SEQUENCE D'ALLUMAGE

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Le sas se refermait dans un fracas métallique. Il n’y avait aucun bruit à part nos souffles, lourds, irréguliers. L’air sentait le métal chauffé et la sueur froide.

Je m’écroulai contre la paroi, main crispée sur ma hanche. Chaque pas m’avait arraché un cri intérieur. J’avais l’impression que ma jambe entière battait comme un tambour de guerre.

Yvain s’adossa au mur en face, respirant à grands coups, une peluche encore coincée sous le bras. Il eut un sourire en coin, tremblant :

  • Note pour plus tard : un bébé xarlax dans tous les packs de survie.

Personne ne rit. Rieve vérifia son fusil, mains encore couvertes de noir de synthétique. Ses yeux fixaient le sol, comme s’il refusait de nous regarder.

Renn, lui, avait déjà sorti ses fioles. Il carressait une clef de sauvegarde dans l'autre main. Comme si tout ce qu’il venait de vivre n’était qu’une parenthèse avant son vrai travail.

  • Je dois voir vos échantillons. Tout de suite.

Yvain leva les yeux au ciel.

  • Sérieusement, Doc ? Après la horde de mixeurs bipèdes, c’est les piqures ?
  • Ce n’est pas une question, répondit Renn, sec. Vous avez vu Kess. Elle était contaminée. Si l’un de vous l’est aussi, je dois le savoir.

Il sortit déjà une seringue, le regard braqué sur moi. Rieve leva son arme.

  • Oh! Personne ne pique personne sans mon autorisation. On suit la procédure.

Je me redressai malgré la douleur, un rictus amer aux lèvres.

  • Ah oui, vos procédures… Vous pouvez pas changer de disque ?

Son canon trembla légèrement. Ses yeux, injectés de sang, cherchaient une autorité qui n’existait plus.

Renn insista, voix basse mais tranchante.

  • On doit gérer l’infection du groupe. Mais seulement si vous me laissez travailler.

Le silence était suffocant. J’avais l’impression que les murs se resserraient.

Yvain brisa la tension, un sourire forcé aux lèvres.

  • Allez go, pique-moi. Je suis clean. J’ai qu’un humour douteux et deux côtes fêlées.

Il s’avança, tendant son bras. Renn hésita une seconde, puis piqua, injecta dans une fiole. Le liquide rouge sombre coula.

Je suivais la scène en silence, la mâchoire serrée. Mais une autre pensée me broyait l’estomac : et si, quand ce serait mon tour, le sang révélait quelque chose ?

Renn leva la fiole de Yvain à la lumière blafarde. Le liquide écarlate tournait lentement. Il pianota sur son datapad, injecta une goutte dans un petit module portable. Les secondes s’égrenèrent dans un bip monotone.

  • Résultat… négatif. Vous n’êtes pas contaminé.

Yvain leva les bras, triomphant malgré la sueur qui lui collait au front.

  • Voyez ? Parfaitement vivant. Enfin… presque.

Personne ne sourit. Renn rangea la fiole et se tourna vers Rieve.

  • À vous.

Le caporal serra son fusil comme si on venait de lui arracher un morceau de sa chair.

  • Négatif ou positif, ça change quoi ? On avance, point.
  • Ça change tout, répliqua Renn. Si vous êtes contaminé, vous devenez un danger pour nous tous.

Rieve secoua la tête, ricanement amer.

  • J’ai servi sur plus de stations que vous n’en avez vu, Doc. Vous croyez que je vais me laisser juger par une putain de seringue ? En comparant mon sang avec le sang d’un synthétique qui plus est ?!

Il pointa son canon vers Renn.

  • Vous gardez vos aiguilles loin de moi. Elles sont à peine désinfectée.

Je sentis mon estomac se nouer. Une sueur glacée coula dans mon dos. Mon instinct me hurlait que son refus voulait dire une chose : il avait peur du résultat.

Yvain leva les mains, apaisant.

  • Hé, hé… détends-toi, Caporal. Si t’es clean, c’est juste une piqûre. Si t’es pas clean… ben au moins on saura avant que tu nous scalpe dans notre sommeil.

Rieve pivota, le canon passant d’Yvain à Renn, puis à moi. Sa respiration sifflait.

  • Vous n'allez pas m’étiqueter comme l'autre foutue machine. Vous comprenez ?

Renn serra sa trousse plus fort, sa voix claqua.

  • Ce n’est pas une question d'étiquette. C’est une question de survie.

Un silence, lourd, insupportable. Le bip régulier du module résonnait encore, comme un métronome funèbre.

Je me redressai malgré la douleur. Ma voix trembla, mais sortit claire :

  • Prouvez-le, Caporal. Montrez-nous que vous êtes des nôtres.

Ses yeux se plantèrent dans les miens. Un instant, j’ai cru qu’il allait tirer.

Puis il recula d’un pas, arme toujours levée.

  • Pas maintenant. Pas ici.

Il recula jusqu’à la porte intérieure du sas, le canon toujours pointé, comme pour marquer son territoire.

Je respirai enfin, mais ma gorge restait serrée. Un bruit sec fit vibrer la paroi.

Je crus d’abord à une illusion, mais le sol lui-même frémit. Un autre choc, plus fort, fit résonner le sas comme une cloche.

  • Pas le temps de souffler… siffla Rieve, le canon braqué vers la porte.

Un troisième coup retentit, plus grave, métallique. Quelqu’un tentait de défoncer la cloison à coups d’épaule.

Yvain colla son oreille contre la cloison. Un grondement électronique résonna, guttural, nous l’avions tous entendu. Il pâlit et posa une peluche de bébé xarlax devant la porte. L’objet s’anima, diffusant ses impulsions sonores.

Les synthétiques ont arrêté de cogner, j’aurais préféré qu’ils continuent… Ils attendaient devant la porte du sas. Comme des loups guettant la mort du feu de camp, il étaient prêts à bondir sur notre petit groupe. En regardant l’écran de scan, mes jambes ont refusé de me supporter plus longtemps, je me suis écroulée.

On voyait les silhouettes froides des synthétiques et une autre silhouette approchait. Jaune, chaude, avec dans la main une autre signature rouge, puis blanche, brûlante, avec des braises. Yvain désactiva la vision thermique…

Le noir remplit l’écran. Des silhouettes sombres y demeuraient, trop peu éclairées pour savoir ce qu’on voyait, mais une se démarquait. Une silhouette d’homme… Avec une cigarette à la main. Il la porta à la bouche et prit une bouffée. La cigarette illuminait suffisamment pour qu’on ne voyait qu’une petite partie de son visage. La lamuière laissait perler uniquement ses yeux gris, froid, profonds. Il leva son autre main et fit un geste circulait avec. Les synthétiques ont repris leurs activités dans un silence mécanique.

L’homme resta là, à fumer. Impassible, il attendait. Lorsque sa cigarette fût consumée, il la jeta au sol, écrasa la braise du bout du pied. Et tourna les talons, d’un pas tranquille, presque nonchalant. Comme un touriste.. Le silence nous écrasa après son départ. On entendait encore, au loin, les synthétiques reprendre leurs activités et retourner dans leurs planques, réguliers, disciplinés.

Rieve respirait à grands coups, son fusil tremblant dans ses mains.

  • C’était… leur chef ? Aucun homme ne peut contrôler des unités S20 comme ça.

Renn serra son datapad contre lui, ses yeux brillants d’une lueur maladive.

  • En théorie, c’est possible... En protocole expérimental.. Vous imaginez ce qu’on pourrait faire avec un contrôle pareil ? C’est… une avancée inédite.

Yvain cracha du sang par terre, il tapota nerveusement la peluche à ses pieds.

  • J’appelle ça une foutue exécution en attente, pas une avancée.

Mon regard ne se décrochait pas de l’écran éteint. L’image restait imprimée dans ma rétine : la braise rouge, les yeux gris. Comme s’il nous avait regardés droit dans l’âme, à travers le métal.

Rieve s’approcha, ses bottes crissant sur le métal :

  • Quoi que ce soit… il sait qu’on est ici. Et il attend.

Je sentis mon ventre se nouer. Il attendait. C’est sûr. Il aurait pu nous charger et nous tuer. Il voulait quelque chose.

Rieve restait campé devant la porte, fusil tremblant, prêt à tirer sur des ombres. Franchement, je pense qu’il va bientôt tirer sa révérence. Yvain s’était affaissé contre une caisse, un filet de sang au coin des lèvres. Moi, je serrais les dents. Renn s’approcha enfin, sortant une petite boîte de sa trousse.

  • Je peux vous donner un calmant. Ça atténuerait la douleur.

Je le fixai. Longtemps. Un goût amer monta dans ma bouche. Pourquoi maintenant ? Pourquoi pas avant ? Genre, quand il m’a vue tituber, mordre ma lèvre pour ne pas hurler ?

Je compris d’un coup : il avait attendu lui aussi. Attendu d’avoir mon sang, mon échantillon. Comme s’il avait eu besoin de ma souffrance. Comme si j’avais été… un appât, un outil, un paramètre à vérifier avant d’être “sauvée”. J’ai grogné :

  • Vous auriez pu le proposer plus tôt.

Il haussa à peine les épaules, sa voix redevenue sèche, clinique.

  • Un échantillon sous calmant est faussé. Il me fallait un sang pur pour l’analyse. Maintenant, je peux agir.

Je détournai les yeux, la mâchoire serrée. C’était logique, oui. Mais ça sonnait creux, trop rigide. Comme si j’avais servi de cobaye, et qu’il n’y voyait aucun problème. On aurait dit un argument froidement préparé.

Yvain souffla un rire sans joie :

  • Toujours rassurant d’avoir un médecin qui nous voit comme une éprouvette.

Renn l’ignora, déjà en train de préparer l’injection. Je tendis le bras malgré moi. La douleur, au bout d’un moment, devient une trahison intime.

L’aiguille glissa sous ma peau. Le froid de l’injection remonta le long de mon bras, et mes muscles se relâchèrent à contre-cœur. Mais dans ma tête, une seule pensée tournait encore : et s’il m’avait juste gardée faible, prête à servir de bouclier ?

La caresse du calmant envahissait mon corps comme une vague, engourdissant la douleur, libérant ma pensée de douleur. Ma hanche cessa de me sonner les cloches. Mes muscles s’assouplissaient. Pour la première fois depuis des heures, je pouvais respirer sans grimacer.

Mais le soulagement avait un goût amer. Plus la douleur s’éteignait, plus le doute prenait sa place. Renn avait attendu. Attendu de me voir faiblir, plier, de me voir mordre ma lèvre jusqu’au sang, avant d’agir.

Pourquoi ?

Chaque pas devenait plus fluide, plus léger, et pourtant je me sentais plus lourde que jamais. La douleur m’avait clouée au sol, mais elle m’appartenait, j’avais appris. Elle était vraie. Maintenant, il ne restait que ce vide froid, et cette pensée lancinante : est-ce que j’avais servi de cobaye, ou pire… d’appât en cas de retraite ?

Yvain m’observait en coin, un rictus nerveux au bord des lèvres :

  • Tu marches mieux. Ça lui fera plaisir à notre doc, d’avoir une patiente qui ne boîte plus comme une automate rouillée.

J’ai esquissé un sourire forcé. Mais au fond, chaque pas me rappelait la vérité : mon corps s’allégeait, mon esprit, lui, s’enfonçait dans la méfiance.

Le module de maintenance s’ouvrait sur un dédale de caisses empilées. Odeur de plastique chauffé, de poussière stagnante. On n’y voyait pas à trois mètres, juste des silhouettes carrées découpées par les lampes faiblardes.

Rieve ouvrait la marche, canon collé à l’épaule, ses bottes martelant le métal telle une pendule régulière, avec une empreinte de sang à chaque fois. Un tampon administratif sanglant... Yvain suivait de près, son arme improvisée prête à frapper. Moi, j’avais retrouvé un peu de légèreté dans ma démarche, mais pas dans ma tête. Mes enjambées plus fluides me rappelaient que je devais ça à Renn. Et que je ne savais pas s’il m’avait soulagée… ou gardée en réserve.

Les caisses craquaient sous nos mains quand on s’appuyait dessus. Un vrai travail de cochons, aucune n’avaient été attachée par un filet. Certaines vibraient encore des transferts interrompus, d’autres portaient les logos à moitié effacés. Entre elles, éparpillées comme des miettes, des peluches de bébé Xarlax. Leurs yeux en plastique reflétaient les lumières comme des pupilles brillantes.

Yvain ne put s’empêcher de commenter :

  • Sérieux… Si je sors vivant d’ici, je me méfierai des jouets jusqu’à la fin de mes jours.

Je ne répondis pas tout de suite. Mais j’avais la même impression : ils nous fixaient.

  • Pourtant ça te ferait un joli porte-clef ?

Renn, lui, ne détachait pas ses yeux de son datapad, notant des données à chaque impulsion sonore déclenchée par accident. Le moindre bip était un trésor scientifique.

Un bruit sec résonna derrière les caisses. Rieve fit signe d’arrêter net. Le silence devint suffocant, intense. Un autre bruit, métallique cette fois. Comme un pied lourd qui raclait le sol.

Je levai mon blaster, ma main un peu trop tremblante à mon goût. Renn recula d’un pas, serrant sa trousse contre lui.

Les caisses vibrèrent. Une pile entière bascula, s’écroulant dans un fracas de plastique. Des dizaines de peluches roulèrent au sol, leurs bips aléatoires formant une cacophonie grotesque.

Rieve jura, arme levée.

  • Fais chier…

Yvain avait déjà attrapé mon bras pour me tirer derrière lui. Moi, je fixais le vide derrière les caisses écroulées. Mes réflexes étaient embrumés, je devais me réveiller. Un souffle. Court. Rauque. Trop proche.

Et puis, plus rien. Le silence retomba, c’était le calme avant la tempête… Yvain n’a pas trouvé le meilleur moment pour se soulager la conscience :

  • J’ai cédé ma licence à Nordic.
  • Mais… Tu vaux des millions d’urons, Yvain…
  • J’avais pas d’autre moyen de t’obtenir un entretien avec Starlight.
  • Putain, Yvain…

Même Renn avait baissé la tête de compassion. Je ne le voyais pas recommencer sa carrière pour un ami. En avait-il des amis ?

J’ai sursauté.

Le fusil d’assaut de Rive cracha des flammes. J’ai vu une tête voler en éclats. Les yeux pendaient encore sur le cou du synthétique. Le corps vacillait comme un culbuto. Les bras se sont tendus en direction de Renn d’un mouvement sec et précis.

  • Allumez les !

Les coups s’écrasaient de partout. Les synthétiques ne tombaient pas. Même avec des rafales de Rieve, même avec les tuyaux que Yvain maniait en marteaux de fortune. Chaque fois qu’on en couchait un, il se relevait, grinçant, traînant ses membres désarticulés. Rien n’avait d’importance tant que leur mission restait en marche.

J’avais le souffle court, je n’étais pas faite pour courir dans un champ de mines. Je tirai à la hanche, comme un cow-boy ivre. Un souffle engouffra le crâne d’un synthétique, lui arrachant la peau, faisant basculer sa tête en arrière avec un craquement sec.

Alors une peluche roula au sol. Haut-parleur écrasé, elle émit un gazouillis aigu. L’unité devant moi s’arrêta net, tremblante, ses mouvements parasites brouillés par un signal invisible. Yvain s’élança et fracassa le reste de son crâne d’un coup sec. Le corps convulsa mais continuait à bouger, griffant le sol comme une bête sans tête.

Rive vida encore une autre chargeur et perçant le corridor avec des étincelles à chaque balles ratées :

  • Bordel, ils sont increvables !

Renn, lui, avait ce regard malade, fasciné, avec un sourire de savant-fou.

  • Les impulsions sonores !

Probablement envahi par un courage naissant, il mit un coup de pied de fillette à un automate :

  • Elles interfèrent avec leur matrice ! Continuez !

Yvain attrapa une caisse, l’ouvrit d’un coup de poing bien placé. Il balança une pluie de bébés Xarlax dans le cargo. Les bips absurdes résonnèrent comme une comptine dissonante, transformant le hangar en salle de jeu cauchemardesque. Les synthétiques hésitaient, ralentissaient, certains reculaient même, en basculant la tête de droite à gauche frénétiquement.

Puis une secousse fit vibrer tout le plancher. Ma hanche hurla, un éclair me traversa la colonne. Je crus m’effondrer, mais ce n’était pas que moi. C’était le même effet qu’un ascenseur. Les caisses entières glissèrent, les parois gémirent d’un soupir métallique profond.

Un grincement long, douloureux, métallique. Je le sentis dans mes os. Yvain n’avait pas perdu le nord, malgré sa main qui saignait. Il avait les yeux écarquillés de panique :

  • Le verrou magnétique… Il lâche !

Un autre choc, plus fort. Je perdis l’équilibre et mon corps se sentait en apesanteur. La douleur de ma hanche explosa. Je n’avais pas le temps de crier. J’avais les quatre fers en l’air et le sol venait de basculer.

Tout partit en vrille : les caisses, les peluches, les synthétiques, nous. J’étais plaquée contre la paroi, les jouets dévalaient autour de moi en clignotant. Leurs gazouillis se déformaient par l’écho. Le Gibson glissa hors de ses rails, arrachant les conduits. Il s’écrasa dans le sol du hangar avec un vacarme de tonnerre.

Je crus que mes os s’étaient brisés sous l’impact. Ma hanche, surtout, vibrait encore comme si elle allait se fendre en deux. Mon blaster laissa partir un coup qui balaya les chevilles de Renn en équilibre sur une caisse. Yvain me hissa par le bras, ses yeux fous.

  • On dégage, Mink ! Maintenant !

J’ai l’impression d’avoir pris une grenade à concussion dans le buffet. Un bip long, résonnait dans ma tête. Rieve hurlait des ordres. Personne n’écoutait. Personne n'enetendait même. On avait tous des acouphènes. Renn serrait toujours sa foutue trousse contre lui, même en trébuchant dans les peluches. On courut. Pas de choix. Le corridor s’effondrait, la station hurlait.

Et quand on déboucha enfin dans la lumière crue du dock, il était là.

L’homme. La cigarette. Debout, immobile. Il avait attendu tout ce temps, une main dans la poche. La braise rouge dessina son profil dans l’ombre. Il tira une bouffée. Et sourit.

L’homme tira une seconde bouffée. La braise éclaira ses yeux gris. Et il parla.

Il n’y avait pas de mots. Pas une langue. Une déchirure sonore, vibrante, comme un orchestre d’insectes noyés dans de la friture. Mon tympan se contracta, mon estomac se retourna. A quoi avait-on affaire là ? C'était un language ou du vomi ?

Rieve recula d’un pas, mais son fusil tremblait moins.

  • Viens par ici, pourriture !

Alors, les silhouettes bougèrent. Les synthétiques. En courant. Le sol vibra sous leurs pas.

Je crus que c’était fini, j’ai pensé à Yvain. Son sacrifice, ces heures de boulot inutiliement vendues. Je lui ai jeté un regard désolé. Par dessus l’épaule de mon ami, une ombre jaillit, fluide, élégante. Un miaulement guttural fendit le chaos. Le chat.

Il fit un détour rapide et se mit à courir vers la droite. L’homme à la cigarette stoppa net, son rictus s’éteignit. Il leva la main sèchement, en donnant un ordre muet. La vague entière de synthétiques dévia… vers l’animal.

Le chat n’esquiva pas. Il bondit dans la mêlée comme une lame folle. Les unités se tordaient dans tous les sens, l’animal leur échappait telle une anguille. C’était une ruée sauvage sans coordination.

Yvain hurla en frappant sur la carlingue pour nous arracher de notre torpeur.

  • Allez, bougez !

Mais Rieve, lui, resta droit, saignant du bide. Son regard vissé sur l’homme, les dents serrés.

  • C’est entre toi et moi. Fumier !

Il épaula, lâcha une rafale entière. Je l’ai imaginé rager pour venger ses camarades. Les balles ricochèrent sur la silhouette, arrachant des pans de son costume. Un genre d'exosquelette se dessinait. Et malgré ça, il avançait, il était à peine ralenti. L’homme à la cigarette se recroquevilla. J’avais l’impression qu’il se protégeait.

Rive hurla de colère en avançant sans relâcher la gâchette. Il voulu le faire plier. Le réduire en cendre.

Jusqu’à ce qu’il fut arraché du sol par un gigantesque coup de poing, projeté contre la carcasse du Gibson. Une gerbe de sang a peind le sol jusqu’à moi Le métal fragilisé céda. Une plaque entière se détacha dans un grincement de tôle.

Yvain m’a dégagée en même temps que la détonation du corps contre le métal. Ma hanche souffrait autant que moi. J’ai hurlé :

  • RIEVE !

Trop tard. Déjà, son corps inanimé pendait sur le toit du Gibson. Et son arme finit par toucher le sol comme pour nous signifier qu’on devrait s’occuper de nos affaires.

Nous, on courait. Entre les caisses renversées, entre les peluches hurlantes, jusqu’au vaisseau de Yvain. Les synthétiques étaient tournés en bourrique par le chat. Le sas du Memento se refermait lentement, trop lentement.

Le vaisseau d’Yvain se réveillait doucement. On dirait lui après une soirée de beuverie.

Et l’autre là…

L’homme à la cigarette avançait dans notre direction maintenant. À travers ses propres soldats. Son regard fixé sur nous. Il grognait.

Renn se mit à ramper sur le cul pour aller le plus loin possible dans le vaisseau. Bizarrement, ses fioles avaient l’air moins importantes que sa vie à l’instant présent. Yvain, avec toute la force qui le caractérise, activait la fermeture manuelle en suant pour accélérer la fermeture de la porte.

J’étais paralysée, mon esprit, mon blaster, brisés en deux morceaux. La fermeture semblait durer des heures, malgré les efforts de Yvain. Dans les quelques centimètres qui restaient, les mains de l'homme à la cigarette apparurent. Lentement, les portes se mirent à hurler.

A mains nues, il forçait le sas. Les moteurs et les muscles de Yvain ne bougeaient plus. Notre adversaire était colossal. Je voyais ses yeux gris apparaître entre les portes. Les portes ployaient comme une boîte de conserve. Yvain serrait la mâchoire. Ses canines inférieures se mirent à saigner sous la pression :

  • Il va arracher la porte, ce con !

D’un rapide coup d'œil, j’ai cru voir, une fraction de seconde, un bras retomber sur la console du Gibson.

Puis je l’entendis, un souffle. Une mélodie, le sifflement d’une rotation à pleine balle. Lointaine, faible. C’était le chant des mitrailleuses.

Les MK4 se mirent à rager. Le flash illuminait la scène. Stroboscopique... Les canons chauffèrent, rougirent. Les synthétiques dans la trajectoire furent fauchés, coupés en deux. C’était un feu d’artifice. Des morceaux dans tous les sens.

Une rafale toucha le dos de l’homme à la cigarette. Il se secoua sous la pression. J’ai fixé la silhouette.

Et au milieu de ce carnage, un cri.

  • Nordic n'en a pas fini avec toi !

La voix de RIEVE résonnait, avant d’être happée par le feu et le métal. La tourelle du Gibson avait implosé avec la pression. Si je survi, je renforce le support des MK4.

Le sas vibra de nouveau sous la poigne de l’homme à la cigarette. Il résistait. Même brûlé, même à moitié criblé. Jusqu’à ce que… le chat passe entre ses jambes. Une caresse fugace. Et alors… l’impossible : la chair et la fumée de l’homme se mirent à fondre, littéralement, dégoulinant sur le sol. Ses doigts lâchèrent la porte.

Nous étions figés. Tremblants. Et le chat… s’assit dans un coin. Tranquille. Il leva une patte, se lécha les coussinets. Comme si rien n’avait d’importance.

Yvain appuya sur un bouton d'urgence du poing. Il hurla :

  • DÉCOLLAGE !

Les réacteurs arrière du vaisseau rugissant incendiaient le dock. Les synthétiques restants furent balayés, carbonisés, projetés en arrière.

On avait percuté une partie des portes. La station s’éloignait déjà derrière la verrière du cockpit. Et moi, je restais là, avec un bébé xarlax dans les bras, le souffle court, à fixer le chat lové dans un coin de la soute.

Pas un ennemi. Pas un allié.

Quelque chose d’autre.

Et surtout… quelque chose qui n’avait pas fini de nous suivre.

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