Ellohira et Gabriel restèrent une semaine entière dans l'arbre de vie à s'entraîner. Ils recevaient régulièrement des nouvelles de tout le pays et des autres membres de l'Ordre par le biais du poste de la Vigie, installé tout près. Le dernier message qu'ils reçurent fut une missive du palais, les informant en même temps que le gouvernement était de retour à Azulimar et que les membres de l'Ordre se réunissaient dans leur Sanctuaire. Ils quittèrent donc l'arbre de vie, et se dirigèrent droit vers le sud. Ils traversèrent une forêt pendant toute une journée, firent halte à Rénartio, une ville presque entièrement peuplée de rénarts, puis continuèrent leur chemin, franchissant des collines dévastées et des plaines désertiques. Finalement ils prirent plus à l'ouest et arrivèrent en vue du mont Eratar après une nouvelle chevauchée à dos de fenris, une femelle du nom d’Ikal et son frère, Saihir. Ils n'atteignirent le Sanctuaire que le lendemain soir, juste une semaine et quelques heures après leur départ. Ils retrouvèrent sur place Urfis, Marli, Eréline et Thomas. Ce dernier semblait avoir encore grandi et avait désormais à peu près la même carrure que son frère.

— On ne s'est pas quitté depuis si longtemps que ça pourtant ! s'exclama Gabriel en le voyant. Encore trois mois à ce rythme là et tu seras plus grand que moi !

Après les salutations et quelques échanges léger, ils entamèrent une réunion dans une ambiance plus détendue qu'à l'ordinaire, dans la petite salle, autour d'un bon feu et d'un petit festin.

— Il va y avoir pas mal d'opérations militaires dans les jours qui viennent, annonça Urfis. Des dragons se sont réfugiés dans le désert à l'est, près de la Source. D'autres sont retournés à Terdrasill. Apparemment, leur nid de l'Erkat est presque désert.

— Mais, il n'y a pas eu des catastrophes en série après la bataille ? Que fait-on de l'équilibre dans les courants ? s’enquit Gabriel, curieux de ces choses qui lui paraissaient encore si exotiques.

— Il y a eu beaucoup d'effets indésirables après le carnage d'Azulimar, confirma Marli. Tant de dragons abattus d'un seul coup, il fallait s'y attendre, Gabriel. Mais le conseil, et le régent également, estiment que les effets observés ne sont pas aussi grave que nous le redoutions. Ils ont en partie raison. À part les tempêtes électriques, les orages plus violents et la végétation qui a presque disparu à des kilomètres à la ronde, nous n'avons rien observé.

— C'est déjà pas mal, non ? s’étonna le garçon.

Urfis s'enfonça un peu plus dans son fauteuil en soupirant.

— Marli est ironique, mon gars. D'autant qu'il y a d'autres choses qui se sont produites. Les mages, magiciens, sorciers et tous les autres ont ressenti des fluctuations. Leurs pouvoirs sont inégaux ces derniers temps. Parfois ils deviennent plus puissants pendant un moment, puis ils deviennent amagues pendant plusieurs jours.

— Amagues ? Ça veux dire quoi ? demanda Thomas.

— Ça veut dire qu'ils ne peuvent plus utiliser leurs pouvoirs, ils perdent leur connexion avec les courants, expliqua Ellohira. Vous en avez fait part à Galdrill et au conseil, je suppose ? Qu'ont-ils répondu ?

— Qu'ils sont conscients de tout ça, mais qu'ils ne désirent plus prendre le risque de voir s'éteindre Ernùn. Leur position, c’est profiter de cette opportunité historique pour nous débarrasser complètement du Clan, quel qu’en soit le prix. Le pays a subi suffisamment de dégâts ces derniers mois. Nous avons une dette énorme envers Torgar.

— Torgar à une dette énorme envers Ernùn, tu veux dire ! C'est de ce côté-ci du mur que le Clan tue, que je sache, répliqua Marli.

— Ne t'en prends pas à moi ! se défendit Urfis. Tu étais là pour les entendre. Nous ne les convaincrons pas. Pas cette fois. Et on ne peut objectivement pas leur donner tort !

Il y eut un long silence.

— As-tu ressenti... Des fluctuations Ellohira ? demanda Urfis, pour changer de sujet.

— De petites, oui. Pas plus que d'habitude cependant. Pourquoi ça, Ma… Urfis ?

— Et toi, Gabriel ?

Gabriel réfléchit un moment.

— Je ne sais pas trop. J'ai parfois l'impression que l'énergie afflue plus vite, ou plus lentement, au contraire. Je ne saurais pas dire si cela vient de moi ou du Flux. Je ne me suis jamais retrouvé à court, en tout cas.

— Ni limité ? Par le Flux lui-même, j’entend, comme s’il était trop faible ?

— Jamais. Pourquoi ?

— Nous pensions que l'extinction totale de la race des dragons pourrait faire disparaître le Flux. Nous n'en avons jamais été sûrs et les récents événements poussent à penser que ce n'est pas le cas. Mais nous devons rester prudents. Nihyr, par exemple, pense plutôt que ce sont les dragons qui mourraient si le Flux tarissait. Ce serait une catastrophe. Ce sont les seuls représentants de leur genre.

— Il reste peut-être des dragons ailleurs ? Dans le désert ou plus loin, suggéra Gabriel. Nous avons vu des terres au sud du désert de l'ouest, sur cette fameuse carte. Et qui sait ce qui se trouve au delà des frontières noires ?

— Possible. Pour le moment, profitons de ce repos pour reprendre un peu de force. Nous partons pour Azulimar dès demain. Nous participerons aux opérations militaires. Si les dragons ne doivent pas disparaître, ce n'est pas le cas des har-lin. Il en reste plusieurs milliers à travers le pays. Notre travail est loin d'être terminé. Une fois que nous serons là-bas, gardez profil bas au sujet de l'opinion de l'Ordre. La quasi-totalité du peuple soutient le conseil sur ce coup. Nous sommes toujours très populaires, et il faut que ça continue.

— Entendu, répondirent les autres d'une même voix.

Ils continuèrent de discuter tout en grignotant et buvant jusque tard dans la nuit. Lorsque Thomas s’endormit sur place, assis par terre près du feu, la tête contre le fauteuil d’Eréline qui dodelinait aussi, les adultes décrétèrent qu’il était temps d’aller se coucher.