MIAOU

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Ce miaulement m’a stoppé le cœur. Ma première idée était de rebrousser chemin mais Yvain m’a retenue. Je ne comprends pas tout de suite pourquoi la lumière se répandait à nouveau. Nous étions entourés par une fumée noire, inodore, comme un fumigène extrêmement sophistiqué.

J’ai entendu à nouveau le miaulement, le chat avait l’air de se déplacer plus loin, en même temps que la fumée noire. Mes oreilles s’étaient dressées au moment où une respiration rauque se fit entendre. Un blessé ? J’ai eu beau savoir qu’il était trop tard, j’ai tout de même commencé à avancer.

Le brouillard disparaît en relevant clairement la scène. Dans le corridor, qui paraissait vide à notre arrivée, il y avait des gens. Ils étaient allongés, certains projetés contre les gros tuyaux industriels, pendant comme des pantins. Un homme, à peine survivant, lâcha son dernier souffle. En même temps, le second tuyaux qu’il tenait en main embrassa le sol.

Yvain regardait le plancher metallique et pointa du doigt un “ami” commun :

  • Le caporal…

L’homme qu’il désignait au sol était bien le caporal qu’on avait croisé… Deux fois… Il n’y avait aucun doute, ce n’était pas une coïncidence. C’est grâce à Yvain que j’ai compris :

  • Caporal qui ? Il n’a pas d'identifiant, pas de nom, pas de matri…

Yvain tournait lentement la tête vers moi :

  • Gradé, personnel médical surchargé… Personne n’est épargné… C’est un vrai massacre

Une sensation de paranoïa commençait à m’envahir. N’importe qui pouvait être une menace. Ça n'arrangeait effectivement pas la situation mais c’était pire que ça. On ne pouvait pas savoir qui était infecté ou pas. Ce qui signifie qu'il n’y avait que nous deux contre la station spatiale entière. J’étais encore dans mes pensées quand Yvain ouvrit la porte du corridor : On était arrivé à la centrale de sécurité.

J’ai jeté un regard sur le corridor avant de fermer la porte. Il y avait six corps. Pas un seul survivant. Nous allons avoir besoin d’une sacrée puissance de feu.

Le manque d'information nous faisait curellement défaut. Pendant que Yvain essayait d’accéder à des données intéressantes comme lui seul sait le faire, je posais les yeux sur les enregistrements des caméras de surveillance. C'était important de savoir ce qui c’était passé après ma blessure. Revoir la scène m’avait rappelé la douleur, mais ce qui m’intéressait c’est ce qui c’était passé après. J’ai pris une longue inspiration. Aussi douloureux que c’était de se revoir sans défense et se vidant de son sang au sol.

J’avais vu le chat se faire carboniser. La caméra devait zoomer. Une goutte de sueur froide commençait à perler sur mon front. Je voyais les marines tourner les talons après avoir fouillé le tas de cendres. Inutile d’entendre ce qu’ils disaient parce que ça se lisait sur leur lèvres :

  • Cible éliminée, on arrive, gardez votre calme.

Froncer les sourcils et plisser les yeux permettait d'être sûre. Un crâne sortait des cendres, puis une colonne vertébrale, petite mais longue. Les pattes sont apparues ensuite. J’ai vu les cendres se rassembler sur le squelette pour reconstituer le chat. Il se lâcha la fourrure de manière désinvolte avant de repartir. En regardant cette vidéo, j’ai eu la conviction que cette chose était invincible.

De son côté, Yvain avait fini par avoir accès à des informations qui confirment nos dires et nos peurs. Bon nombre de personnes étaient sur la station spatiale. Les enregistrements montraient même des doublons dans les registres. En remontant dans les logs, Yvain se mit à commenter à haute voix :

  • Il y a un assassin dans la station, un médecin a été retrouvé la gorge tranchée peu après l’arrivée des marines. Mais… Ça veut dire que…
  • Les marines ont été alertés pour autre chose…

Nous avions répondu en même temps. Je me précipitai vers lui. Un détail venait de me sauter aux yeux :

  • Attends. Stop.

Yvain s'exécuta. Il approcha la tête de l’écran pour savoir ce qui avait attiré mon attention. J’ai pointé l’écran du doigt pour qu’Yvain puisse lire aussi :

  • Le bloc de données qu’on a m’a forcé à transporter ici… Il y a une requête spéciale, comme un passe-droit…

Et juste en dessous, dans le coin gauche, un sceau numérique : Un cercle noir traversé par deux lames argentées.

Lloyd.

Putain.

J’ai senti mon estomac se tordre. Je n’avais jamais vu ce sceau ailleurs que sur ses contrats pourris. Qu’est-ce qu’il foutait dans les fichiers de sécurité d’une station en quarantaine ?

  • C’est un transfert de priorité avec autorisation externe. Tu le reconnais, pas vrai ? dit Yvain sans lever les yeux.

J’ai grogné, incapable de lâcher l’écran.

  • C’est sa signature. Il a une ligne directe dans la sécurité ?

Yvain resserra la mâchoire, puis claqua des doigts sur les métadonnées.

  • Mink… C’est pas juste un bloc d’informations que tu trimballe. Quelqu’un est prêt à tuer pour ça…

Et là, seulement, j’ai compris. Lloyd croyait marchander avec une force qu’il pouvait contrôler. Mais tout ce qu’il avait fait, c’était ouvrir la boîte de Pandore. Et nous enfermer dedans.

Il fallait qu’on trouve une issue. Les docks, nos vaisseaux, c’était pas loin. J’ai regardé les écrans pour trouver les caméras dédiées. Ni une ni deux, j’arrache l’attention d’Yvain et lui attrape la manche. Sur l’affichage, les docks. Mon vaisseau était amarré, en train de vider la remorque cargo. Dans tout le cargo, Yvain et moi voyons le spectacle. J’ai facilement reconnu le soldat à tête d’enfant que j’avais rencontré, et quelques frères jumeaux. J’avais déjà remarqué qu’il n’avait aucun grade affiché, aucun nom, aucun identifiant. C'était un très mauvais signe. Ce rendre là bas directement, c’était du suicide et le pierre-feuille-ciseau nous a sauvé la vie.

  • C’est quoi ton cargo ?
  • Matière synthétique périssable, ça doit être un droïde détraqué, mais… J’ai eu des lectures bizarres sur mon panneau de bord.
  • Va falloir passer par là pour accéder aux docks.

Évidemment, passer par le couloir de maintenance était plus sûr. Mais tomber sur les forces armées était inenvisageable. Les caméras du secteur étaient verrouillées. Nous n’étions pas en position de les pirater : retour dans les corridors froids et les néons clignotants. Après avoir constaté que le centre de sécurité avait été dépouillé de ses armes, évidement.

La porte du centre de sécurité se referma derrière nous dans un grincement métallique.

Je tenais à peine debout. Chaque pas envoyait une lame de douleur dans ma hanche, et mon sang battait trop fort dans mes tempes. Yvain m’attrapa par le bras, mais je grognai.

  • Je peux marcher.
  • Mouais. On dirait

Le couloir nous avalait. Néons blafards, câbles pendants, condensation qui perlait sur les parois. C'était comme si la station elle-même transpirait, ce couloir n’en finissait pas. Chaque bruit résonnait trop fort : mes pas, ma respiration, le craquement d’un conduit au-dessus de nous.

J’ai cru entendre un chuchotement et j’ai stoppé net. Rien que mon cœur qui cognait.

  • T’accélères ou tu veux qu’on finisse en cendres comme les six autres ? fit Yvain en me tirant doucement.

La douleur me vrilla encore quand j’ai forcé la cadence. Mes oreilles se dressèrent d’instinct : il y avait bien des pas, quelque part, réguliers, étouffés. C'était pas nous.

Un bruit sec se fit entendre devant. Yvain dégaina son arme improvisée. Moi je me plaquais contre le mur. La lumière grésilla. Des ombres se détachèrent.

  • Bougez pas !

Trois silhouettes armées, couvertes de poussière, les yeux hagards. Civils ? Soldats ? Impossible de savoir. Leurs visages n’avaient pas de nom. Pas encore. Ils braquaient leurs armes de fortune vers nous, et d’un seul coup… Un soldat jaillit d’un coin sombre. Il tira une salve de sommation, dans notre direction. Nous étoins forés à poser nos armes :

  • Au sol ! Identifiants !

J’ai peiné à me mettre au sol, j’ai grimacé et un homme l’a remarqué. Il a essayé d’avancer mais le soldat l’a sommé de rester à sa place. Le canon de son arme tremblait, pas assez pour rater sa cible, juste assez pour me faire suer :

  • Mink MIAOUSTERS

Le soldat se mit à avancer vers nous. Yvain ne réussit pas à se retenir de pouffer de rire, je venais de miauler mon nom. Ni une ni deux, le soldat lui envoya un coup de rangers dans la mâchoire :

  • Identifiant !
  • Yvain GHEST
  • Vous y allez un peu fort là… Un homme venait de s’avancer, il avait une blouse blanche. Il s’approcha de moi :
  • Elias RENN, scientifique de passage, vous avez l’air blessée
  • Bien vu, doc

Le scientifique avait les mains moites et les cheveux gras. Nul doute qu’il était sous pression constante depuis un moment. Toujours sur les nerfs, le soldat interpella le scientifique :

  • Attendez, il y a encore un risque
  • C’est bon, vous voyez bien leur état.
  • Q.G ? Q.G. répondez ! J’ai toujours pas de signal radio.

Une voix féminine ajouta :

  • Il n’y a pas de réseau. Il y en aura pas tant qu’on restera dans cet endroit. Je vous ai dit que ça fonctionnait comme une cage de Faraday
  • Alors on avance

Yvain se tenait encore la mâchoire mais réussit à articuler :

  • On vient de là, croyez-moi vous n'avez pas envie de voir ce qui traine dans le secteur.
  • Ce sont mes supérieurs qu’il y a dans ce secteur Monsieur GHEST.
  • Ouais ben ça vous plaire encore moins
  • Je dois désinfecter et analyser son sang; Le scientifique venait de les couper. Je me sentais nulle d’avoir besoin d’assistance. Mais il avait raison. Les identifiants de chacun n’avait pas plus de valeur que leur parole. Si il pouvait déterminer qui était infecté ou non, c’était déjà ça de gagner.
  • Vous allez analyser le sang de tout le monde RENN.

Le caporal pointa Yvain du bout de son canon :

  • Vous allez commencer par celui-là.
  • Ben oui, on a qu’à faire ça… Jouer avec un microscope avec toutes ces choses dans le secteur.

La femme avait l’air aigrie. C'eétait forcément une technicienne de la station. Il n’y avait qu’à regarder son accoutrement. J’ai reconnu une voix qui m’a glacé le sang :

  • Madame KESS, mon chef a raison. Si on doit s’échapper d’ici, on doit s’assurer qu’aucun de nous ne soit infecté et…
  • Caporal RIEVE ?

Il venait de se stopper :

  • Comment connaissez-vous mon nom ?
  • J’ai surtout reconnu votre voix. On vous a croisé 2 fois déjà dans la station.
  • Oh génial… Le caporal RIEVE aussi

La technicienne reçut une gifle. Caporal Rieve, hein ? Alors qui menait la danse ? Peu de chance que ce soit un pantin celui là.

  • Vous avez soudé la porte d’accès technique. Vous êtes aussi suspecte que tout le monde ici. Alors on fait ce que moi je dis ! Compris !

Le scientifique, RENN, et Yvain m'aidaient à marcher dans la salle adjacente. KESS, la technicienne, était encore choquéeet rentra timidement. Elle avait les mains couvertes de cambouis séché. De mon point de vue, le caporal était amoché aussi mais il faisait semblant que tout allait bien. RIEVE tenait son flanc. Il refusait tout de même de ralentir. Et tout ce beau petit monde était dans la salle avec une crise de paranoïa de tous les diables, qu’est-ce qui pouvait mal tourner ?

La salle étouffait. Les néons grésillaient, renvoyant des éclats blafards sur nos visages creusés. RIEVE bandait son flanc, comme si ça pouvait suffire à retenir ses entrailles. RENN tripotait ses fioles avec des gestes trop précis pour cacher sa peur. Yvain se massait encore la mâchoire. Kess n’arrêtait pas de tourner en rond :

  • On perd du temps ! Vos histoires de sang, ça sert à rien ! Faut tracer, ou on va finir en pièces détachées !

Le caporal leva son arme :

  • C’est la procédure ! Tout le monde doit être testé.
  • Procédure de merde, oui !

Elle frappa la table du coude. Le métal entailla sa peau. Et là, je pouvais voir son sang sombre, visqueux. Il coulait en filets épais, brillant comme de l’huile moteur. J’ai senti ma gorge se serrer :

  • C’est quoi, ce bordel… murmurai-je.
  • Fermez-la ! C’est rien, une foutue coupure ! siffla Kess.

Mais Rieve avançait déjà, canon levé :

  • On se calme KESS !
  • T’approche pas, le caporal, ou je t’arrache la gorge !

Ses yeux lançaient des éclairs. Elle avait l’air plus vivante que nous tous, et pourtant ce liquide noir coulait encore. Renn se pencha, la voix tremblante.

  • C’est votre polymère organique. Vous avez besoin d’une révision KESS.

Le silence me glaça. Même Yvain en oublia de respirer. Kess rit. Un rire sec, nerveux.

  • Et alors ? Hein ? Vous croyez quoi ? Sans une femme artificelle, vous auriez pu tenir ici ? Sans nous, vous seriez déjà morts ! Cent fois !

Elle avait raison, en un sens. Mais quelque chose clochait, elle avait l’air si vivante. C'était une synthétiqu, non ? Ses gestes devinrent brusques, désarticulés. Ses pupilles vacillèrent, traversées de parasites, comme si un voile électrique passait dessus. Elle n’avait pas de raison d’être aussi vindicative pour une blessure. Renn recula d’un pas.

  • Non… non, pas ça… Elle est infectée.

Kess claqua des dents, sa voix se dédoubla, grave et sifflante à la fois.

  • Je ne vais pas tenir, déguerpissez !

Une seule et même intonation. Ses mouvements suiviat un script. Je n’avais jamais vu un synthétique pété un câble de cette manière. J’ai cru entendre sa puce comportementale exploser dans sa tête.

  • Merde… souffla Yvain.

Et elle bascula. Son bras frappa la table, la projetant contre le mur en arrachant l’écran incrusté au passage. Les fioles de Renn éclatèrent au sol. Rieve tenta de tirer. Elle lui arracha l’arme comme on arrache un jouet à un gosse.

Je me jetai en avant malgré la douleur qui vrilla ma hanche. Mon poing heurta son flanc et j’ai regretté de ne pas être bâtie comme Yvain. Elle me repoussa d’un revers, et je m’écrasai contre le mur.

Yvain l’attrapa par l’épaule, essaya de la bloquer. Elle le souleva par la gorge d’un seul bras. Ses doigts s’enfonçaient dans sa trachée avec une lenteur mécanique.

  • Lâche-le ! hurlai-je.

Je ramassai un câble traînant, sectionné net. Dans un sursaut, je le plantai contre son dos. Les étincelles illuminèrent la pièce. Kess convulsa, hurla d’une voix saturée, métallique. Ses yeux clignotèrent, son visage se crispa. J’ai entendu des composants claquer à l’intérieur. Il y avait combien de jus pour alimenter la salle ?

Elle lâcha Yvain, tituba, puis s’effondra en spasmes sur le sol. Le liquide noir s’étalait sous elle. Et ça sentait l’ozone et le plastique brûlé.

Un silence…

Le silence nous étouffait. Le corps de Kess fumait encore, étalé dans sa flaque noire. Les néons renvoyaient des reflets gras sur le sol, comme si la station elle-même pleurait son cadavre.

Yvain se laissa tomber contre le mur, main sur la gorge. Sa respiration sonnait comme un asthmatique :

  • La prochaine fois… Tu miauleras pour ton finish, d’accord ?

Son sourire nerveux ne trompait personne. La marque violette qui lui barrait le cou faisait mal à regarder.

Rieve, lui, n’avait pas bougé. Arme toujours braquée, la bouche entrouverte, tremblante. Il savait très bien que ses balles n’auraient rien changé.

Renn s’agenouilla à côté du corps, malgré la chaleur encore vive qui s’en dégageait. Ses doigts hésitaient, mais son regard, lui, fasciné, cherchait son port de données.

  • Quel gâchis… souffla-t-il. Elle était si… aboutie. Presque… plus vivante que nous.

Je n’ai rien dit. Parce qu’il avait raison. Et parce que ça me faisait souffrir d’y penser. Il finit par se relever, les mains poisseuses. Son regard passa de moi à Yvain, puis à Rieve.

  • On doit tester le sang. Tout de suite. Tous.
  • Oh génial, marmonna Yvain. Après avoir failli se faire étrangler, j’ai droit à une prise de sang : Journée parfaite.
  • Je ne plaisante pas; répliqua Renn, sec. Vous avez vu ce qui s’est passé. Elle n’était pas qu’une synthétique, elle était… contaminée. Et si l’un de vous l’est aussi, on doit le savoir avant d’aller plus loin.

Rieve retrouva enfin sa voix.

  • C’est moi qui décide. Procédure ou pas, on bouge pas tant que je n’ai pas validé.

Je l’ai fixé, incapable de retenir un rictus.

  • Ah ben oui, ça a tellement bien marché la première fois...

Son arme trembla un peu plus. Il n’avait pas d’argument.

Yvain cracha un filet de sang au sol.

  • On va pas rester ici à se regarder dans le blanc des yeux, sinon d’autres vont débarquer. Le seul endroit encore viable, c’est les docks.

Je hochai la tête, même si je savais que j’allais douiller.

  • Mon cargo. On peut y accéder par l’arrière, via le module de maintenance. C’est risqué. Mais moins que d’y aller par l’entrée principale.

Renn serra sa trousse contre lui.

  • Alors on y va ? Mais j’aurai vos échantillons. Tous.

Le caporal resserra la sangle de son pansement. Il tenait à s’accrocher à ce qu’il lui restait de protocole, ou retenir ses tripes à l’intérieur, au choix.

  • D’abord, on survit. Ensuite, on verra.
  • Si je n’analyse rien, vous marchez à l’aveugle, caporal.

Je jetai un dernier regard au corps fumant de Kess. Elle avait été trop vivante pour être artificielle, trop fragile pour être une machine. Et pourtant, elle n’était plus rien.

C’était un avertissement.

Le couloir nous avalait. Toujours ces lumières qui grésillaient telles des insectes blessés. Chaque pas résonnait trop fort, chaque souffle semblait annoncer notre position.

Ma hanche pulsait comme un second cœur. C'était une punition. J’aurais voulu cacher la grimace. Yvain jetait des coups d’œil discrets, prêt à me soutenir au moindre faux mouvement. Je détestais ça.

Rieve ouvrait la marche, arme en avant. Son canon tremblait à chaque bruit de tôle. Derrière lui, Renn marmonnait pour lui-même, triturant encore ses fioles comme des chapelets. J’aurais préféré qu’il prie et qu'il ferme sa gueule.

Un bruit sec nous stoppa tous. Une conduite venait de céder au-dessus de nous. Elle déversait un filet de condensation glacée. Rieve hurla :

  • Mouvement !

Il fit feu dans le vide. Le claquement résonna, trop fort, trop long. Mon cœur bondit. Il n’y eut rien qu’un jet d’eau. Rien d’autre.

  • Vous êtes malade ou quoi ? souffla Yvain. Vous voulez rameuter toute la station ?
  • C’est un tir de suppression, lâcha Rieve, mâchoires serrées.
  • Suppression de quoi dans le context ? Ajoutai-je, incapable de me retenir.

On repartit, mais plus tendus encore. Chaque craquement dans le métal, chaque ombre projetée par les néons, devenait suspecte. On était déjà grillés.

Renn finit par murmurer, assez bas pour que seul le groupe l’entende :

  • Si elle a pu se faire passer pour l’une des nôtres, combien d’autres peuvent le faire ?

Je sentis la sueur froide me couler dans le dos. Il ne parlait pas de Kess. Il parlait de nous.

Yvain ricana, un son sec, nerveux. Plus personne ne faisaient gaffe aux bruits maintenant ?

  • Formidable. On avance groupés, et le doc commence à compter les clones.

Je n’osais pas répondre. Parce qu’une partie de moi se demandait la même chose.

Le couloir se fit plus étroit. Les câbles pendaient comme des lianes. Chaque pas résonnait contre les parois métalliques. L’air sentait le fer et l’ozone. Bizarre qu'on ait pas été attaqués.

Rieve leva le poing. Arrêt net. Silence total. On entendait quelque chose, plus loin : un froissement, un souffle, peut-être des pas… Peut-être rien.

Ma hanche hurla quand je me penchai contre la paroi. Mais je tins bon. On déboucha enfin sur une porte de service. Peinture écaillée, panneau de contrôle fendu, odeur de métal brûlé. Rieve vérifia deux fois le verrou avant de donner un signe de tête.

  • C’est là. Module de maintenance.

J’aurais aimé dire que je me sentais soulagée, j'en avais marre. Le sol vibrait légèrement, comme si la station respirait encore malgré tout.

Yvain força le panneau, arrachant les câbles. Il joua avec les contacts à la main. Les verrous crachèrent une gerbe d’étincelles avant de céder.

La porte s’ouvrit sur un espace étroit, sombre, saturé de caisses empilées. L’air y sentait le plastique chauffé et la poussière stagnante.

Mon cargo.

Rieve fit signe de sécuriser les lieux. Yvain poussa les caisses du bout de son arme improvisée. Une pile faillit s’effondrer, laissant rouler au sol un objet improbable.

Une peluche.

Un petit Xarlax, version “bébé” : ventre rond, pattes courtes, yeux démesurés. Le genre de merde vendue dans les duty-free pour apaiser les gosses. Celui-là avait un air ridicule, avec un haut-parleur incrusté dans le ventre.

  • Sérieusement ? fit Yvain en le ramassant. C’est ça, ta précieuse cargaison ?

Je haussai les épaules, le souffle court.

  • Commande spéciale. Les parents paient cher pour que leurs mômes ferment leur clapet.

Il appuya dessus. La peluche émit un petit bip, suivi d’un gazouillis mélodique. Le caporal Rieve sursauta, arma son fusil. Il le serait comme si c’était son dernier os à ronger. Il avait l’air ultra nerveux, ses yeux pleuraient presque de stress. Je tournais la tête lentement quand je vis une personne debout, les yeux révulsés, immobile derrière moi. Je suis tombée à la renverse et j’ai sorti mon blaster ? J'étais prête à tirer à la hanche comme un cow boy.

Je ne bougeais plus. Plus de douleur, le temps s'était arrêté. Je n'entendais plus rien ni personne. Il n’y avait que moi, la silhouette et mon blaster.

Une goutte tomba de mon front. Elle m’arrive dans l'œil droit. J’ai cligné des yeux et mon isolation fût terminée. J’entendais à nouveau les sons autour de moi. Mais ma main tremblait encore. Au milieu des échos, c’est la voix d’Yvain qui m’a sortie de ma torpeur :

  • Mink… C’est bon, il a grillé… Il a grillé, Mink…

La personne avait la mâchoire disloquée, grande ouverte. Ses yeux étaient révulsés et de la fumée qui sortait des oreilles. Dans ses mains, une seule chose : Une peluche.

Renn, lui, fixait la peluche comme s’il étudiait une relique.

  • Fascinant… Ces peluches sont conçues pour calmer les enfants ? Avec quel type d’impulsion ?
  • Aucune idée, répondis-je en fermant les yeux.

Fascinant ? Fascinant, c’était le mot ? Moi je voyais juste un cadavre qui tenait un jouet, en tête à tête avec la mort.

J’ai essayé d’inspirer profondément pour ralentir les battements de mon cœur et me détendre un peu. Le scientifique, lui, nota quelque chose sur son datapad. Bien sûr qu’il notait.

La porte du cargo claqua quand Yvain monta à l’intérieur. Il vérifiait l’état des consoles. Rieve gardait le fusil braqué vers le couloir, crispé. Moi, je n’arrêtais pas de penser à Kess. À son rire nerveux, à ses pupilles parasitées. Vivante et morte à la fois dans mon esprit. Et maintenant cet homme. Véritable statue sans âme, la vie semble lui avoir été arrachée, avec pour seule compagnie, une peluche de bébé xarlax…

Yvain fit claquer les interrupteurs de la console principale. Les écrans clignotèrent, balbutièrent, puis projetèrent un halo bleuté dans l’habitacle. Mon vieux cargo toussa mais il était encore debout. Comme moi.

Je m’installai lourdement contre une caisse, main crispée sur ma hanche. Chaque respiration me brûlait. Renn inspectait déjà les alentours, trop près de la pile de peluches à mon goût.

  • Ces choses… Elles émettent des impulsions acoustiques modulées. J’en mettrais ma main à couper, déclara-t-il, presque enthousiaste.

Yvain ricana.

  • On s’en fous…

Rieve claqua son fusil de la main, sechèment.

  • Assez ! On est coincés ici. Et je ne laisserai pas vos foutues peluches détourner le protocole. On doit sécuriser un accès aux docks.

Je levai les yeux vers lui, la voix râpeuse :

  • Protocole, le retour… Vous comptez encore nous faire tirer sur des tuyaux, caporal ?

Il me fusilla du regard mais ne répondit pas. Son corps tremblait trop pour appuyer sur quoi que ce soit.

Renn, lui, posa une peluche sur la table comme s’il s’agissait d’un échantillon rare.

  • Si cette… créature, ou ce qu’il en restait, tenait ça, ce n’est pas un hasard. On devrait les garder. Tester leur effet.

Yvain leva les yeux au ciel.

  • Ouais, super idée, mais on est pas dans une vidéo sponsorisée. Doc.

Mais il ne jeta pas la peluche. Il la laissa là, entre nous, comme un joker, trop absurde pour être ignoré.

Je me redressai malgré la douleur, mes doigts serrés sur mon blaster.

  • On peut se vanner plus tard. Là, il faut un plan. Les docks sont verrouillés par les synthétiques. L’entrée principale, c’est un piège. Il nous reste le passage par l’axe arrière. Mon cargo peut nous y amener, mais il faudra traverser le hangar de maintenance. Et si c’est infesté, je doute que vos balles suffisent.

Un silence lourd. Seul le bip irrégulier de la console comblait le vide.

  • Alors, trancha Rieve, on fait quoi ? On s'embrasse ?

Renn fixait encore la peluche. Yvain tapotait le manche de son arme improvisée. Et moi, j'avais un rappel cruel qu’on n’avait plus beaucoup de temps avant que mon corps me lâche.

Rieve s’avança, canon toujours serré contre son gilet.

  • On a deux options : passer par les conduits d’entretien ou longer les passerelles au-dessus du hangar. Les deux mènent aux docks, mais les conduits sont trop étroits si on doit évacuer vite.

Yvain siffla entre ses dents.

  • Ouais. Et les passerelles, c’est open bar pour n’importe quel truc qui nous repère. Autant se peindre une cible sur le front.

Je serrai la mâchoire. Je dois me défouler. J’aurais voulu me taire, mais c’était moi la pilote, et c’était MON cargo.

  • Écoutez. On va pas jouer au vote. Le hangar de maintenance, c’est le seul chemin réaliste. S’il est infesté, on improvise. Mais mon cargo peut nous donner une couverture, au moins jusqu’au sas arrière.

Renn leva la tête de son datapad, les lunettes embuées.

  • Emportons des peluches. Je peux mesurer leur portée. Elles affectent vraiment le comportement des synthétiques.

Yvain éclata d’un rire sec.

  • Sérieux, Doc ?
  • S’il y a une chance que ça marche, insista Renn, c’est irresponsable de l’ignorer.

Je le fixai, épuisée.

  • Tu prends ce que tu veux. Tu restes derrière Yvain et moi.

Rieve posa sa main sur son fusil, voix dure.

  • Correction : Vous restez tous derrière moi. C’est moi qui ouvre.

Yvain leva les yeux au ciel, mais ne protesta pas. Il me jeta un coup d’œil, vit ma grimace.

  • Toi, tu fermes la marche avec le Doc. J’te couvre.

Ça m’arrangeait pas de passer pour la blessée du groupe, mais il avait raison. Ma hanche me trahirait au moindre sprint.

Rieve conclut, sec :

  • Formation en losange. Si quelque chose bouge, je tire. Pas de discussion.

Un silence suivit. Même Renn rangeait ses fioles. Yvain ramassa malgré tout deux peluches et les fourra dans son sac, l’air de rien.

  • On sait jamais, dit-il en haussant les épaules.

Je rassemblai mon souffle, serrai mon blaster, et me hissai hors du cargo. Le froid du couloir me saisit immédiatement.

On avait un plan. Bancal, bricolé, mais un plan quand même.

Le genre de plan qui tient jusqu’à la première balle.

Le sas grinça en s’ouvrant, et l’air qui s’échappa du hangar sentait le froid et la rouille. Pas de lumière directe, juste des lampes en hauteur qui clignotaient comme des étoiles malades.

On entrait en silence. Rieve ouvrait la marche, fusil collé à l’épaule. Je boitais en arrière avec Renn à mes côtés, sa trousse serrée contre lui. Yvain couvrait nos angles, arme improvisée levée.

Le hangar ressemblait à un cimetière. Des coques éventrées de drones de maintenance, des pièces de vaisseaux abandonnées, des câbles arrachés pendaient comme des racines. Chaque pas soulevait une poussière fine qui nous collait à la gorge.

  • Charmant, murmura Yvain.

Un bruit métallique résonna plus loin. on aurait dit un outil tombé. On se figea tous. Rieve leva le poing, signe d’arrêt.

Silence complet. Puis un autre son. C’était pas un outil. Des pas. Lents, réguliers, robotiques.

Renn déglutit.

  • P… Personne ne marche avec une cadence aussi… stable. Vous devez me protéger.

Je sentis ma peau se hérisser. J’ai bien cru que le scientifique s’était pissé dessus. Les pas s’étaient arrêtés, comme si “ça” savait qu’on l’écoutait.

Rieve fit signe d’avancer. On reprit, plus lentement, longeant une paroi tapissée de tuyaux. Ma hanche protestait à chaque mouvement. Je mordis ma lèvre jusqu’au sang pour ne rien laisser paraître.

Au détour d’un container, Yvain stoppa net, encore une fois, on ne faisait que ça. Il leva son arme. J’ai suivi son regard. À travers une grille en hauteur, deux silhouettes. Immobiles. Trop immobiles. Des marines, à en juger par leurs uniformes… sauf que leurs regards étaient fixes, et qu’aucun nom n’était brodé sur leurs vestes. Il n’y avait derrière eux qu’une petite lumière incandescente, comme une petite bougie qui s’éteignit lentement.

  • Synthétiques, souffla-t-il.

Ils ne bougeaient pas. Ils nous fixaient. Comme si leur seule fonction était de regarder, d’attendre.

Rieve arma son fusil.

  • On peut passer vite. Ils sont trop hauts pour intervenir.

Mais au moment où il dit ça, les silhouettes se mirent à pencher la tête. Lentement. Exactement au même angle. Comme un miroir déformé. Renn blêmit. Je sentis ma gorge se sécher. Le hangar, avec ses carcasses, ses tuyaux et ses câbles, n’était plus un refuge. C’était une scène. Et nous venions d’entrer devant le public.

Les bottes résonnaient trop fort à mon goût. Ma hanche battait comme une alarme. On entrait dans la lumière.

Une sirène déchira l’air. C’était une vieille alarme de maintenance, on aurait dit un loup qui hurlait à la lune… En boucle. Elle s’était déclenchée par quoi ? Personne n’avait touché aux consoles. Les rideaux sont ouverts. Les acteurs sont sur le plancher.

Les silhouettes en hauteur pivotèrent d’un seul mouvement, leurs yeux s’illuminant d’une pâle lueur bleue. Puis d’autres bruits s’ajoutèrent : cliquetis métalliques, comme des dizaines de pas qui se mettaient en marche à la fois.

  • Contaaaaaact ! hurla Rieve.

Un synthétique jaillit d’un amas de câbles. Certaines parties mécaniques étaient apparentes. La peau arrachée au niveau de la tempe, laissait apparaître un œil rouge fixé sur nous. Je n’ai même pas réfléchi : j’ai tiré direct, mon blaster vibra dans ma paume, l’impact lui décrocha l’épaule mais il continua d’avancer, comme si rien n’avait été touché.

Rieve tira une rafale. La chose tomba. Deux autres se dégageaient déjà des carcasses de drones.

  • Putain, ils sortent de partout ! cria Yvain en projetant une caisse pour ralentir l’un d’eux.

Renn avait reculé contre le mur, serrant sa trousse et… une peluche. Il l’avait déclenchée sans le vouloir. La chose émit un gazouillis ridicule.

Et les synthétiques s’arrêtèrent. Net. Un silence brutal. Tout le hangar retenait son souffle. Leurs têtes se tournèrent en même temps vers le jouet.

  • Oui… chuchota Renn, fasciné. Ça interfère.

L’un des synthétiques se mit à trembler, spasmer, puis tomba à genoux comme si ses circuits implosaient. Yvain saisit une autre peluche, l’activa, et le son aigu se superposa. Deux autres synthétiques vacillèrent. On aurait du en prendre beaucoup plus.

  • J’y crois pas… Ca marche…

Mais déjà, les silhouettes en hauteur descendaient lentement des grilles : De véritables marionnettes tirées par des fils invisibles. Rieve ouvrait la voie, tirant par rafales. Ses balles déchiquetaient les synthétiques. Elles arrachaient des pans entiers de chair synthétique et de métal. Ca ne servait qu’à les ralentir. L’un, sans bras, continuait à marcher. Un autre, crâne fendu, avançait en rampant, la mâchoire claquant dans le vide. Yvain se mit à crier :

  • Ils encaissent comme des chars !

Renn trébucha en arrière, serrant une peluche contre lui. Le jouet se mit à gazouiller. Aussitôt, le synthétique le plus proche vacilla, tituba comme s’il avait perdu ses repères internes. Le scientifique ouvre la bouche de surprise :

  • Oooooh… Oh!

Yvain arracha une deuxième peluche et la lança. Le son se réverbéra dans le hangar. D'autres synthétiques convulsèrent, frappant les murs au hasard. Rieve en profita pour recharger, la mâchoire serrée.

  • On peut pas les arrêter ! On doit juste passer !

On sprintait vers le sas arrière. Mes jambes hurlaient, ma hanche brûlait, et chaque pas résonnait comme un compte à rebours. On atteignit le sas. Yvain força les câbles, le souffle court, les doigts tremblants. Les synthétiques s’approchaient déjà, boitant, rampant, certains à moitié calcinés, mais toujours en marche.

  • Yvain, tu prends racine ?!

Le panneau cliqueta, la porte s’ouvrit enfin. On se précipita dans le sas. Rieve tira encore une rafale, repoussant un dernier assaut comme il pouvait. Un synthétique, bras arrachés, heurta la porte. Sa tête resta coincée dans l’interstice. Ses yeux bleus me fixaient encore, même quand la porte l’écrasait. Encore un silence profond. J’avais le souffle coupé. Le mur froid du sas me soutenait à peine. Je voyais encore ces silhouettes désarticulées, qui refusaient de tomber.

Yvan souffla :

  • Tu veux savoir ce qui me fout le plus la trouille ?

Il leva les yeux vers moi, encore secoué.

  • Ils refusent de mourir.

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