.
Koros resta silencieux, attendant la suite, son regard intrigué par le récit de Voss.
Se tournant vers l'intérieur du vaisseau, l'air plus sombre, il poursuivit :
— Une salle était inaccessible, comme condamnée, mais Adam était comme hypnotisé. Il a exploré seul une seconde salle, une sorte d'observatoire donnant sur la pièce verrouillée. Dans cette dernière, un étrange fauteuil était installé, isolé, comme interdit.
Eamon marqua une nouvelle pause, secouant la tête avec abattement.
— La porte s'est ouverte et Adam est allé s'asseoir sur le fauteuil. Pendant que nous analysions des informations, nous avons perdu un temps précieux. Quand nous sommes arrivés... il était trop tard. Des attaches l'ont retenu, et la pièce s'est activée, lui faisant subir des choses... étranges. Maintenant, tu sais tout.
— Nous ne pouvons donc pas savoir quelles séquelles il pourrait subir... répondit Koros d'une voix mécanique. Et maintenant ? Que signifie tout ceci ?
Eamon reprit son monocle, le nettoya d'un geste pensif avant de le remettre en place.
— Ce monde, ce lieu, cette fresque, ces consoles et ce fauteuil... tout cela représente une découverte d'une valeur inestimable. C'est, à ce jour, la plus grande percée dans la compréhension des Esthérian’s ! Koros, ceci est peut-être la clé pour enfin percer leurs mystères ! L'étude de cet endroit est essentielle pour comprendre non seulement leur civilisation, mais aussi les conséquences que cela pourrait avoir sur Adam.
L'androïd, habituellement imperturbable, ressentit une gêne inhabituelle face aux propos de son vieil acolyte. Au fond de ses circuits, une alarme silencieuse s'activait. Ce lieu était dangereux. Un picotement étrange traversa ses circuits. Une variable inconnue, hors de tout protocole, clignotait en alerte. Cet endroit ne devait pas être exploré.
— Tu proposes... de continuer les recherches ?
— En effet, mon vieil ami. L'état d'Adam est stable et son pronostic vital n'est pas engagé. Cependant, nous devons faire preuve de prudence. Attendons qu'il reprenne conscience, observons l'évolution de son état avant de prendre une décision définitive.
— Si l'humain se réveille... ajouta froidement Koros. C'est entendu, nous ferons comme tu le souhaites, mais gardons un œil attentif sur l'état d'Adam.
Eamon acquiesça en silence, puis descendit la passerelle en direction de la tente de recherche, l'esprit absorbé par l'ampleur de leur découverte.
Le temps s'écoula, les heures défilèrent. Kiran, veillant inlassablement au chevet d'Adam, avait fini par sombrer d'épuisement, la tête reposant sur ses bras, juste au bord de la couchette de son ami. Un mouvement, faible mais perceptible, le tira de son sommeil. Il ouvrit les yeux, l'esprit encore embrumé. Il était 3h00 du matin. Lentement, Adam émergeait de son inconscience.
Prenant conscience de ce qui se passait, Kiran bondit sur ses pattes et s'élança hors du vaisseau. Il traversa le camp en courant jusqu'à la tente où dormaient ses coéquipiers, ou du moins tentaient de le faire pour certains.
—Réveillez-vous ! Allez, debout ! Adam se réveille ! cria le félin avec une excitation non contenue.
Sa voix brisa le silence de la nuit, arrachant le vieux archéologue à son sommeil profond. Il dormait tel un loir, mais les mots de Kiran le tirèrent brusquement de ses rêves. De son côté, Zena, qui luttait contre l'insomnie, se tourna immédiatement vers lui, l'attention en alerte.
Eamon, accablé par le poids des années, se redressa avec difficulté. La journée éprouvante pesait lourdement sur son corps fatigué, ses rhumatismes lui rappelant douloureusement leur présence. Voyant l'agitation de ses compagnons, il rassembla ses forces et les suivit, traînant le pas. Ses traits marqués par l'épuisement et l'inquiétude se crispèrent lorsqu'il approcha.
Kiran était posté au chevet d'Adam, attentif. Lentement, le blessé ouvrit les yeux, clignant plusieurs fois alors qu'il émergeait difficilement du coma dans lequel il avait été plongé pendant de longues heures. Son regard hagard balaya la pièce, cherchant des repères. Il ne savait ni où il était, ni combien de temps s'était écoulé depuis son dernier souvenir conscient.
Zena s'approcha à son tour, un mélange de soulagement et d'angoisse peint sur son visage.
— Tout va bien, Adam. Tu es au camp, murmura-t-elle doucement, cherchant à rassurer le Terrien. Puis, tournant la tête vers Koros, elle ajouta : Koros, peux-tu apporter un peu d'eau ?
Adam tenta de se redresser, s'appuyant sur ses bras avec effort. Une grimace de douleur déforma son visage, et un léger gémissement s'échappa de ses lèvres. Il tenta de parler, mais seuls des mots étranges, incompréhensibles, s'enchaînèrent dans un souffle rauque :
— Dorma... ta... tao...
— Je n'ai pas compris... tu peux répéter ? demanda Zena, interloquée.
— Heeeuu... pourquoi suis-je ici ? répéta Adam, cette fois dans la langue commune du Consortium, plus intelligible.
— Tu ne te souviens de rien ?! s'immisça Kiran, visiblement inquiet pour son ami.
Adam fronça les sourcils, tentant de réorganiser ses pensées.
— Je me souviens juste du temple Esthérian... d'un fauteuil... puis plus rien, le trou noir... Il s'interrompit brusquement, son corps vacillant sous un vertige soudain. Ses paupières se fermèrent de crispation, et un nouveau gémissement de douleur s'échappa de ses lèvres. Une vague de faiblesse l'envahit, et il perdit brièvement connaissance.
— Adam ! s'exclama Kiran, attrapant fermement son ami par les épaules pour l'empêcher de chuter.
Quelques secondes plus tard, Adam ouvrit de nouveau les yeux, la respiration lourde.
— Que s'est-il passé ?
Eamon s'approcha, l'expression grave, une lueur d'espoir au fond du regard.
— Tu ne te souviens de rien d'autre que le fauteuil ?
Adam plissa les yeux, portant une main à son front.
— Non... quoique... murmura-t-il en pinçant l'arête de son nez, comme si un souvenir diffus cherchait à émerger.
Kiran inspira profondément avant de prendre la parole, baissant les yeux avec un air défait.
— Ce fauteuil... Tu t'y es assis, et quelque chose s'est activé. Tu as subi une sorte d'expérience... un supplice incompréhensible. Puis, tu as perdu connaissance, convulsant... et on ne savait pas si tu allais te réveiller.
Un silence pesant s'installa, alors qu'Adam assimilait ces paroles, l'ombre d'une inquiétude voilant son regard.
— Quelque chose te revient ? insista Voss, son regard perçant scrutant Adam.
L'humain ferma les yeux, tentant de rassembler ses pensées dispersées. Son esprit embrouillé luttait pour assembler les fragments de souvenirs qui lui revenaient par bribes. Une sensation de vertige l'envahit alors qu'il tentait d'expliquer :
— La fresque... non... le fauteuil... des symboles partout, des nombres, des calculs...
— Des symboles ? Des calculs ? Qu'est-ce que tu veux dire ? poursuivit Eamon, l'impatience trahissant sa voix.
— Je... je ne sais pas... murmura Adam, secouant lentement la tête, la main glissant sur son front en signe de confusion.
— Doucement, mon pote... repose-toi, on verra ça plus tard, intervint Kiran, jetant un regard de désapprobation à Eamon, qui semblait prêt à le harceler de questions.
Koros, qui venait d'apporter une gourde d'eau, la tendit à Zena.
— Tiens, bois un peu d'eau, ça te fera du bien.
Elle versa ensuite une petite quantité dans le bouchon et le tendit à Adam.
Soudain, la voix synthétique de Koros s'éleva, impérative :
— Eamon, nous devons parler. Seuls.
Le vieux Azarien haussa un sourcil, puis, sans un mot, se dirigea vers l'extérieur, suivant l'androïd sur la passerelle. Sous les yeux d'Adam, Kiran et Zena.

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