LE VOYAGE

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Ah… J’ai failli rebrousser chemin plus d’une fois. Les puits gravitationnels de Mirella ne pardonnent rien : une microseconde d’inattention et la coque se tord comme une canette. Mais quand j’ai franchi le dernier corridor et que la porte croassante s’est ouverte, j’ai compris pourquoi on meurt pour ce lieu.

La plage se cachait dans une anse étroite, invisible depuis l’orbite. Le sable brillait comme s’il était fait de poussière d’étoiles, diffusant une lueur douce à chacun de mes pas. L’océan bleu, sombre... brillait d’éclats argentés à chaque vague, comme si le ciel tout entier s’était effondré à la surface de l’eau.

Le silence n’était brisé que par une belle mélodie. Ce n’étaient pas des oiseaux, ni le vent… mais les coquillages translucides qui parsemaient le rivage, vibrant doucement sous la caresse de l’air marin. Les falaises qui l'entouraient pulsaient d’une lumière verte et opaline, émanant d’une végétation dont je n’avais jamais vu l’équivalent ailleurs.

Je suis restée là, incapable de bouger, avec le sentiment d’avoir trouvé un lieu hors du temps. Un monde où rien d’autre n’existe que la beauté brute, préservée du reste de la galaxie par les dangers qui la protègent. La fameuse Zeguema Beach n’est pas une simple destination : c’est une récompense. Un serment entre la mer et les étoiles, offert seulement à ceux qui osent venir la chercher.

La seule chose qui a pu m’extirper de cette vision paradisiaque, c’est un grondement ferme, un bruit assourdissant comme le hurlement d’un éléphant enrhumé. Je pose ma main sur mes yeux…

  • Ah putain !

La lumière artificielle et tremblante des leds me brûle la rétine. Je me suis encore endormie la lumière allumée, voilà qui va ralentir le chargement des accumulateurs. Une grande inspiration et on sort du sac de couchage. J’ai dû me glisser comme un serpent en dehors, les sangles élastiques sont un peu usées mais ça tient. Comme d’habitude, j’ai attaché mes bottes sur le plafond de ma capsule et avec une petite extension de mes bras, je rentre dedans. C’est devenu un vieux réflexe, je pourrais faire ça les yeux fermés. Je vérifie quand même à gauche et à droite qu’il n’y a rien qui flotte. On dit à tous les pilotes de faire ça avant de sortir en encore plus quand on dort dans une capsule horizontale.

J’aime toujours autant l’apesanteur, ça doit être pour ça que j’ai rêvé de la plage. C’est ça ou j’ai besoin de vacances. Bon, c’était quoi ce klaxon ? Avec un mouvement souple digne d’une loutre dans son bassin, j’approche du tableau de bord. Et je garde la console de la boîte noire :

  • Stuart Port ?

Qu'est-ce que je fous là déjà ? Je fais défiler les missions et là, je tombe dessus. Je me souviens, j’ai un convoi attaché au vaisseau et j’ai pas beaucoup de temps pour freiner mon approche. Dans un geste rapide, j’active les sabots magnétiques de mes bottes pour retrouver le haut du bas dans ce cockpit. Vite, vite, le frein d’urgence, pas le temps de calculer. Je tire le levier de l’amortisseur d’inertie à fond et je décroche l’appel de la tour de contrôle :

  • SS Gibson, demande la permission d’amarrage.

Le silence est insoutenable, ça me dure quelques secondes mais j’ai l’impression que des heures ont passé. Je ne sais pas ce qu’ils font de si intéressant dans la tour de contrôle mais moi, je suis déjà dans la zone de manœuvre et il y a suffisamment de vaisseaux spatiaux aux alentours pour qu’on me tamponne sans faire attention.

  • Autorisation accordée, emplacement V-30

Il a pris tout son temps ce gougnafier. Heureusement pour lui, je sais manœuvrer. Après un petit alignement, j’enclenche le système d’amarrage automatique. Et j’ai bien fait, je veux dire, je sors de sommeil, il serait peut-être temps de se mettre une vraie combinaison, le style vestimentaire tank top, bottes et culotte n’est pas réglementaire dans un sas.

J’ai beau lui faire confiance, ce système d’amarrage doit être changé. J’ai à peine eu le temps de mettre une combi que j’entends le vrombissement des moteurs et les crissements des pinces de serrage. Ce programme est barbare, il ne fait que rayer ma coque et qui plus est, je l’ai recalibré personnellement, mais rien à faire, comme d’hab.

Au moment où j’entends le sas se verrouiller, j’ai déjà mis la boîte noire sur mon dos et virer les cellules à énergie qui me posaient problème sur les épaules. En plus de ne pas gérer le gabarit du vaisseau correctement, ce système est lent. j’ai pas de temps à perdre.

Le comité d’accueil est déjà au sas de Stuart Port… Super… Quand la porte s’ouvre, je vois la silhouette des gardes et une bonne tête de vainqueur pour leur chef :

  • Manifest !

Je me tourne pour montrer ma boîte noire sur le dos. Leur “chef” a l’air de regarder mais je ne sens pas de variations de pressions sur mon dos. Il a juste fait semblant de regarder. Il aurait dû au moins faire défiler les écrans de missions et afficher le plan de vol, c’est un vrai débutant. Je me tourne et le regarde :

  • C’est bon ?
  • Circulez

Lorsque j’arrive au panneau de mission, mes bras me font déjà mal avec ces cellules sur les épaules, je les dépose lourdement au sol. Je prends une inspiration mais j’ai pas le temps de rentrer mon ID qu’une voix m’interpelle :

  • Mink !

Et merde, c’est lui. Ce petit.. Ce gars est vraiment une plaie. Un gratte papier, l’archétype du corporatiste perdu dans l’espace. Cheveux tirés en arrière, veste de costume, cravate tirée au col, du gris partout comme l’homme le plus insipide au monde. Je ne l’ai vu que du coin de l'œil, mais c’est sûr, il vient avec de la paperasse. Je me dépêche de taper mes identifiants.

  • Vérification en cours…

La voie de cette IA est aussi lente que sa manière de faire la manœuvre, et… trop tard. Le gratte-papier est déjà là :

  • Déjà de retour à ce que je vois. La mission s’est bien passée ?
  • Qu'est-ce que vous voulez Doug ?
  • Et bien, je profite du fait de vous avoir sous la main pour vous dire que votre approche de tout à l’heure était dangereuse, vous auriez pu avoir une amende
  • J’étais à 6 unités, c’est toujours une distance réglementaire pour la demande d’amarrage, non ?

Je soupire d'agacement :

  • Vous voulez quoi exactement ?
  • Vous avez fini de rembourser Lloyd avec cette mission. Je suppose que vous allez en profiter pour faire un tour ?

Je pose la main sur la parois pour prendre appui. Au moins dans une station spatiale avec la gravité artificielle, je peux prendre la pose.

Je le regarde dans les yeux avec mon air le plus menaçant possible sans me montrer agressive. Il déglutit, la pression, ça marche parfois.

  • Lloyd aimerait vous parler en tête à tête.
  • Je pars à Moki, j’ai un pote à aller voir, je ne dois plus rien à Lloyd, il a plus besoin de moi.
  • Ecoutez… Les affaires de Lloyd ne concernent que lui… Et vous, et vous forcément, il veut juste discuter de la suite.
  • Il n’y a pas de suite, mon job, c’est transporter d’un point A à un point B, je veux rien savoir de ses affaires, capich.
  • Juste quelques minutes, compter ça comme un service.

Le panneau de mission siffle :

  • Mission acceptée
  • Comme tu vois Doug, j’ai déjà une mission en cours.

Je l’attrape par le col pour lui signifier mon mécontentement :

  • Je lui accorde quelques minutes seulement, j’ai des trucs à faire.

C’était ma stratégie pour couper court aux manigances de Lloyd. Un transport jusqu’à Moki, matière synthétique périssable. Probablement un synth qui déconne et rien pour le réparer sur place.

Le temps que Doug parte, j’enclenche les cellules d’énergie à recharger, histoire de pas avoir à attendre encore plus longtemps. Je n’aime pas cette station, il n’y a rien de bon à traîner ici, les hangars, surdimensionnés pour une station de cette taille, accueillent indifféremment cargos clandestins, vaisseaux rafistolés, ou croiseurs appartenant à des corporations dont le logo a été discrètement repeint.

À l’intérieur, les couloirs sentent le métal brûlé et l’ozone. Les néons vacillants projettent des ombres inquiétantes dans lesquelles on distingue des mercenaires en armure légère, des trafiquants surveillant leurs cargaisons, et des courtiers véreux qui proposent tout, de l’armement militaire à la main-d’œuvre vivante.

C’est là que les malfrats de bas étage croisent les représentants discrets de méga-corpo trop respectables pour se salir directement les mains. Les affaires se traitent dans les cantinas enfumées ou dans des salles de réunion privées protégées par brouillage sensoriel. Les urons circulent plus vite que l’air recyclé, et il est rare qu’une poignée de main ne s’accompagne pas de la menace d’un couteau dans le dos.

J’entre dans le bureau de Lloyd, sans frapper, il m’a déjà vu arriver depuis son fauteuil flambant neuf et si aucun garde ne m’a arrêtée jusqu’ici, c’est que ça va :

  • Mink, je t’attendais.
  • Lloyd

Il prend le temps de regarder de haut en bas avant de boire son café :

  • Comment vont les affaires ? Tu t’en vas ?
  • Oui, je taille la route.
  • Où ça ?
  • Ça dépend.

Il plisse les yeux :

  • J’ai pas beaucoup de pilotes et j’en ai encore moins avec ton… talent
  • Pas intéressée
  • Je n’ai pas fini… Certains d’entre nous pensent… Que tu devrais rester parmi nous. Certains sont très influents et d’autres ont des poches bien pleines tu sais. Un contrat indéterminé avec plusieurs zéro pourrait peut être te faire changer d’avis.

Je prend le temps de le regarder, ça lui donnera peut être l’impression que je réfléchis mais ma décision est irrévocable. Mais quand je le vois chercher sur son ordinateur, je garde le silence :

  • J’aimerais que tu apporte ceci à mon contact sur Moki

Je soupire… Évidemment que ça allait tomber, il a pris le temps de regarder ma mission sur le tableau et en a tiré parti. Doug… J’ai vraiment envie de le fumer ce con.

  • Est ce que je dois me méfier ?
  • Non, j’ai besoin que ce bloc de données arrive à mon contact. Il te paiera sur place et toi et moi, on en aura fini.
  • On en a déjà fini
  • Je ne peux pas donner ça à quelqu’un qui ne sait pas comment ça fonctionne chez moi.

J’avance vers son bureau et ramasse le bloc de données. Est-ce que j’avais d’autres choix, il est toujours dans son bureau avec ses 2 gorilles armés jusqu’aux dents. C’est moi qui ait fait l’erreur de venir.

Quand je me retourne, je l’entend finir sa tasse de café. Je mets le bloc de données dans ma poche, pas un seul regard dessus, je ne veux pas savoir.

En passant, j’en profite pour malmener Doug d’un coup d’épaule et l’envoyer s’écraser contre le distributeur de boisson où il faisait semblant de ne pas m’avoir vu. Si je le croise autre part qu’ici, je fais sa tête divorcer du reste de son corps.

Cellules d’énergies pleines, mission de transport, je me barre vers Moki. J’aurai pas dit non à un copilote, mais je vais devoir faire sans. C’est l’heure de la musique country et des pieds sur le tableau de bord en attendant d’arriver.

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