Avant Josefina

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Avant Josefina

Avant Josefina, il y a eu Lucia. Avant Lucia, Carmen, avant Carmen, Rosa, avant Rosa, Dolores, avant Dolores, Sofia. Avant Sofia je ne sais plus. Et puis Xiao, juste le temps d'un été flou.

Il ne serait pas juste de laisser à penser que mes parents n'ont pas essayé. Ils ont essayé. Un an. De ma naissance à mes un an, soit un tiers de ma toute petite enfance. Un an c'est peu, et à la fois ça compte beaucoup à cet âge-là je crois. En tout cas moi j'ai décidé que ça comptait, qu'ils aient essayé. Est-ce que c'était plus facile au début, est-ce qu'ils ont imaginé un temps, un espace possible pour moi, plus conséquent que celui qu'ils ont fini par me donner, est-ce qu'ils se sont surestimés, et savaient-ils déjà ? Peut-être ne savaient-ils pas, même si j'en doute. Combien l'un était nécessaire à l'autre, et combien toute interférence entre l'un et l'autre pouvait être douloureuse, difficilement tolérable, jusqu'à bouleverser leur équilibre parfait. Mais ils ont quand même essayé.

Je n'ai jamais fait de caprices. Jamais tenté de les retenir, contenir, attendrir. Jamais posé de question. Jamais. C'est fou. J'ai énormément d'admiration pour la petite fille que j'ai été, cette petite fille sans cris, sans larmes et sans questions. Peut-être que cette petite fille savait que ce serait vain. On dit souvent que les silences sont lâches, à l'image de ceux de cette petite fille, je trouve moi, qu'ils recèlent parfois d'une certaine force, du renoncement. Quoiqu'il en soit parfois mes parents étaient là, parfois ailleurs, très loin, très longtemps, mais ils revenaient, toujours. Les bras chargés, masque, tapis, poupées, évantail, collier, mue d'un serpent et j'en passe. Cela signifiait quelque chose. Au minimum, qu'ils avaient eu une pensée pour moi à un moment de leur voyage. J'avais toujours droit a un objet spécial, et ça ne ressemblait pas à une compensation, à un truc pour faire passer la pillule de l'absence ou s'en excuser. C'était une vraie belle attention à chaque fois. Ma mère devenait soudain très concentrée, elle se rapprochait un peu, puis plus près et encore jusque là, tout contre mon épaule, parfum de jasmin, ses yeux rivés aux miens, ses yeux fixés à ma bouche, au sourire attendu, ou pas, en tout cas à guetter très précisément mes réactions. Mon père, lui, m'expliquait longuement d'où venait l'objet, comment il avait été fabriqué, déniché, façonné, extrait, par qui, ce qu'il symbolisait, pourquoi ils l'avaient choisi et tenaient à me l'offrir. Le reste du temps, ils allaient et venaient, qu'ils soient en voyage ou non d'ailleurs.

Ma maman sud-américaine du moment et moi, on entendait de notre étage leur vie d'amoureux, qui elle, se jouait en bas, au rez-de-chaussée. Les après-midi mélancoliques de piano, les soirées festives, les dimanches endormis que nous traversions sur la pointe des pieds. Parfois j'étais invitée à faire quelques apparitions, me tenir à un dîner, bien droite, la serviette sur les genoux, les mains de chaque côté de l'assiette, taiseuse et belle comme une poupée à collerette. Et c'était vachement plus amusant d'imaginer tout ça d'en haut que d'y assister et de se coller des robes à la Mercredi Adams qui gratte, vous enserre le cou et vous empêche de respirer. Au-delà de quelques rares exception, j'étais là sans y être, sans être moi-même. Je ne sais d'ailleurs pas vraiment pourquoi on me faisait venir. Peut-être était-ce juste pour attester de mon existence autre qu'en présence sur la commode à photographies, peut-être pour de meilleures raisons que je n'ai pas pris la peine de creuser et dont, si elles existent, je n'ai pas la moindre idée à vrai dire, même si parfois j'avais comme l'illusion d'un élan de tendresse de l'un ou l'autre de mes parents. Quoiqu'il en soit je finissais toujours par être renvoyée à l'étage.

Rosa chantait tout le temps, dans sa langue natale à laquelle je ne comprenais rien alors et guère plus maintenant. Rosa chantait très juste et très incarné, incarné au point qu'elle finissait toujours en larmes au bout de ses propres chansons. À Rosa, curieusement, je posais tout un tas de questions, et surtout une récurrente, à savoir pourquoi elle pleurait tout le temps ? Rosa éludait, partait sur la genèse de la chanson du jour, traduisait, et c'était invariablement de dramatiques histoires d'amours contrariés et qui finissaient toujours super mal. Dramatiques pour les femmes surtout, qui pleuraient des vies durant cet amour envolé, trompé, éclaté, brisé, si elles ne finissaient pas par se pendre ou se jeter du haut d'une falaise. Elle me rendait folle Rosa et même colère, à toujours chanter le malheur des femmes comme ça. C'est peut-être pour ça que le jour où elle est partie, sans prévenir, j'étais plutôt soulagée, même si mes parents ont mis deux jours à s'en rendre compte et que je me suis nourrie exclusivement de Kiri et de Choco Pops.

Carmen était rieuse et créative, elle me tressait des bracelets avec des fils de mille couleurs, et même parfois mes cheveux. Elle dessinait des heures avec moi, portait d'improbables tee-shirts colorés, ultra-flashy, trop petits pour elle, sur des leggins bariolés et quand elle riait, souvent, ses seins s'agitaient dans tous les sens. J'avais six ou sept ans, et mon vœux le plus cher était d'avoir un jour des seins aussi gros que ceux de Carmen que je trouvais vraiment incroyables et pareils à aucuns autres. D'ailleurs je n'étais pas la seule à les remarquer, les hommes aussi aimaient beaucoup les seins de Carmen, au moins un en tout cas, qui a finit par nous l'emmener, toute rieuse.

Lucia allait deux fois par semaine à l'église et je n'y échappais malheureusement pas, je priais comme je faisais des voeux, mais ça ne marchait pas mieux. En vrai, je n'aurais jamais la même poitrine que Carmen, c'est clair maintenant. Lucia voulait aussi toujours m'emmener prendre l'air quelque part, qu'il pleuve, qu'il vente, qu'il y ait des avis de tempêtes, de canicule ou de je ne sais quoi, comme pour l'église pas moyen d'y couper. S’aérer et prier. Prier et s’aérer. Entre les deux des soupes de vermicelles à la tomate, des tables de multiplication, à réciter à l’endroit et à l’envers, sans se tromper, un peu de gymnastique et surtout beaucoup de silence. Le dimanche après-midi, Lucia passait trois heures au téléphone avec sa sœur et ce n'était plus la même Lucia. C’était des bavardages, des rires, des anecdotes à n’en plus finir et sans ces trois heures dominicale jamais je n'aurais pensé que cette femme, aussi, savait sourire, rire, s'extasier. Qu'elle se tenait bien là, parmis les vivants. Puis la soeur de Lucia est tombée gravement malade, et c'est pour ça qu'elle est repartie. Je jure que je n'ai fait aucun voeux ni aucune prière pour cela.

Josefina n'est pas arrivée juste après Lucia, mais juste après ma première et unique rébellion. À mes onze ans, mes parents, subitement, ont eu une illumination, ils se sont dit, et si on l'envoyait au pensionnat ? Moi, j'ai juste dit non. Tellement je ne disais jamais rien, ils n'avaient pas l'habitude de m'écouter, de guetter un quelconque consentement. Ils n’attendaient pas vraiment de réponse, la chose une fois formulée était comme actée. Je crois qu'ils n'ont même pas entendu. Alors j'ai pénétré dans le sacro saint sanctuaire, le rez-de-chaussée, puis j'ai avalé les Xanax de maman avec le whisky de papa.

Je n'ai jamais eu l'intention de me suicider, encore moins de mourir, surtout pas à onze ans alors que je n’avais encore même pas embrasser de garçon. Non moi je voulais vivre, mais plus fort et plus grand, et sûrement pas dans un pensionnat à pétaouchnoque. La preuve c’est que je n'ai même pas attendu leur retour pour me faire vomir sur le tapis tressé du salon, celui là même qui se trouve devant la commode à photographies. Ils sont rentrés, j'étais vautrée là dans mon vomi, ma mère a ouvert la fenêtre, mon père a fait la grimace, triste un peu quand même, ils se sont regardés, m'ont regardée, et tout cela était très pénible pour chacun de nous trois. Vraiment. Long et pénible, sans parler de l'odeur.

À la place du pensionnat est arrivée Josefina, ma nouvelle maman sud-américaine, et en bonus Madame Bau, la psy, chez qui je continue d'aller tous les mercredis.

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