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Ellohira fut réveillée par la voix de Fayr. Elle se trouvait toujours sur son dos. Le fenris n'avançait plus. Ils se trouvaient entre les racines de l'arbre de vie, au bord d'un petit étang, niché dans un creux.
— Il est toujours brûlant ? s’inquiéta le fauve.
Ellohira vérifia l’information avant de répondre par l'affirmative.
— Je ne peux plus vraiment avancer avec vous deux endormi, vous risqueriez de tomber. Et j'ai pensé qu'un bain frais lui ferait du bien.
Ellohira se sentait un peu mieux. Elle se laissa glisser au sol et déchargea Fayr du corps inerte de Gabriel.
— Il pèse une tonne ! s'exclama-t-elle, étonnée par sa propre faiblesse.
Elle lui ôta son manteau et ses bottes puis l'amena au bord de l'étang. Elle lui fit un oreiller avec le vêtement et le plaça à moitié dans l'eau. Puis elle prit un morceau de tissu qu'elle imbiba d'eau fraîche et l'appliqua sur le front du garçon.
— C'est désespérant, dit-elle après plus d'une heure, il ne remue pas un cil.
— Soit patiente, recommanda le fauve, plein d’une sagesse tranquille.
Mais Ellohira se montrait tout sauf patiente. Elle faisait les cents pas autour de Gabriel et ne cessait de lui jeter des regards inquiets, de vérifier s'il respirait toujours, si sa température baissait.
— Tu devrais manger quelque chose, Ellohira.
Pour toute réponse, Fayr eut le droit à un regard courroucé.
— Je sais bien, c'est ton dernier souci en ce moment, soupira le fenris, mais il ne va pas se réveiller plus vite si tu te laisses mourir de faim et de soif. Après ce que...
— Très bien, très bien ! dit-elle soudain, cédant de mauvaise grâce.
Elle s'installa à côté de Gabriel, but une gorgée de liqueur d'or à sa gourde et avala quelques fruits secs.
— Excuse-moi, Fayr, bredouilla-t-elle après un long silence.
— Il n'y a rien à excuser. Je suis inquiet moi aussi.
Ellohira se retourna vers le fenris et lui adressa un sourire. Lorsqu'elle tourna à nouveau son regard vers Garbiel, elle le vit assis au bord de l'eau, se grattant la tête d'une main, se frottant le ventre de l'autre.
— J'ai la dalle... grommela-t-il.
Ellohira se jeta à son cou et l'embrassa. Elle s'aperçut bien trop tard de ce qu'elle venait de faire, Gabriel lui rendait déjà son baiser.
Ellohira recula vivement.
— Tu m'as fait une de ces peurs ! dit-elle beaucoup trop fort, d'une voix suraiguë.
— C'est ce que je vois, oui, répondit Gabriel en souriant.
Ils se regardèrent une seconde, se virent rougir l'un l'autre et détournèrent le regard.
— Merci. Pour ce que tu as fait, lâcha Ellohira après une minute d'un silence gêné, le regard obstinément fixé sur la surface de l'eau. Et aussi… Tu t’es bien battu.
Gabriel semblait perdu dans ses pensées.
— À vrai dire, je ne sais pas ce que j'ai fait exactement. Mais tu as l'air d'aller bien, c’est le principal. Il ne fait pas un peu chaud ici ?
Il regardait ses jambes flotter dans l'eau avec l'impression de se trouver très loin de son propre corps.
— Tu te sens bien ? Tu as l' air étrange.
Gabriel continuait de regarder ses jambes, l’air ahuri. L'eau frémissait tout autour.
— Eh ben ça c'est de la fièvre, remarqua-t-il d'un air absent.
— Gabriel ! Arrête tout de suite, tu vas encore t'évanouir ! paniqua Ellohira.
— J'aimerais bien ! protesta t-il. Mais j'ai pas l'impression de faire quoi que ce soit !
Il passa une bonne demi-heure à se concentrer afin d'endiguer cette fuite incontrôlée du Flux. Lorsqu'il y parvint enfin, il poussa un long soupir, sortit de l'eau et attaqua sérieusement les réserves de provisions.
— Si tu pouvais éviter d'en parler aux autres, bredouilla Ellohira après un moment de silence.
— De l'incident avec les dragons ou de notre baiser ?
Ellohira eut l'air terriblement gênée.
— Ne t'inquiète pas, assura Gabriel, je n'en parlerai pas, si tu n'y tiens pas. Ni du fait que je t'ai soignée alors que tu étais presque nue.
— N’en rajoute pas ! l’admonesta-t-elle. Mais merci. J'ai peur que les autres ne nous séparent si jamais ils savaient que… Enfin...
— Ça, ça m'étonnerait, s’amusa Gabriel en mâchonnant un morceau de viande séchée. Nihyr arrête pas de faire des allusions sur nous depuis un moment. J'ai l'impression qu'ils étaient tous au courant bien avant nous.
L'expression de Gabriel parvint à arracher un rire à Ellohira qui déposa un baiser sur sa joue.
— En route, nous devons retourner à Arbòl, ordonna-t-elle.
Ils reprirent la route à pied, toujours accompagné de Fayr qui les suivit jusqu'au pied de l'arbre de vie, puis il les quitta, retournant veiller sur Iral, le temps qu’elle se remette de ses blessures.
— La première chose que je veux en arrivant en ville, c'est un bain. Et un bon lit aussi ! dit Ellohira en se massant le dos.
— On partage ? demanda Gabriel avec un sourire malicieux.
Il reçut un sérieux coup de poing sur l'épaule.
— Je plaisante ! assura t-il. Il va falloir retourner voir Jalrem je suppose.
L'uniforme d'Ellohira, en piteux état, semblait nécessiter en effet un intervention du vieil artisan bougon.
— Pas la peine, je vais le recoudre rapidement, le savoir-faire du vieux dingue fera le reste.
— Tu veux dire que ces fringues se réparent toutes seules en plus de ne jamais se salir, d'être ignifuge et… Tout le reste ?
— Tout à fait. Enfin là, il leur faudra quand même un coup de main, ajouta-t-elle en passant son bras au travers de la déchirure. Les broderies ne sont pas là que pour faire joli : elles contiennent des sceaux, des enchantements, qui puisent dans notre pouvoir pour entretenir l’habit.
Ils parvinrent à Arbòl alors que le jour touchait à sa fin. Il se rendirent dans le relais de la ville, sorte d'auberge où l'on s’occupait autant des montures de tout poil ou écailles que des voyageurs. Ellohira demanda qu'on leur prépare chacun leur chambre, un bain et un repas des plus copieux. L'état d'épuisement dans lequel apparaissait les sifis, en plus de l'état désastreux de leurs affaires, poussa l'aubergiste, un vieux bonhomme courbé par les ans complètement chauve mais arborant une longue barbe en broussaille, à leur poser des questions. Ils lui répondirent simplement qu'ils venaient d'affronter un groupe de dragons, près de l'embouchure du Morion, qu'ils avaient frôlé la mort et qu'ils souhaitaient à présent se refaire une santé. L'aubergiste leur tendit aussitôt les clefs de leurs chambres et fila donner des ordres afin qu'on leur prépare un bon bain chaud et un repas de roi.
Ils restèrent trois jours entiers au relais avant de se sentir à nouveau en pleine forme. Ils s'en retournèrent alors dans l'arbre, regagnèrent l'endroit où ils s'étaient entraînés quelques jours plus tôt et reprirent les exercices.
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