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Gabriel se retrouva seul dans les rues de la ville qu'il traversa en courant de toute la vitesse dont il était capable. Lorsqu’il franchit les portes, les gardes ne le virent même pas passer, mais se demandèrent ce que pouvait bien présager cette bourrasque soudaine.

"Sors de la ville en ne te cachant pas. Vas loin, puis arrange-toi pour semer les dragons. Trompes-les, fais leur croire que tu es mort, peu m'importe. Trouve un moyen pour qu'il te prennent en chasse et qu'ils oublient cette ville."

Telle était la mission dont il avait hérité. Une mission dangereuse dont lui seul pouvait s’acquitter, grâce à ses réserves d'énergie apparemment sans limite. Il sentait la présence d’au moins quatre dragons non loin, à seulement quelques minutes de vol. Il dépensa une quantité phénoménale d'énergie dans le seul but de les attirer, prenant bien soin de ne pas trop en faire non plus, de peur que les dragons ne flairent le piège. Il fut rassuré lorsque les deux dragons venants du nord dépassèrent la ville à sa poursuite. Un troisième, venant de l'est, se lança également à ses trousses. Mais à sa grande détresse, le quatrième, celui qu'il estimait le plus puissant, sembla s'immobiliser au-dessus de la ville. N'écoutant que son courage, il fit volte-face pour se diriger droit vers ses poursuivants. Il les sentait tout proches. Il entendit le battement de leurs ailes, loin au-dessus, suivit d'un silence puis d'un sifflement.

— C'est ça, piquez droit sur moi, gros lézards, grinça-t-il entre ses dents.

Au loin, le plus puissant des dragons descendait vers le palais.

Gabriel se laissa alors totalement emporter par cette douce sensation chaude dans sa tête. Les vannes qu’il érigeait avec tant de mal depuis des jours s’ouvrirent en grand. Le Flux se propagea rapidement dans tous ses membres, devenant rapidement un véritable torrent d'énergie qui submergeait ses muscles, imprégnait ses os et coulaient dans ses veines. Les dragons se précipitèrent sur lui, ne craignant absolument pas cet être ridicule, même s'il venait d'opérer chez lui un bouleversement intriguant. Sur le dos du premier dragon, le chevaucheur har-lin observa l'humain devenir une source de lumière et fut saisi d'un doute. Cette émotion, immédiatement transmise à sa monture, fit hésiter le duo une fraction de seconde qui lui coûta la vie. Le petit homme scintillant en bas devint la source d'une incroyable tempête de flammes qui les engloutit entièrement. Le dragon et son cavalier périrent instantanément, dans une éruption éblouissante d’un feu si brûlant qu’il carbonisa la végétation au sol, réduisant tout en cendres sur une grande zone à la ronde, instillant la crainte chez ceux qui les suivaient.

Au loin, l’Émissaire ressentit l'important dégagement d'énergie. Il se ravisa et, oubliant pour un temps sa visite au gouverneur Yul, il détourna sa monture et se dirigea vers sa proie. Gabriel sentit aussitôt que le puissant dragon et son tout aussi puissant cavalier se dirigeaient vers lui. “C'est bien”, pensa t-il, un sourire prédateur s'affichant sur son visage qui irradiait de puissance. Il décida de convaincre un peu plus cet ennemi de le suivre en éliminant aussi le deuxième dragon.

— Je garderai les deux autres pour plus tard, se dit Gabriel.

Il bondit dans les airs et, s'aidant de la prise au vent de son manteau et de ses pouvoirs, parvint à se hisser à une altitude surprenante, prenant au dépourvu le dragon et son cavalier qui se retrouvèrent en dessous de lui. Même si dans son état, Gabriel était très difficile à perdre de vue, cette simple tactique lui assura l'instant de surprise qu'il lui fallait. Le dragon fonça sur lui, certain de le happer entre ses mâchoires capables de broyer un bloc de granit. Mais d'un mouvement brusque, normalement impossible, l'humain dévia de sa trajectoire initiale, atterrit sur le cou de la bête qui ne sentit même pas le sabre s'enfoncer à l'arrière de son crâne. Le dragon tomba comme une masse vers le sol après un ultime soubresaut, son cavalier restant campé sur son dos, cherchant des yeux l'humain qui venait de disparaître soudainement. Il eut beau chercher partout, il ne vit pas la moindre source de lumière. Le corps du dragon heurta le sol, provoquant un tremblement de terre qui fut ressenti jusqu’à Roge, et le cavalier fut lourdement projeté au sol, face contre terre. Il y fut cloué par deux épées, l'une transperçant son cœur, l'autre lui traversant le crâne, ressortant par l'orbite gauche.

Dès qu'il eut tué le cavalier, Gabriel retira ses épées du corps de la créature, les essuya rapidement et se remit à courir, dissimulant progressivement sa présence. “Je n'ai plus qu'à les semer maintenant”, se dit-il. Mais la puissance qu'il sentait arriver derrière lui l'inquiétait.

***

Sous le palais de Roge, les sifis empruntaient une troisième échelle lorsqu'ils ressentirent tous l'incroyable puissance de Gabriel frapper leurs esprits. Au-dessus d'eux, une autre source de pouvoir s’agita et s'éloigna presque aussitôt.

— Que lui as tu demandé ? s'inquiéta Ellohira.

— Je lui ai confié une mission dangereuse, avoua Juanee, mal à l'aise. Nous devons lui faire confiance.

Ils ressentirent la puissance du jeune homme pendant une quarantaine de secondes, qui perturbait le champ du Flux, commes des vagues successives qui perturbent la surface d’un lac, tandis que la présence d’un premier dragon s’effaçait, puis un deuxième.

— Je ne lui ai pas demandé de les affronter ! se défendit Juanee en répondant à une accusation muette d’Ellohira. Que fait-il donc ?

— Du zèle, répondit sombrement Ellohira. Il ne sait pas quand il doit s'arrêter, il ne connaît pas ses propres limites.

— En a-t-il seulement ? demanda Urfis, sa tête venant de réapparaître en haut de la quatrième échelle. Il reviendra, Ello. Apprend à lui faire confiance. C'est un maître de l'Ordre à présent, il agit selon ce qu'il croit être le mieux.

— Le mieux pour nous, pas pour lui, rétorqua la jeune femme.

— Tu devrais en être encore plus fière, répliqua Urfis doctement.

— Je suis fière ! s'exclama-t-elle. Très fière ! Ça n’empêche pas d’avoir peur.

Juanee serra les épaules d’Ellohira et la poussa gentiment vers l'échelle suivante. En bas, un court escalier suivi d'un couloir menait dans une large cage de fer.

— Qu'est-ce que c'est ? se demanda Urfis tout haut tandis que les deux femmes le rejoignaient, lui, Arpe et Marli.

— On dirait une sorte d'engin élévateur, observa Arpe. C’est purement mécanique. Très ingénieux.

Il monta dans la machine qui vacilla légèrement, suspendue à ses câbles.

— Ça ne m'inspire pas confiance, grommela Urfis en le suivant.

Lorsque tous les cinq furent à bord, ils attendirent, mais rien ne se passa. Arpe s’intéressa alors à un levier qu'il actionna et l’ascenceur débuta sa descente, presque sans bruit.

— Ça ressemble à certaines machines que nous avons vues à Nordhe, fit-il remarquer.

Juanee acquiesça silencieusement, tenant toujours Ellohira par les épaules pour la rassurer.

L’engin s'immobilisa après un long moment de silence, troublé seulement par quelques grincements métalliques. En bas, les sifis furent accueillis par une vingtaine d'hommes, armés mais pas agressifs. Au milieu d'eux, se dressait un homme, sans arme. Quelque chose en lui rappelait Anzil, le jeune roi de Torgar, bien qu'il fût plus vieux. À vrai dire, cet homme semblait sans âge. Son visage restait celui d'un jeune homme, malgré une ou deux rides aux coins des yeux. Il portait ses cheveux châtains courts qu'aucun cheveu blanc ne venait gâcher. La mine fière et sévère, il dévisagea les nouveaux venus un à un d'un regard intelligent et acéré.

— Je viens de recevoir un message, dit-il sur un ton autoritaire. Alors comme ça, vous vous prétendez sifis ?

Arpe fit un pas en avant, provoquant un léger mouvement chez les soldats, et fit briller ses yeux d'un éclat bleuté.

— Mes yeux me joueraient-ils des tours ? Ou mon cousin ne saurait-il plus compter ? fit l’homme.

— L'un de nous est resté en surface pour éloigner les dragons de votre ville, expliqua Juanee, qui saisit l’allusion. D'après ce que nous savons, il en a déjà abattu deux, ainsi que leurs cavaliers.

— Vraiment ? demanda l'homme, d'un air neutre.

Mais Juanee senti que derrière ce masque, se cachait à présent plus d'excitation que de méfiance.

— Oui, vraiment, dit-elle en s'avançant à son tour. Je suis Juanee Ragar et, en tant que doyenne, je suis également le chef et la représentante de notre Ordre. Voici mon époux, Arpe, ainsi que Urfis, Marli et Ellohira.

— Je suis Keneth Kinsmor, se présenta l'homme en retour. Héritier de la famille royale de ce pays.

Ses yeux s’attardèrent sur Ellohira. Au delà du fait qu’il s’agissait d’une jeune femme magnifique, la plus belle qu'il eut jamais vue, elle lui sembla malade.

— Seriez-vous souffrante, jeune dame ? s'enquit-il aimablement.

— Non, répondit-elle d'un ton assuré. Je vais bien, merci.

En réalité, elle se sentait épuisée, assoiffée et affamée. Mais surtout inquiète. Keneth claqua des doigts et les soldats s'éloignèrent, sauf deux.

— Veuillez m'excuser pour cet accueil. On ne saurait être trop prudent. Soyez les bienvenus, sifis. Suivez-moi, je vais vous faire servir de quoi vous restaurer pendant que nous discuterons. Nous avons beaucoup de choses à nous dire.

L'héritier de la famille royale les escorta jusque dans une petite salle où l'on servit aux sifis de quoi boire et manger. Assise sur l’un des bancs disposés dans la pièce, Ellohira tenait distraitement son verre, sans y boire, ce qui n'échappa ni aux sifis, ni à leur hôte.

— D'où venez-vous ? demanda Keneth après un moment de silence, après que le dernier de ses invités fut servi.

— Nous venons d'Ernùn, et nous parlons au nom de notre Ordre ainsi qu'au nom de l'Alliance qui unit les pays d'Ernùn, de Torgar et de Nordhe.

— Ces pays existent donc toujours. C'est une bonne chose.

— Comment doit-on s'adresser à vous ? demanda Juanee. Si vous êtes le seul héritier du trône, vous êtes le roi, non ?

— Appelez-moi Keneth. Mes hommes m'appellent ainsi, ou commandant. Rares sont ceux qui s'adressent à moi en me donnant le titre que je porterais si le Seigneur des dragons ne régnait pas à ma place sur mon peuple. Notre pays, Tigar, souffre depuis très longtemps sous son emprise. Ma famille, ainsi que celle des Etince et un grand nombre de personnes ont toujours œuvré, et continuent de le faire, afin que ma lignée ne s'éteigne pas, dans l’espoir d’une libération.

— Alors nous vous appellerons majesté, décida Juanee. Car vous serez bientôt rétabli sur votre trône. En tout cas, nous ferons tout pour cela.

Keneth Kinsmor s'inclina respectueusement en signe de remerciement.

— Comment vous êtes-vous débarrassé des dragons dans votre pays ? s’enquit-il.

— Ernùn est tombé il y à longtemps. Mais le gouvernement est toujours resté actif dans notre dernière forteresse d’Azulimar, qui à tenu bon, seule, durant sept siècles. Récemment nous avons cru tout perdre lorsque ce dernier bastion est tombé. Grâce aux efforts de tous et au soutien de Torgar, nous avons repris la cité et profité de l'affaiblissement de l'ennemi après cette campagne pour renverser la situation. Beaucoup de gens exilés à Torgar ont accouru dans l'espoir de vaincre une bonne fois pour toute notre ennemi. Nos deux pays sont sortis très affaiblis de cette ultime phase de la guerre. Nos armées sont encore efficaces, nos soldats déterminés. Néanmoins, nos rangs étaient clairsemé, ce qui est aujourd’hui compensé par l’arrivée de Nordhe au sein de notre Alliance.

— Torgar est resté inviolé durant toutes ces années ? s'étonna Keneth.

— Oui, confirma Juanee. Grâce à un édifice érigé par nos ancêtres. Un mur gigantesque s'étend depuis les frontières noires, au Sud, jusqu’à la mer gardée par Griffe Rouge, au Nord. Ce n’est qu’ensuite que nos deux nations se sont réellement distinguées, d’ailleurs.

— Ce doit être vraiment un édifice hors normes s'il a réussi à retenir les dragons ! Je serais curieux de voir un tel prodige !

— En effet, confirma Juanee. Des massifs montagneux entiers ont été rasés afin d'ériger ces défenses. Après notre victoire, nous serons ravis de vous accueillir chez nous pour vous montrer ces merveilles. Mais pour le moment nous devons nous concentrer sur ce qui nous amène ici. Vous entretenez ici, sous terre, un grand nombre de personnes. Puis-je vous demander dans quel but ?

— Cet endroit existe depuis plus d'un siècle, leur apprit Keneth. Ici, à Roge, les grandes familles ont établi un plan afin de renverser le Seigneur et ses esclaves. Mais cela prend du temps. Nos plans sont sans cesse retardés, nos progrès très lents.

— De quels moyens disposez vous ? s’enquit Arpe.

— Dans ces tunnels vivent près de deux milliers de gens, tous soldats. Nous entretenons aussi environ dix mille hommes en surface, en toute discrétion bien entendu.

— Comment avez-vous échappé aux dragons durant toutes ces années ? s'étonna Marli. Ce sont des fouisseurs.

— Nous avons étendu les tunnels uniquement à des endroits qu’ils ne visent pas. Soit à de très grandes distances sous les montagnes afin qu'ils ne détectent pas notre présence, ou ici, sous la ville. À moins de sacrifier toute la cité, ils ne peuvent nous déloger. Ce sont des leçons apprises dans les siècles passés. Malheureusement, nous ne comptons aucun magicien dans nos rangs. Les scailleux viennent régulièrement et enlèvent ceux chez qui ils détectent un potentiel. Nous n'osons même pas imaginer ce qu'il leur font.

Keneth Kinsmor observa un instant de silence, l'air sombre.

— Enfin, ce qu'ils leur faisaient, devrais-je dire. Depuis environ dix ans, nous sommes parvenus à soustraire nos enfants à cette terrible loi : nous parvenons à détecter le potentiel chez les enfants avant nos ennemis. Ils sont alors cachés quelque part sous terre, là où les dragons ne peuvent ni les sentir ni les trouver. Cet endroit vous intéressera énormément, j’en suis sûr, mais nous devrons attendre demain avant de nous y rendre.

Il se leva, empêchant Juanee de formuler les questions qui lui brûlaient les lèvres d’un geste.

— Vous devriez prendre un peu de repos. Mangez et buvez ! Mes hommes vous mèneront à vos quartiers lorsque vous aurez terminé. Vous comprendrez, j’espère, que je ne puis vous permettre d’aller et venir complètement à votre guise.

Keneth Kinsmor s’apprêtait à sortir, mais Ellohira se mit en travers de son chemin, s'inclinant respectueusement.

— Que puis-je pour vous, demoiselle ?

— Majesté, je souhaite me lancer à la recherche de mon ami. Il se trouve dehors en ce moment et…

— Ellohira ! l’interrompit Juanee. Gabriel s'acquitte de sa mission, comme je le lui ai demandé. Tu ne peux pas mettre ces gens en péril en risquant de révéler notre présence.

— Celui qui nous poursuit est sans doute assez intelligent pour comprendre qu'un seul d'entre nous est sorti de la ville, tempéra Urfis. S'il… Vu qu’il ne parviendra pas à tuer ou capturer Gabriel, il y a des risques pour qu'il revienne nous chercher ici.

Ces quelques mots de son ancien maître réchauffèrent le cœur d'Ellohira qui lui adressa un sourire reconnaissant. Juanee réfléchit un instant.

— Je ne peux pas te confier cette mission, Ellohira. Arpe ?

Arpe montra d'un signe de tête qu'il avait compris et qu'il acceptait.

— Keneth, auriez vous un coureur rapide et endurant qui connaisse vos tunnels comme sa poche ?

— Je devrais pouvoir vous trouver une telle personne, oui, affirma-t-il, comprenant les intentions du sifis. Mais comment comptez-vous le retrouver si vous ignorez la direction qu'il a prise ? De plus, aucun passage ne mène à la surface, plus au Sud.

— Je possède des sens très aiguisés et des compétences que vous n’imaginez pas, dit Arpe sans vantardise. Je le retrouverai.

Keneth hocha la tête et claqua des doigts vers l'un de ses deux hommes présents dans la pièce.

— Trouvez-moi le p’tit Lin et mettez-le à la disposition du seigneur Arpe.

Le soldat s'inclina devant son commandant, fit signe à Arpe de le suivre et sortit, le sifis sur les talons.

— À présent, pardonnez-moi mais je dois vous laisser, annonça Kinsmor. Vous devriez prendre un peu de repos avant demain ; nous aurons pas mal de chemin à faire.

Là-dessus il quitta la pièce. Lorsqu’ils se furent restaurés et désaltérés, le deuxième soldat guida les sifis quelques niveaux en dessous, en passant par maints couloirs et escaliers, où ils furent accueillis par une foule de femmes et d'enfants curieux.

***

De son côté, Arpe, guidé par le jeune garçon prénommé Lin, parcourait au pas de course les couloirs, les salles et les tunnels en suivant au mieux la direction vers laquelle il ressentait la présence de Gabriel. Ce dernier, visiblement toujours traqué, faisait de son mieux pour dissimuler sa présence, ce qui rendait la tâche difficile.

— Il n'y a plus beaucoup de tunnels par ici, fit remarquer le jeune Lin. Votre ami est-il encore loin, seigneur ?

Arpe s'arrêta. Il venait d'atteindre la fin du couloir, deux autres s'ouvrant respectivement sur sa gauche et sur sa droite, vers l'est et vers l'ouest.

— Ne peut-on pas continuer vers le sud ?

Lin répondit négativement de la tête.

— Non seigneur. Ces chemins ne vont guère plus loin et aucun des deux ne reprend la direction du sud. C’est là l’extrémité de notre réseau.

— Très bien, tu m'as été d'un grand secours jeune homme. Retourne t'en maintenant, je vais poursuivre seul.

Lin resta interdit pendant quelques secondes, ne comprenant pas, puis s'en alla en jetant de temps à autre un regard en arrière. Arpe fit face au mur de pierre et, prenant bien soin de n'user que du minimum d'énergie nécessaire, il apposa un sceau à la surface. Lorsqu'il l'activa, un chemin s'ouvrit au-dessus de lui et une bouffée d'air frais s'engouffra dans le tunnel. Il prit bien soin de refermer le passage derrière lui et prit pied sur un sol couvert d'herbes hautes, sous les étoiles. Au loin, il ressentait très faiblement la présence de Gabriel. Entre le jeune homme et lui se trouvait un couple d'une puissance gigantesque.

“L’Émissaire”, devina Arpe avec raison. Il se mit à courir de toute la vitesse dont il était capable.

Gabriel se trouvait piégé. Il n'osait affronter seul cette puissance terrifiante. Son expérience en la matière restait limitée, mais son corps et son esprit le mettaient en alerte. Cet Émissaire était d'un tout autre niveau que tous les adversaires qu'il avait pu affronter jusque-là, y compris le troisième dragon très puissant qu'il venait de mettre à mort. Ils jouaient un dangereux jeu de cache-cache dans les collines, les bosquets et les crevasses. Gabriel posait des pièges sous forme de sceaux explosifs que l’Émissaire déjouait sans grande difficulté. Si seulement il avait plus de temps ! Une vibration sourde dans le sol l'averti soudain que son ennemi se rapprochait dangereusement. N'ayant plus vraiment le choix, il se prépara à l'inéluctable combat.

Lorsque l’Émissaire apparut devant lui, le dominant de toute la hauteur de sa monture gigantesque, Gabriel fut parcouru d'un frisson et resserra sa prise sur la poignée de son sabre.

— Finalement je t'ai débusqué, petit rat, cracha la créature en riant d'une manière presque humaine, ce qui était encore pire que les grognements de ses semblables moins évolués. J'ai pris beaucoup de plaisir à te traquer et je vais encore plus m'amuser en te mettant à mort.

— Ne crois pas que ce sera facile, le mit en garde Gabriel en s'efforçant d'avoir l'air assuré.

— Regarde toi, humain. Tu trembles et tu empestes la peur.

L’Émissaire émit une nouvelle fois un rire amusé.

— Tu sais comment se terminera cet affrontement, n’est-ce pas ?

Il se toisèrent pendant quelques secondes, puis l'émissaire reprit d'une voix forte et rageuse :

— Tu vas payer ! Tu vas payer pour ce que tu as détruit !

Tout en hurlant, l’Émissaire ordonna à son dragon de fondre sur sa proie. Il n'avait parcouru que la moitié de la distance qui les séparaient lorsqu'une formidable explosion souleva le corps du dragon, qui s'en sorti hébété, mais sans la moindre égratignure. Le temps que la fumée et la poussière se dissipent, Gabriel avait disparu. Furieux, l’Émissaire reprit la traque, incapable désormais de déceler la présence de l'humain.

***

Arpe était arrivé tout près de l’Émissaire. Celui-ci restait immobile, il s'adressait visiblement à sa proie qu'il avait finalement réussi à débusquer. Arpe ne perdit pas une seconde : dissimulant toujours sa présence au mieux, il contourna le dragon et, à force de concentration, parvint à placer un sceau-piège juste devant la bête. Il n'avait plus que quelques secondes et devait faire vite. Il apposa plusieurs sceaux sur le sol, préparés à l'avance, inscrits sur de petites pierres. Puis il se tint prêt, tous ses muscles tendus, tous ses sens aux aguets. Il n'eut pas longtemps à attendre, à peine eut-il terminé ses préparatifs que le dragon fonça sur Gabriel. Le jeune sifis, tout aussi inconscient de la présence d'Arpe que l’Émissaire, se tint prêt à vendre chèrement sa peau. Il fut sidéré en voyant une immense colonne de feu et de fumée jaillir du sol et comprit immédiatement qu'un autre des siens se trouvait tout prêt. Tout cela ne prit qu'un instant dans son esprit. Lorsque l'onde de choc le frappa, il fut projeté en arrière. Un bras l’agrippa alors par la taille et l'entraîna à sa suite. Ayant vaguement compris ce qu’il se produisait, Gabriel suivit le mouvement.

— Vite, chuchota simplement la voix de Arpe, alors que le nuage formé des millions de minuscules débris retombait déjà.

Gabriel sentit qu’il atterrissait assez rudement contre un sol dur et retint une exclamation de douleur.

— Ne bouge pas, lui intima Arpe tout bas, toujours invisible dans cette étrange fumée très épaisse et opaque qui irritait la gorge.

Gabriel eut le sentiment de chuter pendant une poignée d'instants qui lui semblèrent une éternité. Son corps s’immobilisa enfin, dans un endroit silencieux et totalement obscur, mais il eut la présence d'esprit de fermer complètement sa conscience au Flux, au lieu de faire un peu de lumière.

— Ça va ? demanda Arpe, tout près dans l'obscurité.

— Ça peut aller, répondit Gabriel dans un murmure. Merci.

— Tu remercieras Ellohira en arrivant auprès d'elle. Mais tu risques de t'en prendre plein la tête, ajouta Arpe, essayant d'avoir l'air amusé.

En réalité, il était exténué et inquiet. Il sentait l'immense puissance de l’Émissaire au-dessus, qui furetait un peu partout en provoquant de petits tremblements de terre, brisant troncs et rochers, creusant ici et là, sans parvenir à retrouver ce petit rat qui venait de lui échapper. Les deux hommes attendirent dans l'obscurité durant plusieurs minutes incroyablement longues, craignant que sur un coup de chance, l’Émissaire les ne les débusque dans leur petite poche souterraine. Enfin, il s'éloigna vers le nord dans un dernier accès de rage.

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